Vous l’avez peut-être manqué. Il a fait peu de bruit quand il est passé, et, à certains égards, il était timide, c’est vrai, mais il constitue quand même un pas vers l’avant : le projet de loi 42, Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail, a été adopté au printemps dernier.

L’apport de ce projet de loi se manifestera notamment par la qualité désormais attendue des politiques de prévention du harcèlement et des violences à caractère sexuel au sein des organisations, ainsi que par l’encadrement de la prise en charge des plaintes en milieu de travail.

Il était essentiel d’en arriver là. Sans ce cadre clair, les victimes n’osent souvent pas dénoncer la situation qu’elles vivent, ne sachant pas ce que fera l’employeur de leur plainte (comment et par qui elle sera traitée). Ces personnes craignent aussi souvent des représailles. À preuve, la majorité des plaintes en matière de harcèlement déposées à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) chaque année – environ 6 000 en 2023 – l’ont été par des individus qui ne sont plus à l’emploi de leur organisation. Voilà une triste statistique qui nous indique que plusieurs milieux de travail échouent à réellement rassurer et accompagner les victimes à travers un processus rigoureux de traitement des plaintes connu en amont et, surtout, réalisé par des personnes compétentes. Encore aujourd’hui au Québec, n’importe qui peut mener une médiation ou effectuer une enquête en matière de harcèlement. N’importe qui.

Grâce au projet de loi, il y a une petite lueur d’espoir du côté de la compétence, justement : pour la première fois, la loi parle de la formation de personnes responsables du traitement des dénonciations et des plaintes au sein des organisations. C’est la belle nouvelle. Cet amendement au texte initial du projet de loi était nécessaire pour que le législateur soit cohérent; on ne peut pas reconnaître le besoin de former tous les intervenants qui agissent dans le processus judiciaire et ne pas, au minimum, exiger que les personnes qui interviennent à la source, au sein des organisations, soient minimalement compétentes.

Il faut réaliser que la personne responsable de la gestion d’une plainte pour harcèlement ou pour violence à caractère sexuel peut causer un grand préjudice si elle ne sait pas comment traiter le tout dans les règles de l’art. Les conséquences sont multiples : détresse psychologique de la victime et de la personne mise en cause; tensions au sein de l’équipe de travail; absences pour maladie; perte de productivité; démission; atteinte à la réputation de l’employeur; etc. Le processus n’est pas sans conséquence pour l’enquêteur également, qui doit déterminer s’il y a eu du harcèlement ou de la violence. Sa décision peut avoir des répercussions importantes sur la carrière et la vie personnelle des gens impliqués.

Quelques fois par année, on me demande d’intervenir sur le sujet, en conférence ou en panel. Chaque fois, plusieurs personnes m’attendent après mon intervention pour me raconter une histoire de harcèlement; leur histoire, leur déception, leur douleur. Il n’y a rien de commun dans le profil de ces gens. Ils travaillent pour de petites et moyennes entreprises (PME), mais aussi pour de grandes organisations. Ils sont salariés ou cadres. Mais souvent, en trame de fond, on découvre dans leur entreprise une culture de tolérance pour les gestes inappropriés. Plusieurs employés évoquent l’expression «on le sait bien, il est comme ça» en parlant de l’individu au comportement toxique, comme si c’était une fatalité et qu’on devait le laisser faire.

En 2016, en plein cœur du mouvement #MoiAussi, tout le monde était d’accord qu’il fallait avoir une tolérance zéro et mettre en place les moyens pour y arriver. Après, l’empressement s’est doucement fragilisé. Chaque fois, on me rappelle le fardeau qui pèse sur les organisations tenues de mettre en place des moyens, de former des gens ou de faire appel à des experts, et je suis sensible à la charge globale que doivent acquitter les employeurs. Cependant, combien de temps, de moyens, de ressources expertes et d’argent sont entrés en jeu depuis l’entrée en vigueur de la loi 25 sur la protection des renseignements personnels des citoyens québécois? Personne ne semble heurté par les ressources que doivent investir les organisations pour s’y conformer. Bien sûr, il est très important de préserver la confidentialité de nos données, mais la dignité humaine ne mériterait-elle pas un traitement équivalent?

Article publié dans l’édition Automne 2024 de Gestion