Dans la situation de la pandémie actuelle, où les mécanismes d’ajustement sont nombreux et l’alignement entre employés et gestionnaires souvent facilité devant l’urgence de s’adapter pour survivre, il peut être intéressant de découvrir de nouveaux réflexes face à la participation des employés aux décisions et à l’implication.

Au printemps dernier, nous avons rencontré trois dirigeants de PME québécoises comptant une centaine d’employés dans trois secteurs variés : manufacturier, technologique et design Web. Trois propriétaires qui ont choisi de réorienter leur entreprise vers un modèle participatif, avant l’état de crise que l’on connaît actuellement. Propriétaires uniques ou majoritaires, soit ils ont fondé l’entreprise, soit ils dirigent dorénavant l’entreprise familiale. Chacun d’entre eux est par ailleurs porté par une intention similaire : revoir le modèle de décision afin de renouer avec l’élan des premières années de l’entreprise ou celui connu au cours des périodes difficiles. En effet, ces périodes avaient démontré le potentiel d’harmonisation entre la direction et les employés sur le plan des décisions et de l’application de celles-ci. La propriétaire de l’entreprise Régitex qui se spécialise dans la production de fils pour l’industrie textile, Liza Fecteau, nous a confié à quel point elle se trompait lorsqu’elle prenait ses décisions seule, décisions imposées aux équipes, d’une certaine façon, à des fins de réalisation. Elle se revoyait impuissante face aux non-dits et aux blocages invisibles exposés par les gestionnaires et les employés. Chez Régitex, les décisions sont maintenant prises par consensus dans les équipes de travail alors que la responsabilité est portée par l’ensemble des personnes de l’équipe.

Quelles sont les manières d’y parvenir?

Les appellations du modèle participatif sont multiples (entreprise libérée, responsabilisante, horizontale, holacratique), variant selon les organisations rencontrées, et illustrent en quelque sorte le but recherché : se libérer de la hiérarchie, solliciter la responsabilité de tous, accentuer l’autonomie, ainsi que faciliter les processus d’ajustement mutuel. 

Le modèle participatif permet aux employés d’avoir une place dans l’exercice de décision et il existe différentes façons d’y parvenir. Par exemple, chez Régitex, on a invité les gens à prendre un rôle dans l’entreprise en fonction de ce qui les motive et non de ce qui les a définis dans le passé. Dans l’entreprise  Spektrum, une entreprise de web dans la région de Québec, les employés sont réunis périodiquement par les gestionnaires principaux pour choisir les mandats qui seront retenus par l’entreprise. Les choix s’effectuent en fonction des intérêts mais également des types de clients. Spektrum a ainsi fait le choix de créer l’horizontalité avec ses employés, mais aussi avec ses clients afin d’assurer l’alignement interne. En ce qui concerne l’entreprise Effenti, une firme de services-conseils qui a choisi de relever le défi de rendre les TI plus humaines, le processus de consultation est primordial selon Stéphane Bernier, l’un des actionnaires principaux. Sa mission : aller à la rencontre de ses employés pour avoir leur retour d’informations, avant de prendre les décisions.

Le modèle participatif, tel que nous l’avons observé, repose sur la consultation, bien qu’il ne s’agisse pas d’un processus aussi formel que le modèle coopératif ou la sociocratie. Le processus de décision n’est pas balisé par des règles définies; son fonctionnement repose sur la confiance mutuelle et sur la capacité à libérer la parole des employés. Pour ce faire, différentes stratégies sont ainsi mises en place pour y parvenir : rencontres de travail animées, énoncés de valeurs et des codes de conduite, réunion de l’ensemble des employés pour choisir et décider. Le travail de confiance repose sur une communication authentique, qui n’est pas toujours facile à mettre en place mais qui doit néanmoins faire partie de la culture organisationnelle afin que le modèle participatif puisse exister.

Obstacles en vue

Le principal obstacle semble être l’incertitude, face à la nouveauté et au changement que cette nouvelle façon de faire tend à vouloir susciter. Confiance ou méfiance? Telle est la question. Croyances des personnes et de l’organisation face à la nouveauté, au changement et au succès, mais aussi par rapport aux acquis et aux avantages que procuraient les situations antérieures.

Pour Georges Saad de Spektrum, il était primordial que les dirigeants aient la même vision de l’entreprise afin de ne pas créer d’interférence dans le système. Au début de la transformation, certains actionnaires ont d’ailleurs été invités à quitter l’entreprise, dans la meilleure entente possible, en vue de conserver une vision commune de cette nouvelle façon de procéder.

Dans le modèle participatif, il s’agit de bien renforcer l’exercice de confiance qui s’installe au fil des communications, des défis et des résolutions de problèmes réussies. Chez Effenti, le souci d’être une entreprise avant tout humaine en étant résolument empathique avec les personnes qui y œuvrent.

De fait, les initiateurs du modèle participatif (souvent aussi propriétaires) doivent demeurer présents et constants dans leur démarche de changement, car la confiance et l’autonomie ne s’installent pas du jour au lendemain. La propriétaire de Régitex avoue pour sa part devoir souvent répéter son intention dernière la démarche de transformation aux employés, en vue de les mettre en confiance et de favoriser autant que possible une parole libre.

Gains organisationnels observés

Les trois propriétaires de PME ont décidé d’aller vers le modèle participatif pour quitter les blocages informationnels créés par la hiérarchie et la bureaucratie, mais également pour en avoir moins sur les épaules et échapper à la fatigue et au stress de tout contrôler. Bien que les crises aient révélé le potentiel de l’organisation quant à la participation et l’implication, les retours « à la normale » avaient quant à eux ramené la solitude du gestionnaire, les conflits silencieux entre les départements et beaucoup moins de flexibilité et de créativité chez les employés, du moins au regard des dirigeants.

Ces entreprises ont donc choisi le modèle participatif sur le long terme. Bien que le voyage n’ait pas été de tout repos, la démarche leur a définitivement procuré des avantages notables : des profits augmentés, un taux de roulement réduit et des processus d’embauche facilités par un recrutement effectué de bouche à oreille, et donc orienté vers des candidats préalablement intéressés par le modèle en place. Les employés retrouvent le privilège d’être proches des propriétaires et des décisions, tout comme lors du démarrage de l’entreprise, une réalité qui semble tout aussi importante pour les dirigeants rencontrés qui n’ont sûrement aucune intention de revenir en arrière.