La persévérance des télétravailleurs a été mise à rude épreuve depuis le début de la pandémie. Or, pour survivre, plusieurs entreprises dépendent des efforts soutenus de leurs équipes. Plus que jamais, les gestionnaires font preuve d’ingéniosité pour garder leur main-d’œuvre mobilisée.

Les ateliers que nous avons menés auprès de plusieurs centaines de cadres en télétravail ainsi que les entrevues que nous avons réalisées avec des dirigeants d’entreprise nous ont permis de saisir l’évolution de la motivation des télétravailleurs et d’observer les pratiques les plus prometteuses pour favoriser une plus grande cohésion.

Genèse d’une transformation forcée

L’adoption du télétravail était plutôt anecdotique avant la pandémie. Aussi, pour répondre aux mesures sanitaires exigées par le gouvernement du Québec le 13 mars 2020, les entreprises ont été contraintes de proposer le télétravail à leurs équipes en un temps record. Si certaines organisations étaient déjà équipées avec les technologies de collaboration requises, plusieurs ont dû investir temps et argent pour se mettre à niveau.

Une fois les enjeux techniques surmontés, l’attention a été portée à l’essentiel : gérer l’entreprise dans un environnement en constante mouvance. Et les défis ont été multiples : comment assurer le bien-être des télétravailleurs, favoriser leur assiduité, leur productivité et leur engagement, maintenir la culture d’entreprise? Ces défis étaient intimement liés à la réalité combinée du télétravail et de la pandémie. Les télétravailleurs ont perdu à la fois leurs routines et la proximité avec les autres, en plus de craindre pour leur santé et celle de leurs proches. Néanmoins, on a exigé d’eux une ardeur soutenue.

La démobilisation possible des employés est devenue plus que jamais une préoccupation capitale pour les dirigeants d’entreprise dont une forte proportion de la main-d’œuvre est en télétravail depuis lors.

Nourrir la motivation en télétravail : les leçons apprises

Bien que la motivation soit intrinsèque à chaque être humain, il faut reconnaître que certains facteurs organisationnels ont un effet important sur celle-ci. Selon Susan Fowler1, experte renommée dans le domaine, trois leviers ont des répercussions directes sur la motivation au travail, soit le degré d’autonomie, le sentiment d’appartenance et la contribution. Or, le télétravail peut nuire à ces trois leviers d’action, alors que la pandémie en exacerbe les défis.

1) Accorder un degré adéquat d’autonomie

Rien de plus démotivant que de sentir le souffle de son superviseur dans son cou. Dépendre constamment de l’approbation d’un autre pour progresser dans son travail ou pour prendre des décisions encourage la déresponsabilisation et nuit au moral des troupes.

Or, lorsque tous les collaborateurs partagent le même espace physique, il est facile pour un gestionnaire d’évaluer l’assiduité de chacun et d’avoir confiance. Une fois en télétravail, certains craignent de perdre le contrôle de la productivité de leur équipe et adoptent des pratiques nuisibles ou anxiogènes en gérant de trop près : ils notent les heures de connexion des employés, s’attendent à une réponse instantanée à toute communication, etc. Repenser sa façon d’encadrer les télétravailleurs devient donc crucial pour les garder motivés.

Les pratiques éprouvées :

  • Lorsqu’une tâche est déléguée, exprimez clairement les résultats attendus et convenez d’emblée de la fréquence et de la façon de faire les suivis. Cela aura l’avantage de gérer les attentes de part et d’autre.
  • Évaluez les progrès grâce aux résultats atteints et non en fonction des heures travaillées.
  • Donnez la latitude nécessaire aux employés de façon à ce qu’ils puissent structurer leur journée de travail, pour autant que les résultats soient au rendez-vous.
  • Revoyez régulièrement les routines de gestion et les processus afin de les adapter au télétravail.
  • Offriez du soutien aux gestionnaires éprouvant des difficultés d’adaptation.

2) Préserver et nourrir le sentiment d’appartenance

Une grande part de la motivation au travail passe par la qualité des relations qui se tissent entre collègues. Les bavardages en prenant un café, les lunchs entre collaborateurs, les conversations de corridor ou les quelques mots anodins échangés au début et à la fin des réunions permettent de renforcer l’appartenance à une équipe.

Or, ces moments manquent cruellement à plusieurs employés vivant déjà difficilement l’isolement provoqué par les mesures sanitaires.

Les pratiques éprouvées :

  • Allumez la caméra! La visioconférence demeure le meilleur compromis lorsque la présence physique est impossible.
  • Prenez quelques minutes au début de chaque réunion pour briser la glace et échanger de façon informelle.
  • Encouragez les rencontres improvisées : un café virtuel, un appel pour prendre des nouvelles, etc.
  • Misez sur des activités comme les projets transversaux, les initiatives caritatives, les cours de yoga ou une compétition de jeux vidéo, tout en limitant leur durée. Les télétravailleurs sont las de se retrouver devant leur écran. Ces initiatives seront positives dans la mesure où elles sont de courte durée et ont un fort effet (par exemple, inviter un humoriste pour un spectacle privé d’une heure).
  • Offrez des avantages qui sortent de l’ordinaire : livraison de repas santé à la maison, budget d’aménagement d’un bureau à domicile, accès à des services de télémédecine, etc.

Nombre de dirigeants d’entreprise comptent encore aujourd’hui sur des communications régulières, variées et dynamiques afin de préserver les liens avec leurs collaborateurs. C’est notamment le cas de Rana Ghorayeb, présidente et cheffe de la direction d’Otéra Capital. En effet, la totalité des 140 employés de ce chef de file en financement immobilier est présentement en télétravail. Mme Ghorayeb, comme tous les dirigeants interrogés, témoigne de tous les efforts de communication déployés par l’équipe de direction depuis le début de la pandémie. Au départ, ces discussions visaient à soutenir le sentiment d'appartenance à distance, à rassurer les employés et à répondre à leurs questions. Un an plus tard, l’attention porte maintenant sur la reconnaissance des employés ainsi que sur les objectifs d'affaires et la vision stratégique de l’entreprise.

«Le télétravail amène une autre dimension à la réalisation des objectifs. Il faut adapter notre façon de communiquer, de choisir les bonnes plateformes et se doter de nouvelles lignes de conduite afin de créer des occasions d'échange fructueuses et agréables et ainsi garder nos troupes informées et mobilisées.», mentionne Mme Ghorayeb.

Sylvain Yelle, directeur général d’Exo, dont 90 % de la main-d’œuvre est en télétravail, exprime lui aussi cette préoccupation. Un des grands défis à l’heure actuelle est de continuer à parler du futur. «Pas juste parler d’aujourd’hui, avec ses urgences. Il faut parler et planifier le futur, malgré les enjeux actuels», ajoute-t-il.

3) Donner l’occasion de contribuer par son expertise

Mettre à profit ses compétences et contribuer à un résultat important est essentiel pour nourrir la motivation de tout être humain. Or, avec la distance, les succès passent souvent sous silence. De plus, certains télétravailleurs peuvent avoir l’impression de stagner dans leur développement, leurs interactions avec des experts étant limitées.

Les pratiques éprouvées :

  • Développez un système de parrainage afin de créer des occasions d’échanger avec des personnes d’expérience.
  • Profitez des subventions gouvernementales pour donner davantage de formations.
  • Revoyez l’efficacité des réunions virtuelles. En effet, si la valeur retirée est faible, la motivation et le niveau d’attention déclinent rapidement.
  • Encouragez les moments de célébration : succès de la semaine, prix de reconnaissance, etc.

Les limites des initiatives de mobilisation

La pandémie bouleverse nos vies. Elle nous oblige à faire face à la confusion et à l’incertitude, mais également à ce que nous sommes en tant qu’êtres humains, avec nos rêves, nos convictions et nos peurs. 

Au-delà des difficultés à organiser le télétravail de manière efficace, il faut admettre que certains des problèmes qui émergent sont de nature personnelle, plutôt que professionnelle. Ceux-ci ne peuvent être résolus par l’entreprise, aussi dévouée soit-elle.

Le coffre à outils de l’équipe de gestion relève du management et non de la thérapie. Il y a des limites à ce que les gestionnaires peuvent faire pour leurs collaborateurs, et ce, peu importe l’engagement dont ils font preuve envers ceux-ci.

La responsabilité des leaders réside dans la mise en place et l’amélioration continue des pratiques de télétravail, avec empathie et bienveillance. Pour le reste, il faut faire confiance aux ressources personnelles de chacun et encourager le recours à des professionnels de la santé au besoin.

Jonathan Léveillé, président d’Openmind Technologies, témoigne de ces limites. S’investir dans le bien-être de ses employés fait partie de ses valeurs profondes depuis toujours. Aussi, en ces temps éprouvants, de nombreuses initiatives ont été déployées dans son organisation pour s’assurer du bonheur des collaborateurs. Nombre d’entre elles ont porté leurs fruits et persistent, mais certaines ont eu peu de portée. Après des mois d’efforts soutenus, il remarque qu’il peut contribuer au bien-être de ses employés, mais seulement jusqu’à un certain point. «Ceux qui vivaient un mal-être avant la pandémie ont vu leurs conditions se détériorer au cours des derniers mois. Malgré tous nos efforts, il y a des circonstances sur lesquelles nous n’avons que peu d’influence», explique-t-il.

Le futur du télétravail

Plusieurs dirigeants qui s’opposaient au télétravail avant la pandémie constatent que la productivité demeure satisfaisante et qu’il comporte des avantages. Ils considèrent donc que ce mode d’organisation du travail à distance est là pour rester.

Que ce soit pour des raisons de qualité de vie pour certains, d’accès à un plus vaste bassin de main-d’œuvre pour d’autres, de réduction des coûts immobiliers ou pour des questions environnementales, les experts s’entendent aussi pour dire que le télétravail fait partie du futur de l’emploi. Sa pérennité dépendra toutefois de la capacité des organisations à trouver comment repenser le travail, car il ne s’agira pas de laisser les employés totalement libres de télétravailler au moment qui leur convient. Il faudra établir des barèmes et respecter le fait que certaines activités demeureront plus productives en présence physique.

«On réalise que c’est simple quand tout le monde est au travail ou que tout le monde est en télétravail. Mais on entrevoit plusieurs défis en mode hybride. Certaines activités exigent la présence physique pour être optimales», constate Sylvain Yelle, directeur général d’Exo.

La solution passera par la capacité à envisager le travail dans les espaces de bureaux comme un complément au télétravail, plutôt que l’inverse. Tel que l’a réalisé Simon De Baene, président de GSoft, une entreprise de logiciels reconnue entre autres pour Officevibe, une plateforme qui aide les gestionnaires à mener des équipes engagées au quotidien,  : «On ne peut plus vivre dans le passé et espérer un retour en arrière. Le futur exige de réinventer nos méthodes de travail, plutôt que d’émuler les façons de faire du passé.»


Note

1 Fowler, Susan. Why Motivating People Doesn’t Work… and What Does, Berrett-Koehler, 2017.