Pour définir les bases d’une organisation, on fait souvent appel au classique trio de la mission, de la vision et des valeurs. Cet exercice incontournable prend habituellement la forme d’une analyse rationnelle des objectifs poursuivis, de la destination où l’on veut se rendre et des qualités à mettre de l’avant pour y parvenir. Toujours pertinent, cet exercice gagne cependant à être nourri par certaines composantes de nature émotionnelle et motivationnelle.

Accéléré par le choc pandémique et la montée des nouvelles générations, un changement est en cours et transforme radicalement la façon d’aborder l’environnement d’affaires et les critères selon lesquels est évaluée la performance des organisations. De plus en plus, les entreprises de partout dans le monde intègrent donc des aspects sociaux et environnementaux à leur mission, au-delà de la traditionnelle rentabilité.

L’explication est simple : la philosophie du rendement à tout prix a démontré ses limites. L’ensemble des parties prenantes – qu’il s’agisse des employés, des clients, des fournisseurs ou des actionnaires – exige désormais que les organisations adoptent une approche plus globale, plus responsable et, surtout, plus authentique. Ces dernières sont donc de plus en plus poussées à réfléchir à leurs motivations et à leur «raison d’être». Il n’est donc pas étonnant de constater la montée en popularité de ce concept, évoqué la première fois au cours des années 1980 par le chercheur R. Edward Freeman dans le cadre de sa théorie des parties prenantes.

Dans le monde entier, des initiatives gouvernementales ou institutionnelles se mettent en place pour encourager les organisations à intégrer dans leur raison d’être des missions ayant des retombées positives auprès de leur communauté. On peut penser, à titre d’exemples, à la loi PACTE en France ou à la certification B Corp. Cette dernière est délivrée par un organisme à but non lucratif avec un processus de certification sur des critères non financiers validant la démarche réellement responsable des organisations.

Retrouver l’essence même de l’organisation

«Que vivons-nous, pourquoi vivons-nous? Quelle est la raison d'être?», chantait Charles Aznavour. Transposée à une organisation, cette quête de sens est une façon de définir la place qu’elle occupe et le rôle qu’elle est appelée à jouer dans son écosystème, le tout en cohérence avec l’ensemble de ses parties prenantes et de sa communauté. La raison d’être réside dans l’essence même de l’entreprise. Elle doit refléter l’impulsion originale derrière le projet, ainsi que ce qui unit et motive son équipe au quotidien, et ce, dans une logique de création de valeur.

Elle se situe ainsi à l’intersection de trois dimensions essentielles :

  1. Le collectif – Générer un effet positif sur la communauté dans laquelle on évolue.
  2. L’écosystème – Susciter une unité de perception de la part de l’ensemble des parties prenantes avec qui on interagit.
  3. L’individu – Inspirer un fort sentiment d’adhésion parmi les personnes qui composent l’équipe et la clientèle de l’entreprise.

Tous ces éléments doivent se retrouver en interaction dans une mouvance collective. L’entreprise n’agit plus en solo ou en vase clos, mais s’inscrit ainsi au sein d’un ensemble cohérent.

La raison d’être de Patagonia est un exemple éloquent : «Fabriquer les meilleurs produits en causant le moindre impact environnemental, utiliser le monde des affaires pour inspirer et mettre en place des solutions à la crise environnementale.» Les actions de l’entreprise sont désormais guidées par un fil conducteur en tenant compte de leur impact social, de leur pertinence au sein de l’environnement d’affaires et de leur crédibilité perçue à l’interne ou dans le public.

La raison d’être devient du même coup un solide outil de gouvernance destiné à arbitrer la définition des axes stratégiques de l’organisation. Elle permet aussi de définir l’évolution souhaitée de l’entreprise sur un horizon à long terme, les objectifs étant établis en fonction d’une orientation qui n’est pas susceptible d’être modifiée au gré d’enjeux ponctuels. Une raison d’être bien définie comporte de nombreux autres avantages, à savoir qu’elle permet d’alléger la prise de décision, de mobiliser les équipes et les partenaires, d’incarner véritablement des convictions et d’attirer ainsi les meilleurs talents. Ce dernier défi étant particulièrement d’actualité.

Ne pas confondre raison d’être et vision

Il serait aisé de confondre la raison d’être et la vision de l’entreprise. Bien que complémentaires, ces deux notions présentent cependant des différences fondamentales, la plus importante étant que la vision est, par définition, subordonnée à la raison d’être. Pour avoir une vision, il faut tout d’abord exister, prendre racine dans cette raison pour laquelle nous existons. La raison d’être représente donc ce grand pourquoi nous existons comme organisation. Alors que la vision comprend les étapes et les moyens à prendre pour atteindre une version idéale de ce que nous voulons devenir, la raison d’être incarne une volonté de répondre à quelque chose dans la durée, car elle est ce qui motive l’existence même de l’organisation.

Des pistes pour définir et faire vivre cette raison d’être

Une part d’intangible réside donc dans cette démarche. Pourtant, le fait de suivre certaines étapes peut augmenter sensiblement les chances d’obtenir de bons résultats. Le plus important semble justement de faire participer les différentes parties prenantes lors de la définition de cette raison d’être.

  1. Retrouver le sens initial de l’organisation ou du projet et les aspirations qui ont mené à sa mise en place.
  2. Poser les questions essentielles : «Quoi? Pourquoi?»
  3. Interroger les parties prenantes.

Ce processus exige d’essayer de mettre de côté les perceptions que nous avons de l’entreprise, de modifier celles-ci dans une prise de conscience de son rôle au cœur d’un écosystème plus grand et plus complexe. Il ne s’agit plus de définir ce que l’organisation peut faire pour optimiser sa création de valeur, mais de déterminer comment cette création de valeur peut être bénéfique à l’ensemble de la société. La création de «cartes des parties prenantes» à l’aide d’ateliers ciblés permet en ce sens de mieux saisir la réalité, les attentes et les perceptions de ces dernières. Au terme de l’exercice, l’entreprise devrait avoir un nouveau regard sur elle-même et sur son rôle au sein de la collectivité.

Être cohérent et fidèle à sa raison d’être

La définition d’une raison d’être est un processus itératif, dont la nature qualitative peut générer un certain degré d’inconfort, notamment lorsque les attentes sont grandes. Tout comme on le ferait pour établir les énoncés de la mission, de la vision et des valeurs d’une entreprise, il faut profiter de cet exercice pour solliciter la participation des différentes parties prenantes. En connectant les aspirations organisationnelles aux aspirations personnelles de chaque individu qui compose l’entreprise, cela permet de donner une impulsion et une réelle motivation aux équipes au quotidien. En plus de permettre à chacun d’y voir plus clair sur les ambitions de l’organisation, cela devrait permettre d’apporter de la clarté quant aux priorités sur lesquelles cette dernière devrait se concentrer.

Attention, toutefois! Puisque la raison d’être se veut un énoncé fort par rapport à l’ADN de l’organisation, il est important qu’il n’y ait pas de déconnexion entre la raison d’être annoncée et la réalité observée sur le terrain. Cela pourrait avoir pour effet inverse de démobiliser les troupes si elles réalisent que cette raison d’être n’est en fait qu’un vœu pieux. Afin d’incarner réellement cette ambition au sein de l’organisation, il faut certes prêcher par l’exemple et décliner cet engagement dans les différentes activités stratégiques de l’entreprise.

Avec de réelles convictions et un dosage approprié de ces différents éléments, la raison d’être est un vecteur puisant pour guider l’évolution future d’une organisation. Lorsque vient le temps d’évaluer la pertinence d’entreprendre une telle démarche, on doit se rappeler qu’il est toujours plus facile de savoir où l’on s’en va lorsqu’on sait qui on est.