Discrimination, intimidation, harcèlement psychologique, agressions sexuelles... De nombreux scandales ont éclaboussé le monde du sport amateur au cours des dernières années. Des mécanismes mis en place pour éviter que de telles situations se reproduisent pourraient inspirer les milieux de travail.

L’affaire Bertrand Charest a bouleversé le Québec. L’ex-entraîneur de ski a été reconnu coupable de 37 chefs d’accusation pour des crimes sexuels commis dans les années 1990 sur neuf skieuses d’élite âgées de 12 à 18 ans. Il a été condamné en 2017 à douze ans de prison. Quatre de ses victimes, Geneviève Simard, Gail Kelly, Anna Prchal et Amélie-Frédérique Gagnon, ont pris la parole dans les médias pour raconter à quel point elles ont souffert de ces crimes, afin de sensibiliser le milieu sportif à l’importance de mieux protéger les jeunes athlètes.

«La pratique sportive a de grands bienfaits pour la santé mentale et physique, mais elle présente aussi un sérieux danger pour les jeunes, malheureusement», affirme d’emblée Urwana Coiquaud, juriste en droit du travail et professeure agrégée au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal.

Un écosystème très complexe

Dans le sport amateur, l’encadrement des parents est important, mais il n’en demeure pas moins que les jeunes athlètes évoluent au cœur d’un écosystème très complexe. «Il y a plusieurs parties prenantes : les entraîneurs, les pairs, les administrateurs des organisations sportives, le corps médical et paramédical, les bénévoles, les spectateurs...», énumère la professeure Coiquaud, qui est aussi membre du Pôle sports HEC Montréal.

Il y a une foule d’endroits où il faut s’assurer que les jeunes athlètes sont bien protégés, que ce soit lors des séances d’entraînement, dans les vestiaires, lors des déplacements pour les compétitions, dans les restaurants et les hôtels, ou encore lorsqu’ils reçoivent des soins, participent aux initiations et passent du temps chez leurs pairs ou chez les entraîneurs. Sans oublier, époque oblige, les réseaux sociaux!

Pour la juriste, cet écosystème est beaucoup plus complexe que les milieux de travail où on trouve, au centre, les employés, l’employeur et parfois, les syndicats, qui se conforment à un contrat de travail. «Un changement de culture peut se produire plus facilement dans les milieux de travail que dans l’écosystème du sport de compétition de niveau amateur.» 

Un spectre des comportements à dénoncer

Le milieu sportif amateur a aussi la particularité d’être centré sur des mineurs entourés de plusieurs personnes en position d’autorité, notamment les entraîneurs, avec qui ils passent beaucoup de temps. Les dérives peuvent prendre plusieurs formes et atteindre aussi différentes proportions.

Il y a d’abord la discrimination. On voit encore, en 2022, les meilleurs terrains réservés aux équipes masculines, déplore la professeure. «Il y a beaucoup de discrimination fondée sur le genre, la couleur de la peau et l’orientation sexuelle, et les personnes homosexuelles se cachent souvent pour éviter des problèmes, poursuit-elle. Des débats sont aussi encore à faire sur la transsexualité. Par exemple, est-ce qu’une personne transsexuelle peut faire partie d’une équipe féminine?»

Dans le milieu sportif, comme dans le reste de la société, il y a encore beaucoup à faire pour mieux éduquer la population en ce qui a trait à la diversité, pense la professeure. «Les jeunes doivent comprendre que c’est une richesse plutôt que quelque chose qui s’oppose à eux. Il y a toutes sortes de vieux réflexes à changer, notamment dans le langage, et cela vaut aussi pour les parents dans les estrades.»

Il y a aussi l’intimidation, qui peut être physique, verbale ou virtuelle. Et le harcèlement, qui se définit comme une conduite offensante, méprisante, hostile, non désirée et, dans plusieurs cas, répétée. «Plus la personne se trouve dans un environnement compétitif, plus elle est à risque de subir du harcèlement, explique Urwana Coiquaud. C’est le cas aussi dans les milieux de travail et c’est surtout vrai lorsque la compétition est malsaine, par exemple, lorsqu’elle pousse les gens à se monter les uns contre les autres.»

La négligence, physique ou émotionnelle, est également à décrier. «C’est le cas, par exemple, quand un entraîneur ne protège pas un athlète blessé qui veut recommencer à s’entraîner avant même d’être guéri ou qui n’encourage pas de saines habitudes de vie», illustre la professeure.

Enfin, il y a les agressions sexuelles. «C’est le paroxysme de ce qui peut se produire de terrible dans la carrière d’un ou une athlète, remarque la chercheuse. Cela détruit tous les acquis extraordinaires d’une carrière sportive, comme la résilience et le sens de l’effort, qui sont d’ailleurs très recherchés sur le marché du travail.»

Les meilleures pratiques pour créer des milieux sains

En 2020, Isabelle Charest, ministre déléguée à l’Éducation et ministre responsable de la Condition féminine, a annoncé une aide financière de 1,4 million de dollars pour favoriser une pratique sportive sécuritaire. Pour assurer une analyse standardisée et objective des plaintes, l’ensemble des fédérations sportives québécoises ont adopté une politique de gestion des cas d’abus et de harcèlement, et créé un poste d’officier indépendant pour recevoir les griefs.

«Le Québec est à l’avant-garde de ce côté, affirme Urwana Coiquaud. Mettre en place un mécanisme commun de dénonciation est une bonne façon de contrer le manque de ressources des petites organisations. Il faut maintenant que les changements percolent dans tous les petits milieux, mais depuis dix ans, les avancées à cet égard sont majeures.»

La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail a, pour sa part, créé un modèle de politique en matière de harcèlement psychologique ou sexuel au travail et de traitement des plaintes pour soutenir les employeurs – surtout les petits, qui n’ont pas cette expertise à l’interne.

«Tout le monde gagne lorsqu’on met en place des mesures de prévention et des séances de formation pour professionnaliser et soutenir les différents intervenants, affirme la professeure. Pour y arriver, le financement est essentiel. C’est ce qui permet de créer des milieux où les gens peuvent s’épanouir en toute sécurité.» Et les jeunes athlètes, comme les travailleurs, en ont grandement besoin.