Mobiliser, performer, gérer la pression : le quotidien des gestionnaires est un numéro d’équilibriste. Pour ceux et celles qui se sentent parfois coincés devant ces exigences, le surcontrôle peut devenir une tentation, voire un réflexe inconscient. La microgestion est-elle vraiment un piège à éviter?

Le micromanagement a d’emblée mauvaise presse. Il se définit comme cette propension à s’immiscer dans l’exécution du travail de ses employés, allant jusqu’à le faire à leur place, créant une tension dans les équipes. Pour Kevin Johnson, professeur titulaire au Département de management et directeur du programme de MBA à HEC Montréal, le micromanagement révèle souvent un mécanisme de défense contre les différents stresseurs que le gestionnaire doit affronter. C’est également un indicateur que la vision du leader n’est peut-être pas claire et cohérente. Les employés auront alors du mal à le suivre. Il aura à intervenir souvent et, donc, à microgérer.

Le chercheur est d’avis que les bouleversements créés par la pandémie ont mis à mal l’identité des gestionnaires, particulièrement lorsque la microgestion est devenue inapplicable. Plongés dans un environnement où le contrôle direct n’était plus possible, beaucoup ont commencé à douter de leur rôle, voire de leur pertinence. «Plusieurs gestionnaires se demandaient comment vérifier que leurs employés se trouvaient réellement devant leur écran. On en était là!»

Aujourd’hui, alors que les employés sont de retour au bureau, il n’y a pas moins de microgestion qu’avant, estime Kevin Johnson. «Il y aura toujours du micromanagement. Il y aura toujours des gens qui ne savent pas quel est leur rôle de gestionnaire. Et il y aura toujours des gestionnaires mal outillés.»

La tentation de tout contrôler

Lorsqu’il est appelé à intervenir dans une équipe aux prises avec des problèmes liés à la gestion des ressources humaines, Kevin Johnson est d’abord attentif aux relations que le gestionnaire entretient avec ses employés. «Si, par exemple, je passe une heure dans son bureau et que, déjà, deux employés viennent parce qu’ils ont besoin de microconfirmations au sujet de décisions qu’ils ont prises, c’est peut-être un hasard, mais c’est peut-être aussi un signal.» Ensuite, il faut élargir, se demander si l’organisation valorise cette façon de faire. Comme l’explique le chercheur, lorsque certains comportements de micromanagement sont encouragés, les personnes qui graviront les échelons auront été choisies parce qu’elles imitent ces comportements. C’est ainsi qu’une culture organisationnelle s’uniformise.

Par ailleurs, la microgestion ne teinte pas invariablement une entreprise dans son ensemble. Il y a des contextes plus propices qui font qu’un gestionnaire sera susceptible de tendre vers ce genre de pratique. Une vision qui manque de clarté et de cohérence risque d’engendrer des interventions plus serrées. «Un gestionnaire va microgérer davantage s’il doit définir sa vision au fur et à mesure qu’il accomplit ses tâches. De même, si sa vision est mal comprise, il sera souvent sollicité pour approuver des décisions, parce que les gens n’arrivent pas à le suivre ou à anticiper ce qu’il veut», précise-t-il.

Dans les situations de changement, où le gestionnaire peut se sentir dépassé par une surabondance de projets ou des objectifs de performance irréalistes, il aura tendance à éteindre les feux, s’ingérant dans les tâches de ses employés, perdant ainsi le recul nécessaire pour exercer son rôle.

Le jeu de l’équilibriste

Avec le micromanagement, on avance parfois dans le flou. Il peut être délicat d’établir la frontière entre l’autonomie souhaitée chez les employés et une approche plus directive. D’une manière ou d’une autre, le gestionnaire doit bien comprendre la teneur de ses responsabilités. «Ça reste une définition des carrés de sable. Des employés nous approchent avec un problème à résoudre? On peut certes questionner, y aller de quelques réflexions, mais on doit aussi éviter de créer de la déception et d’alimenter le cynisme en ne répondant finalement à rien, devant des employés qui cherchent aide, structure et sécurité.» En se révélant et en se positionnant clairement, le gestionnaire permet à ses collaborateurs de saisir ce qu’il attend d’eux. Rien de plus angoissant qu’un gestionnaire imprévisible.

Mais comment se déplacer sur ce mince fil de la bonne gestion? Avant tout, en développant une saine introspection, croit le professeur, qui invite les gestionnaires à s’interroger régulièrement sur leur manière de réagir, sur le type de questions qu’ils posent et sur les interventions qu’ils font auprès de leurs employés. «Nous sommes dans une société perpétuellement essoufflée. Nous ne prenons pas assez de temps pour gérer, anticiper, relever l’incohérence. Et nous continuons de courir dans ce cycle pervers. Prendre le temps de faire de l’introspection, de réfléchir, de prendre du recul, c’est un investissement réel.»

Satisfaire les attentes

Si la microgestion risque d’affecter la performance et la motivation des employés, en plus de perturber l’environnement de travail, elle risque aussi de toucher le gestionnaire lui-même. «Le micromanagement, ce n’est pas agréable pour l’équipe, mais c’est certainement un lieu éprouvant pour soi-même! Manquer de cohérence ou avoir de la difficulté à faire confiance est peut-être signe d’un grand stress», signale Kevin Johnson. Et devant la détresse ou la menace, l’hypercontrôle est un mécanisme de défense.

À l’opposé, le gestionnaire pourrait réagir par l’évitement. «On sera ici dans le leadership du type “laisser-faire”, qui tend aussi vers l’excès. Qu’est-ce qui est préférable : un gestionnaire qui vous suit à la trace sans laisser d’autonomie ou celui, cordial peut-être, qui n’intervient jamais?»

Le micromanagement persistera toujours, car certains employés s’en accommodent et trouvent une certaine sécurité dans ce style de gestion. Cependant, cette approche freine la productivité et peut faire augmenter le taux de roulement du personnel. «Aujourd’hui, les employés souhaitent évoluer et se développer. Or, le micromanagement va à l’encontre des principes de formation continue, essentiels pour attirer et fidéliser les talents», conclut Kevin Johnson. Un pas de recul s’impose donc.

Article publié dans l’édition Printemps 2025 de Gestion