Les entreprises ont adopté depuis plus d’un siècle une succession de modes en management qui visent souvent à rationaliser le travail et à renforcer le contrôle sur les collaborateurs. Cette instrumentalisation a contribué à l’érosion de la confiance dans l’entreprise et à l’épuisement des gestionnaires. Et si on essayait la confiance ?

Singulièrement, depuis au moins une quinzaine d’années, on assiste à une forme d’épuisement des gestionnaires et de leurs équipes, soumis à des règles formelles et à des dispositifs techniques de plus en plus lourds.

D’une part, la profusion d’outils de suivi et le recours souvent excessif à divers processus ont des effets notamment sur la productivité en provoquant du stress, du désengagement vis-à-vis du travail ou de la méfiance.

D’autre part, on peut légitimement craindre que cette gouvernance par les processus, cette « main invisible » de la technostructure, n’ensevelisse les gestionnaires, contraints de consacrer un temps excessif à renseigner de multiples tableaux de suivi. Elle contribue ainsi à affaiblir leur autorité et leur légitimité.

De plus, cette profusion de dispositifs contraignants peut affaiblir la réflexion, pourtant si importante dans un univers d’affaires complexe et incertain.

Cette instrumentalisation des outils de gestion, avec ses règles bureaucratiques et impersonnelles, prive les collaborateurs de leur libre arbitre au regard des clients, des actionnaires ou de toute autre partie prenante. Par surcroît, l’excès de formalisme dans le contrôle renforce la dimension verticale dans la prise de décision avec son cortège de conflits et de luttes de pouvoir. Enfin, ces méthodes de contrôle formel ont tendance à isoler les individus dans l’entreprise et à les faire travailler en silo, en direction opposée d’une société tournée vers la désintermédiation économique et la dématérialisation du savoir, qui poussent à une collaboration transversale.

L’intelligence collaborative et la confiance

Un nouveau cycle managérial porté par des dirigeants éclairés émerge progressivement avec des formes certes variées mais fondées sur des croyances fortes. Intériorisées et mobilisées par les gestionnaires, ces nouvelles formes peuvent être condensées dans une formule simple mais puissante : la confiance rapporte plus que le contrôle !

Cette profonde conviction est très éloignée de toute forme d’incantation ou de rhétorique. Elle se forge et se déploie à travers la combinaison d’une culture de collaboration, de responsabilisation des personnes et d’autonomisation des groupes. Autrement dit, il ne sert à rien d’infantiliser les individus. Il convient au contraire de sortir de l’épuisement grâce au partage de la connaissance et à la collaboration dans des logiques de réseau où les gains de productivité peuvent prendre une dimension collective.

Pour tourner le dos à plus d’un siècle de bureaucratisation et de rationalisation, il convient d’accorder plus d’importance, par exemple, à la mobilisation de l’intelligence collaborative des acteurs autour de projets innovants et porteurs de sens. Le tout doit idéalement être inspiré et piloté par une forme de leadership partagé et, en somme, fondé sur de l’exigence, mais combiné avec de l’écoute, du respect et de la bienveillance.

L’avenir est un perpétuel recommencement de l’histoire et il convient de faire preuve de bon sens dans la gestion d’équipe en accordant plus de place à l’horizontalité des échanges dans la prise de décision par le don, le troc et la négociation, la réciprocité et la solidarité.

Dès lors, la performance de l’entreprise réside dans la capacité d’insuffler de la confiance, ce qui n’est pas simple, car cet actif si précieux n’est pas une ressource ordinaire qui s’achète, se stocke ou se transfère au gré des besoins.

Quelques principes et conditions pour agir en confiance et transformer ses pratiques

Il n’existe pas – et c’est heureux – de modèle type pour effectuer cette transformation et insuffler de la confiance. Par contre, il existe des principes forts. En voici quelques-uns, constatés dans le cadre de nos observations attentives et de nos investigations récentes dans une trentaine de grands groupes français engagés activement dans cette transformation.

De la confiance au bien commun

Tout d’abord, il faut faire d’emblée, tel un don initial et inspirant, le pari d’une présomption de confiance. Ensuite et conséquemment, il faut reconnaître, favoriser et susciter la valeur collaborative de l’échange et du partage. Enfin, il faut déployer des dispositifs de contrôle et des processus de manière raisonnable et tempérée. À partir du moment où ces principes sont respectés, sans possibilité d’arbitrage vertical, les collaborateurs deviennent plus solidaires et plus respectueux. En d’autres termes, les managers dans l’entreprise doivent impérativement réinventer leurs pratiques. Ils doivent inspirer et entretenir la confiance en cultivant les relations de proximité sociale, intellectuelle et affective avec les collaborateurs et en étant capables de capitaliser sur ces liens interpersonnels pour le bien commun de l’entreprise.

Il est donc clair que la confiance entre les acteurs, qui doit largement inspirer ce nouveau cycle managérial plus collaboratif et transversal, comporte au moins trois dimensions. La première dimension, à caractère affectif, fait référence à la confiance bienveillante, à la loyauté et à la franchise. La deuxième dimension, à caractère cognitif, renvoie à la confiance dans les compétences d’un acteur partenaire, notamment au fait de pouvoir combiner correctement et efficacement ses compétences avec celles d’autres membres d’une production collaborative. Enfin, il importe de souligner une troisième dimension particulièrement sensible : la confiance dans les intentions, au sens où lesacteurs qui collaborent ou coopèrent n’utilisent pas leurs savoirs et leurs pratiques professionnelles pour leur seul usage personnel mais bien dans le but conscient d’en faire bénéficier tous les membres du collectif.

Naturellement, pour accompagner ce changement de cycle et conduire la transformation de l’entreprise, le rôle du dirigeant est fondamental dès le départ. Pour éviter que la transformation horizontale ne renforce les jeux d’acteurs et les conflits d’intérêts en l’absence de mécanisme régulateur, le dirigeant doit communiquer une vision claire et donner le cap à ses collaborateurs en donnant l’exemple. C’est ce qui va fédérer, donner de la cohérence et du sens à l’ensemble.

Le défi de l’horizontalité

En réalité, la question n’est plus de savoir s’il faut fonctionner de manière plus collaborative dans l’entreprise mais comment il convient de faire adhérer les collaborateurs à un jeu politique plus horizontal que vertical. Cette transformation est plus compliquée à mettre en œuvre qu’à énoncer, car les collaborateurs sont attachés à des repères, à des codes et à des conventions qui relèvent consciemment ou tacitement de l’arbitrage d’une autorité supérieure. Pour rompre avec ce modèle, il faut donc déconstruire le pouvoir et ses représentations, ce qui demande énormément d’efforts et de persévérance. Cette transformation n’est pas un processus naturel : elle se construit souvent dans la douleur pour la plupart des collaborateurs, qui acceptent alors de renoncer aux formes de reconnaissance sociale établies par la domination hiérarchique, le pouvoir d’expertise ou la légitimité technocratique.

Il s’agit donc d’un programme dense, mais il pourra être extrêmement bénéfique pour les gestionnaires qui s’y engageront avec leurs équipes.

Pour aller plus loin

  • Bouchez, J.-P., L’Entreprise à l’ère du digital – Les nouvelles pratiques collaboratives, Louvain-la-Neuve, Éditions De Boeck, 2016, 336 p.
  • Assens, C., Réseaux sociaux, tous ego ? Libre ou otage du regard des autres, Louvain-la-Neuve, Éditions De Boeck, 2016, 208 p.