Article publié dans l'édition printemps 2017 de Gestion

Les innovations rendues possibles grâce aux récents progrès de l’intelligence artificielle sont vastes et pourraient avoir des répercussions sociales et industrielles majeures. Qu’est-ce qui distingue les techniques de l’intelligence artificielle moderne ? Comment les entreprises pourraient-elles bénéficier de ces avancées ?

Depuis le début de 2016, les progrès de l’intelligence artificielle (IA) ont été décrits et analysés dans des publications aussi variées que The Economist, Rolling Stone, Time et Fortune sous des titres accrocheurs comme « La révolution de l’intelligence artificielle » et « IA : la marche des machines ». Au-delà des scénarios de science-fiction où les machines intelligentes se retournent contre leurs créateurs, l’intelligence artificielle progresse à grands pas et permet de concevoir et de réaliser des systèmes de plus en plus impressionnants. Certaines personnes, notamment Elon Musk, fondateur de Tesla et de SpaceX, estiment par exemple que les voitures sans conducteur seront au point d’ici deux ans. 


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IA- volvo

Certaines personnes estiment que les voitures sans conducteur seront au point d'ici deux ans. Ci-dessus: une vision imaginée par Volvo en 2015.

Photo: Volvo

Avant tout, l’intelligence artificielle est une discipline scientifique qui combine l’informatique, les mathématiques, l’ingénierie et la statistique. C’est un domaine de recherche auquel se consacre une communauté universitaire depuis plus de 50 ans. Cette science au goût du jour a vu ses performances croître de manière prodigieuse en grande partie grâce au big data et à la puissance de calcul des ordinateurs modernes.

Des techniques d’apprentissage

Depuis une dizaine d’années, l’intelligence artificielle progresse à pas de géant en grande partie grâce à l’apprentissage automatique (machine learning) et plus particulièrement aux techniques d’apprentissage profond (deep learning).

Les algorithmes d’apprentissage automatique « apprennent » en extrayant des connaissances opérationnelles à partir de données (c’est donc un apprentissage inductif). Par exemple, de tels algorithmes peuvent extraire les préférences de clients d’une entreprise à partir de leurs transactions antérieures. On utilise ensuite ces algorithmes pour généraliser les résultats à de nouvelles situations similaires (soit, dans l’exemple précédent, pour prédire les préférences futures des mêmes clients). Par rapport à la statistique classique, qui s’intéresse d’abord à la compréhension des données et notamment à leurs relations causales – c’est-à-dire à démontrer ce qui cause quoi –, l’apprentissage automatique se concentre sur la qualité des prédictions, au détriment éventuel de l’interprétabilité des paramètres estimés.

L’apprentissage profond est inspiré par la structure du cerveau humain et, comme celui-ci, utilise des réseaux de neurones. Les neurones sont organisés en plusieurs couches qui utilisent toute l’information de la couche précédente, d’où la notion de profondeur. Ces réseaux ne sont évidemment qu’un modèle très simplifié de notre cerveau, mais ils ont la particularité de pouvoir utiliser leurs couches pour représenter les connaissances acquises à différents degrés d’abstraction. Par exemple, à partir de données transactionnelles, un réseau de neurones peut représenter, avec ses premières couches, les caractéristiques des articles que les clients aiment se procurer. Ces caractéristiques sont combinées par les couches suivantes pour représenter des groupes d’articles souvent achetés ensemble. Les couches finales combinent ces groupes pour représenter le profil d’acheteur de chaque client.

Les progrès en apprentissage profond ont permis d’améliorer la performance des algorithmes d’apprentissage dans des tâches de perception jugées particulièrement difficiles pour les ordinateurs. Par « perception », on entend ce qui est relié aux cinq sens humains. Le champ de la vision par ordinateur consiste à comprendre le monde qui nous entoure à l’aide d’images et de vidéos, un peu comme l’appareil visuel humain le permet. Les algorithmes d’apprentissage profond surpassent maintenant les êtres humains dans certaines tâches de reconnaissance d’objets. La reconnaissance de la parole constitue aussi un terrain fertile : les meilleurs outils de reconnaissance récents (par exemple ceux des téléphones intelligents) utilisent l’apprentissage profond.

IA- robot Panasonic

L’utilisation expérimentale des robots de livraison autonomes Hospi de Panasonic a débuté en février 2015. Équipés de capteurs, ces robots sont programmés avec les données cartographiques de l’hôpital afin d’éviter les obstacles tels que les patients en fauteuil roulant et d’effectuer des livraisons dans le cadre d’une supervision minimale.

Photo: Istock - Panasonic 

La reconnaissance de la parole constitue un terrain fertile : les meilleurs outils de reconnaissance récents (par exemple ceux des téléphones intelligents) utilisent l’apprentissage profond.

La contribution du big data

Par définition, les algorithmes d’apprentissage automatique dépendent en grande partie de la qualité et de la quantité de données disponibles pour chaque tâche à réaliser (par exemple le nombre de transactions par client et leur granularité, ou la taille d’une base de données d’images). Plus les connaissances requises pour effectuer une tâche sont vastes, plus la quantité de données requise l’est aussi. En contrepartie, plus les données sont abondantes, plus il est possible d’extraire des connaissances complexes menant à des algorithmes plus précis et plus performants.

Parmi toutes les techniques d’apprentissage machine, l’apprentissage profond est pour l’instant celle qui permet le mieux d’extraire des connaissances complexes à partir de données volumineuses. Le big data ainsi que la croissance des capacités de calcul sont donc essentiels aux récentes percées en intelligence artificielle.

Les répercussions de l’IA en entreprise

Nombre de grandes entreprises dans le secteur technologique profitent déjà des avancées récentes en IA. Le PDG de Google, Sundar Pichai, promet d’ailleurs d’utiliser l’apprentissage automatique de manière systématique dans toute sa gamme de produits. Grâce à des acquisitions d’entreprises en démarrage et au recrutement ciblé, ces grandes entreprises, notamment Google, Facebook, Amazon, Microsoft, Twitter et Nuance, développent leur potentiel de recherche et de conception d’algorithmes et de systèmes d’intelligence artificielle. Toute personne qui interagit avec les technologies de ces sociétés bénéficie donc déjà de certains des progrès attribuables à l’intelligence artificielle. De plus, le transfert d’innovation en production industrielle peut être rapide : il a suffi de deux ans pour que les plus récents téléphones soient dotés des algorithmes de reconnaissance de la parole.

Les algorithmes d’intelligence artificielle ne sont pas réservés aux grandes entreprises. Un grand nombre de petites entreprises proposent un produit phare basé sur l’intelligence artificielle. Ce n’était pas le cas il y a encore quelques années, alors que l’IA était souvent un outil secondaire utilisé pour améliorer un produit existant.

En général, la collecte et le stockage de données sont des tâches à la portée d’entreprises de toute taille œuvrant dans des domaines variés. Un certain nombre d’avancées récentes en intelligence artificielle offrent la possibilité d’appliquer des algorithmes existants à ces données volumineuses pour en extraire des informations pertinentes. Il est aussi possible que des méthodes récentes améliorent la performance d’algorithmes prédictifs d’une génération précédente.

L’automatisation de la prise de décision

Les techniques d’intelligence artificielle nous permettent d’automatiser l’extraction de connaissances à des fins prédictives. Dans un deuxième temps, ces prédictions peuvent être utilisées pour prendre de meilleures décisions. Par exemple, en fonction des préférences prédites de clients, on peut déterminer la taille des commandes pour chaque article disponible et l’offre personnalisée destinée à chaque client. Il existe aussi des algorithmes qui automatisent les prédictions et les décisions. Les voitures sans conducteur sont un bon exemple de ce genre de système. Ce type d’automatisation est de plus en plus étudié dans le monde universitaire.

Bref, si le passé est garant de l’avenir, de multiples applications industrielles devraient voir le jour sous peu.


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Montréal, plaque tournante de l’IA: Campus Montréal, qui regroupe l’Université de Montréal, Polytechnique et HEC Montréal, ainsi que l’Université McGill sont au cœur des découvertes actuelles en intelligence artificielle. Le professeur Yoshua Bengio, du Département d’informatique et de recherche opérationnelle de l’Université de Montréal, est un pionnier dans ce domaine. En effet, il est un des trois chercheurs dont les travaux ont constitué l’étincelle créatrice qui a mené à l’engouement récent pour l’intelligence artificielle (les deux autres étant Yann LeCun, professeur à l’université de New York et chercheur chez Facebook, et Geoffrey Hinton, professeur à l’université de Toronto et chercheur chez Google). Le gouvernement du Canada a d’ailleurs reconnu le rôle primordial de Montréal dans ce domaine en accordant une subvention de près de 100 millions de dollars à Campus Montréal. Cette subvention, qui a été accompagnée d’une somme équivalente provenant de partenaires industriels, est gérée par l’Institut de valorisation des données (IVADO) de Campus Montréal, qui doit notamment contribuer à la synergie entre les secteurs universitaire et industriel. Ces recherches font aussi leur chemin vers la conception d’applications industrielles. Un écosystème industriel montréalais en IA commence d’ailleurs à voir le jour.