Photo : Maude Chauvin

Depuis son arrivée à la barre de BAnQ, en juillet 2021 – nomination qui avait fait grand bruit dans les médias à l’époque –, Marie Grégoire a su mobiliser son équipe autour de sa vision de ce que doit être une société apprenante. Si ce changement de carrière a pu étonner, la politicienne, entrepreneure, femme de médias et gestionnaire aguerrie continue de mettre son énergie légendaire et ses expériences variées au service de son désir de bâtir un monde meilleur.

L’histoire entrepreneuriale de sa famille – qui a racheté la marque A. Richard en 1943 – et l’engagement de ses parents dans leur communauté ont forgé la petite Marie, une enfant vive et bouillonnante d’idées. Poussée par un fort besoin d’autonomie, elle aspirait à être entrepreneure et tentait de fabriquer des parfums en laissant macérer des fleurs dans l’eau, avec l’idée de les vendre. «Évidemment, ça pourrissait, raconte-t-elle en riant. Mais je réessayais, je persévérais. Plus tard, vers l’âge de 12 ans, j’ai décidé d’aller cueillir des fraises, mais je faisais tellement d’allergies que je me suis évanouie dans les champs! Ensuite, j’ai vendu mes services de peintre en bâtiment et j’ai repeint les balcons de tous les membres de ma famille!»

Toujours prête à participer, première à lever la main, elle s’est très tôt engagée dans des organismes communautaires, à l’instar de son père, conseiller municipal, président de la ligue de hockey mineur ou du club Richelieu, et de sa mère, bénévole investie à l’école et conductrice-accompagnatrice dans sa communauté. «Pour moi, l’engagement se concrétise autant dans les petits gestes que dans les grands, parce que c’est en additionnant tous ces gestes qu’on fait une différence», croit celle à qui on a déjà reproché de mettre trop de l’avant ses engagements par rapport à ses réalisations professionnelles dans son CV. «C’est pourtant ce qui témoigne de qui je suis, ce qui influence ma façon de comprendre le monde et de prendre des décisions.»

L’idéaliste pragmatique

Après avoir peinturé toutes les terrasses du voisinage, Marie Grégoire commence à emballer des lames dans l’entreprise familiale d’une centaine d’employés qui fabrique des couteaux industriels. Elle travaille ensuite dans l’usine. Puis, jeune étudiante en communication, elle est responsable du marketing. Pour elle, ce sont des années d’apprentissage extraordinaires, notamment en ce qui a trait au fonctionnement global d’une organisation.

Elle crée par la suite une petite boîte de publicité, Creacom 6e sens, et devient successivement cadre chez Bell, IBM et Desjardins sécurité financière, où elle développe des projets avec cette fougue entrepreneuriale qui fait sa force.

En parallèle, elle s’implique dans la formation d’un nouveau parti politique, l’Action démocratique du Québec (ADQ), car, selon elle, l’engagement ultime, lorsqu’on aspire à changer le monde, c’est bien de travailler à cet endroit où l’on peut modifier les lois.

Désormais, la politicienne devra composer avec la vie publique. «Chacune de nos expériences nous fait grandir, souligne Marie Grégoire, consciente que c’est son parcours atypique qui lui a permis de développer ses compétences et de forger sa résilience et son humilité. Dans tout ce que j’ai choisi de faire, j’ai toujours cherché à contribuer dans mon milieu, mais certainement pas à devenir une personnalité publique, une des choses les plus lourdes et les plus dures à porter.» D’autant plus qu’on se met une énorme pression et qu’on ne veut surtout pas décevoir.

Oui, Marie Grégoire est une grande idéaliste. «Une idéaliste pragmatique, insiste-t-elle. J’aime prendre des décisions qui sont appuyées par des données et des indicateurs de performance. Je crois au processus d’amélioration continue, avec l’intention de toujours s’élever. Je suis très attachée à une saine gestion. Comme j’ai été entrepreneure, j’ai envie de créer de la richesse pour mieux la partager. Je voudrais m’assurer que tout le monde ait sa chance et que chacun puisse développer son plein potentiel.»

Visiblement, le sujet l’enflamme et lui tient à cœur. Elle parle de L’Itinéraire, ce magazine de rue dont la mission vise la réinsertion sociale des personnes marginalisées. Elle a d’ailleurs participé à l’événement «Camelot d’un jour», dont BAnQ était l’hôte à l’automne 2024. Selon elle, cet organisme contribue vraiment à l’équilibre social. «Il donne des chances à des gens qui ont des conditions de vie précaires. Ce jour-là, j’étais jumelée avec une dame qui a traversé une période d’extrême instabilité́. À L’Itinéraire, elle a débuté en tant que camelot. Maintenant, elle y écrit des articles! D’autres deviennent coordonnateurs ou employés du magazine.»

Les 3 choses qui ont changé ma carrière

L’entreprise familiale

La fibre entrepreneuriale est très forte, dans ma famille. J’ai été marquée par l’histoire de mon grand-père, par sa vision pancanadienne du marché, même en 1943 et en temps de guerre. J’ai vu mes parents travailler, s’engager. Le fait de m’impliquer moi-même dans l’entreprise pendant plusieurs années m’a donné beaucoup d’autonomie et une compréhension globale de ce qu’est une organisation.

La politique

Mon engagement politique représente à la fois un fardeau et une incroyable ouverture sur un horizon de possibilités. Un fardeau, parce que, lorsque tu entres dans la vie publique, tout le monde t’observe : les gens scrutent ta manière d’agir avec ton fils, ce que tu fais, ce que tu manges, ton habillement, tes cheveux, tes lunettes. Mais la politique, quand on veut changer des choses, c’est un endroit où l’on peut vraiment essayer de le faire. C’est aussi grâce à mon passage en politique que j’ai ensuite fait carrière dans les médias.

BAnQ

J’ai une carrière en perpétuel changement, mais mon rôle à BAnQ me permet d’exploiter la somme des expériences acquises, de combiner les forces que je tire de mon idéalisme, de mon désir d’engagement et de mes capacités de gestionnaire. Et ce n’est pas fini! 

Un parcours pluriel

Forte de tout son bagage et toujours motivée par la volonté de contribuer à une société meilleure, Marie Grégoire a été happée par le grand vacarme médiatique causé par sa candidature au poste de PDG de BAnQ. L’entrepreneure et politicienne regrette que la complexité de son parcours professionnel en ait, en quelque sorte, occulté la pertinence, elle qui a aussi œuvré dans l’univers des médias pendant une quinzaine d’années, collaborant notamment à l’émission Le club des ex et au quotidien Métro, tout en assurant la vice-présidence de Tact Intelligence-conseil.

«En général, on aime mettre les gens dans des cases. Quand tu as un profil très éclaté, c’est encore plus tentant de te cantonner dans une catégorie précise, parce qu’on ne sait pas trop comment te définir. Moi, je n’ai pas du tout envie d’être mise dans une petite boîte! Certains me voient comme une politicienne; d’autres, comme une personne des médias; d’autres encore, comme une gestionnaire. Mais les gens attachent rarement toutes ces expériences ensemble. Pourtant, je suis tout ça, et plus encore!»

Heureusement, à son arrivée à BAnQ, le comité de direction l’a accueillie et soutenue. «Je me suis dit : je vais leur montrer qu’ils ont eu raison de me faire confiance!»

Autour d’elle, il y a des gens bienveillants qui la soutiennent et la conseillent. De son côté, elle se fait un devoir d’être à l’écoute, attentive. « Dès mon arrivée en fonction, une personne m’a suggéré de m’ancrer rapidement dans l’organisation.» Elle décide alors de faire une tournée de toutes les équipes sans les directeurs généraux, ce qui bouscule les façons de faire dans une organisation où la hiérarchie est très établie. «Je leur ai expliqué pourquoi je le faisais. J’ai pu échanger librement avec les gens. Ça m’a permis de saisir les enjeux, de comprendre concrètement l’institution.»

Comme dirigeante, Marie Grégoire s’expose et prend alors le risque de se faire dire des choses désagréables ou déstabilisantes. «Mais c’est ce qui m’a permis de m’enraciner réellement », dit-elle. Depuis, forte de cette expérience, elle a répété l’exercice chaque année.

Trois ans plus tard, elle parle avec fierté de tout ce qui permet, à BAnQ, de développer cette «société apprenante», une vision qu’elle porte avec enthousiasme et qu’elle partage avec qui veut l’entendre. «Nous avons un Fab Lab, un nouveau type d’apprentissage qui permet aux citoyens de se familiariser avec de nouvelles technologies et de concrétiser un projet ou de créer le prototype d’un concept. Nous organisons aussi un évènement annuel, L’audace des possibles, afin de stimuler le partage d’idées et le réseautage, toujours dans la vision d’une société́ apprenante. Et nous organisons une semaine du numérique.» Ces initiatives ne sont que quelques manières de mobiliser son organisation et de déployer la vision que Marie Grégoire avait en tête en arrivant à BAnQ.

La vision d’une société moderne

L’approche d’une société apprenante n’est pas nouvelle. Nombre de chercheurs de partout dans le monde s’y intéressent, dont le Français François Taddei, qui se consacre aux sciences de l’apprentissage et à une «planète apprenante». Inspirée, Marie Grégoire évoque les partenariats tissés pour alimenter cet élan. «À BAnQ, nous travaillons avec l’UQAM pour faire du Quartier latin un quartier apprenant. Nous allons à la rencontre des organismes communautaires et d’autres groupes pour tisser ce réseau. Nous collaborons aussi avec l’Université Laval, qui s’intéresse au processus d’apprentissage tout au long de la vie pour multiplier les manières d’apprendre. Nous croyons à cette conception d’un Québec apprenant.»

Pour la PDG, l’objectif de construire, par mille initiatives, une société où les individus ont les outils pour apprendre toute leur vie durant, développant leur sens critique, leur capacité d’analyse et de réflexion, c’est entre autres pour répondre aux menaces qui nous guettent. «Il y a d’abord le déséquilibre des pouvoirs, notamment ceux des GAFAM, qui passent, grattent, ramassent les données, et se les approprient pour les contrôler et s’enrichir. Il faut retrouver un équilibre des pouvoirs. Ici, à BAnQ, nous avons un patrimoine documentaire et littéraire qui peut être mis à contribution et offert à une société où l’on apprend tôt dans la vie, où l’on apprend à apprendre, où l’on apprend toute sa vie. C’est cette agilité qui nous permettra de faire face aux nouveaux défis.»

L’un de ces défis, c’est l’intelligence artificielle, qui est, selon elle, à la fois un outil et une menace. «À BAnQ, l’IA nous aide à traiter plus de documents, à enrichir notre corpus documentaire et à le rendre plus facilement accessible. Mais l’IA représente aussi un danger, avec ce qu’on sait des risques de désinformation. Notre rôle, c’est d’outiller le citoyen, de lui donner des repères, des moyens de se poser des questions, et de trouver des réponses adéquates.» Une vaste mission, mais Marie Grégoire est une idéaliste pragmatique déterminée et engagée.

Dans la tête de Marie Grégoire

La première chose que vous faites en vous levant le matin?

Lire les journaux. C’est une habitude de longue date. Je suis convaincue que comprendre le monde dans lequel on vit est essentiel pour prendre des décisions.

Qu’est-ce qui vous donne de la satisfaction?

Avoir l’impression de faire une différence, d’avoir de l’impact.

Y-a-t-il une question qui vous tourmente?

Il y en a plein! Une qui résume plusieurs de mes préoccupations, c’est comment conserver une emprise, en tant qu’humains, sur nous-mêmes, sur la société, sur la planète. Comment, par exemple, empêcher l’IA de déraper? Je suis aussi très préoccupée par l’effritement actuel de la démocratie. Le meilleur moyen de la défendre, c’est l’éducation, le fait de donner des outils aux citoyens pour leur permettre de prendre des décisions éclairées... Et tout ça passe par une société apprenante!

La chose la plus dure qu’on vous ait dite?

Ah, il y en a plusieurs, mais la plus dure, c’est sûrement que je prends de la place! Et cela a même débuté à l’école primaire, où je me suis fait intimider. Le paradoxe, c’est que je ne veux pas prendre de la place; j’essaie de me faire petite, mais mon énergie, ma passion, ma détermination dérangent. Il y a des gens qui me perçoivent comme intimidante; cela m’attriste, car j’aime qu’on discute ensemble, qu’on me «challenge».

Qu’est-ce que le courage?

On parle beaucoup de courage. C’est idéalisé, en quelque sorte. Pour moi, une valeur forte, c’est la cohérence. C’est également une qualité que je recherche chez mes collaborateurs.

Que diriez-vous à la jeune Marie?

Que la vie est remplie de surprises! Qu’il n’y a pas de chemin tracé d’avance. Et que c’est bien ainsi, même si c’est parfois difficile.

Votre principal conseil aux jeunes qui veulent avoir de l’influence?

De ne pas rechercher à avoir de l’influence, justement! Je leur suggèrerais plutôt de cibler ce qu’ils désirent accomplir grâce à leur influence.

Article publié dans l’édition Hiver 2025 de Gestion