«Le travail c’est la santé», dit le proverbe… Or, lorsqu’on se penche sur le quotidien des employés, on n’entend pas le même son de cloche, bien au contraire. Tour d’horizon de ce qui nous mine.

Parmi tous les maux auxquels font face les travailleurs, l’épuisement professionnel est sans aucun doute celui qui est le plus généralisé. Plombés par la fatigue, tant sur le plan physique que psychologique, les employés font aussi face à l’ennui, que l’on commence à mieux connaître sous le terme de bore-out.

Sans surprise, la perte de sens et la démobilisation se traduisent par de l’absentéisme et du présentéisme, alors que d’autres ont plutôt recours au mensonge en milieu de travail.

Les femmes et les jeunes plus touchés

De l’avis d’Émilie Ruffin, consultante principale et leader EDI chez Humance, l’épuisement professionnel est l’un des maux qui affligent fréquemment les employés et dont les conséquences coûtent le plus cher aux entreprises. Plusieurs études récentes sont particulièrement alarmantes. Ainsi, un rapport de la firme Visier publié en 2021[1] indique que 89% des employés estiment avoir vécu un burn-out en 2020. Certes, ces résultats peuvent s’expliquer en partie par la pandémie, mais une autre recherche mentionne que 53% des travailleurs disent ressentir de l’épuisement sur une base quotidienne ou hebdomadaire[2], alors que 60% des professionnels des ressources humaines estiment subir des niveaux de stress plus élevés aujourd’hui qu’il y a trois ans[3].

Ce sont d’ailleurs les femmes et les jeunes générations qui payent le prix fort, puisque 42% des travailleuses (comparativement à 35% pour leurs collègues)[4] et 59% des millénariaux[5] (comparativement à 31% pour les baby-boomers) rapportent avoir souffert d’épuisement.

Pour les entreprises, les retombées négatives sont énormes : absentéisme, démobilisation, taux de roulement anormalement haut, sans parler du lourd tribut en matière de santé physique et mentale des employés. «Ce sont des indices très clairs que quelque chose ne tourne pas rond dans les équipes. Les gens peuvent aussi se montrer davantage irritables, s’isoler et ne plus être en mesure d’atteindre les objectifs fixés», ajoute Émilie Ruffin.

Un constat que pose aussi Estelle Morin, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal. «On peut également remarquer un climat de travail constamment tendu, une diminution de la contribution des employés et de la performance, et davantage de départs volontaires», précise-t-elle.

Série – Les maux du travail

Les sources du malaise

Comment expliquer ce malaise? Émilie Ruffin pointe du doigt le stress, la surcharge de travail, mais aussi la perte de sens. «On constate qu’il y a une forme de déception chez les employés, en raison de l’écart entre ce que l’entreprise semblait leur offrir et ce qu’ils vivent concrètement. Ils veulent se sentir utiles, intégrés, mobilisés, bénéficier d’une relative marge de manœuvre dans la prise de décision», explique-t-elle. Lorsque ce n’est pas le cas, la désillusion s’installe.

Jennifer Gabriele, associée, développement des leaders et des équipes chez Humance, souligne également que la pénurie de main-d’œuvre pèse lourd dans la balance, car certains doivent assumer pendant de longs mois la charge de travail reliée aux postes que l’on n’a pas réussi à pourvoir. «Les conflits en milieu de travail, le sentiment de stagner professionnellement et le manque de transparence du leadership font également partie des autres grands défis au sein des organisations», prévient-elle.

Elle estime que la surcommunication et la sursollicitation, l’incertitude reliée au retour au travail en mode présentiel ainsi que la charge mentale excessive et la nécessité de s’adapter constamment constituent d’autres facteurs aggravants.

Ce que peuvent faire les gestionnaires

Replacer le bien-être au travail au cœur de la stratégie d’affaires et s’employer à construire des équipes saines et inclusives font partie des pistes de solution, soutient Émilie Ruffin. «Les gestionnaires devraient rester alertes et connectés humainement avec leurs employés, afin d’être en mesure de détecter les signaux annonciateurs et de prévenir les problèmes plus graves avant qu’ils ne se surviennent», conseille-t-elle.

Il faut aussi donner l’exemple en s’accordant à soi-même des pauses et en valorisant les moments de repos. Émilie Ruffin recommande également de respecter la charge de travail des autres, et d’éviter d’envoyer des courriels en dehors des heures de bureau notamment. «Assurer la clarté des rôles et l’alignement avec les valeurs de l’entreprise et appliquer équité et justice tout en se méfiant de ses propres biais sont d’autres clés pour assurer un climat organisationnel sain», fait-elle valoir.

À ce sujet, elle dénonce les cultures et les «stars» toxiques (patrons, gestionnaires) et préconise plutôt le leadership authentique, inclusif et inspirant. «On regarde les leaders, on les écoute et on les copie. Il faut donc être conscient qu’ils constituent des modèles pour leurs équipes», conclut-elle.


Notes

[1] Visier, The Burnout Epidemic Report, 2021.

[2] Engage Rocket, Research Report, The State of Employee Experience, 2021.

[3] McLean & Company, Trends Report, 2022.

[4] McKinsey & Company, 2021.

[5] Indeed, 2021.