Traffic, c’est l’histoire d’une rivalité entre groupes de médias numériques, à savoir qui attirerait le plus de clics, de vues, de mentions «J’aime», de partages, de commentaires et... de plaintes! En racontant la quête de puissance de Gawker, HuffPost et BuzzFeed, l’auteur Ben Smith dévoile les secrets de ceux qui ont conspiré pour inventer la viralité sur Internet.

Le trafic en ligne est un enjeu majeur pour les entreprises en général et pour les médias en particulier. Derrière lui se jouent toutes sortes d’influences et de manipulations. Les protagonistes du livre, que l’auteur appelle des «génies», sont Nick Denton, le fondateur de Gawker Media, et Jonah Peretti, l’entrepreneur qui a fondé HuffPost et BuzzFeed, et qui est aussi l’ancien employeur de Smith. Pourquoi les médias qu’ils ont créés ont-ils connu un déclin après une fulgurante ascension?La guerre du trafic

Au moment d’écrire Traffic, Ben Smith tient une chronique dans le New York Times. Il est rédacteur en chef de Semafor, un site d’information mondiale, après avoir été le rédacteur en chef fondateur de BuzzFeed News pendant huit ans. À l’image des influenceurs, ces médias numériques attribuent la valeur de leur marque à l’attention suscitée par leur contenu. Le récit débute en 2001 avec Jonah Peretti, qui veut contrôler Internet en maîtrisant cet outil qui sert au trafic. Quant à Nick Denton, il gérait tout un réseau de blogues différents en se basant sur le principe que les idées sont monétisables grâce au trafic. Leur génie, selon l’auteur, est d’avoir observé des choses que personne d’autre n’avait vues avant eux.

Smith, B., Traffic: Genius, Rivalry, and Delusion in the Billion-Dollar Race to Go Viral, New York, Penguin Press, 2023, 352 pages. 

Contrôler Internet?

«Nous inventions les médias numériques», s’enthousiasme Smith. Mais que ces gens prétendent-ils avoir réellement inventé ? Une façon de «mesurer la culture», celle-ci résultant du succès que remportent les blagues ou de l’indignation qu’elles suscitent. Quel talent ces gens avaient-ils? Jonah Peretti savait, par exemple, diriger et rediriger les vagues d’influence en ligne et déterminer si tout ce trafic devait – ou pouvait – être mis au service de l’activisme, de la politique, des affaires ou simplement du plaisir. Pour résoudre les problèmes de trafic du Huffington Post, il crée alors le laboratoire Skunk Works pour étudier le comportement viral en ligne. Quant à Nick Denton, il s’est bâti une réputation de pionnier éditorial. Il a fondé Gawker Media en intégrant le site féministe Jezebel, le site Beltway Wonkette et le site sportif Deadspin.

Succès ponctuel ou durable?

Les deux protagonistes ne partageaient pas la même vision du trafic. «Denton recherchait dans le temps des chiffres cohérents qui étaient signes de qualité éditoriale et de communauté de lecteurs. Peretti était en quête de succès ponctuels, sans se soucier du goût, de la qualité, de la marque ou de la cohérence, mais avec une conscience aiguë de la réaction émotionnelle des internautes», souligne l’auteur.

La grande illusion

En fin de compte, la grande illusion était d’imaginer que le trafic aurait une valeur réelle, tel du pétrole numérique, grâce à l’augmentation des vues et à la vente de publicités. «Le problème, c’est que les marchandises sont définies par la rareté et que le trafic s’est avéré illimité. Les entreprises qui ont vraiment affiné les ventes sont Google et Facebook», conclut Ben Smith.

Article publié dans l’édition Hiver 2025 de Gestion