Les grandes entreprises dirigent notre monde, mais sait-on qui dirige les grandes entreprises? «Rarement héritiers et encore plus rarement fondateurs, les personnes qui sont à la tête des grands groupes économiques ne sont pas celles que l’on croit», affirment les auteurs de cet ouvrage.

Selon François-Xavier Dudouet et Antoine Vion, on devra à l’avenir composer de plus en plus avec des sociétés par actions dont le patrimoine financier est juridiquement distinct de celui des actionnaires. Dans ce contexte, qui exerce alors réellement le pouvoir économique? Les deux auteurs souhaitent répertorier les principaux traits de ces dirigeants et organes de direction qui contrôlent la destinée de ces entreprises.

Dudouet, F.-X., et Vion, A., Sociologie des dirigeants de grandes entreprises, Paris, Éditions La Découverte, 2024, 128 pages.

Un monde d’administrateurs

Les fonctions de président et de directeur général ne sont que la partie émergée d’une organisation plus large – la société par actions – qui s’appuie sur des instances telles que le conseil d’administration et le conseil de direction. Outre la distinction qu’il faut faire entre la détention des capitaux et leur exploitation, les auteurs nous rappellent qu’«on assiste là à une véritable fonctionnarisation du pouvoir économique, qui fait des administrateurs les régents d’une activité et d’un capital qui ne leur appartiennent pas, pas plus qu’ils n’appartiennent aux actionnaires, mais qui appartiennent à la société elle-même».

Autre fait saillant : la filiation du pouvoir à la tête des grandes entreprises s’amoindrit, avec moins d’héritiers directs succédant à leurs parents par le capital ou la fonction. «La proportion de dirigeants issus de l’encadrement économique (chefs de petites ou grandes entreprises, cadres moyens et supérieurs) est en revanche bien plus importante et peut, dans certains pays comme aux États-Unis, dépasser les 50%», précisent-ils.

L’accès aux fonctions dirigeantes dépendrait donc moins de la richesse que du diplôme et des fonctions d’encadrement administratif. «Ce que nous dévoilent les études sur les origines sociales et éducatives, ce n’est pas tant une reproduction des dirigeants par le capital économique, éventuellement maquillé par le capital scolaire, que le mode de reproduction de la classe administrative elle-même, qu’elle soit privée ou publique, intellectuelle ou économique.»

Ainsi, les dirigeants de grandes entreprises sont surtout issus d’un parcours purement bureaucratique, où les soutiens familiaux ou amicaux importent peu. «En 2019, nous avons évalué à plus de neuf individus sur dix la part des dirigeants des entreprises du CAC 40 [principal indice boursier de la Bourse de Paris] issus d’une carrière bureaucratique, contre 7,5% pour les carrières d’héritiers et 1,5% pour celles de fondateurs», observent les auteurs.

Internationalisation des directions

Si de nombreuses multinationales ont longtemps eu leur direction implantée dans un seul pays, leur gouvernance tendrait à se réorganiser sur une base mondiale depuis les années 1970. «Toutefois, il est difficile de parler d’une intégration parfaite dans un nouvel espace globalisé. Certaines logiques nationales demeurent fortes et on ne discerne pas de véritable forme d’action collective transnationale», nuancent-ils.

Article publié dans l’édition Automne 2024 de Gestion