Lu pour vous – Chères collaboratrices
2024-11-15

French
https://www.revuegestion.ca/lu-pour-vous-cheres-collaboratrices
2024-11-07
Lu pour vous – Chères collaboratrices
Leadership , Ressources humaines , Stratégie

Sandrine Holin analyse la mutation du discours féministe dans le monde du travail et dénonce son dévoiement par l'entreprise. Elle appelle les femmes à cesser de collaborer au mythe de «l’entrepreneur féministe» et à cultiver une culture d’opposition.
À les entendre, toutes les entreprises d’aujourd’hui seraient devenues inclusives et le monde du travail, solidairement engagé envers l’égalité des genres. Multinationales et start-ups s’engagent à former leurs «collaboratrices» à l’empowerment (autonomisation), au personal branding, en passant par un discours marketing aux accents féministes. Et si cette égalité ne visait au fond qu’à rendre les femmes plus compétitives? Et si le féminisme était devenu, au bout du compte, une marchandise comme une autre?

Holin, S., Chères collaboratrices – comment échapper au féminisme néolibéral, Paris, Éditions La Découverte, 240 pages.
À entendre Sandrine Holin, ex-cadre dans une grande société française, ce féminisme appliqué à l’entreprise conduirait plus sûrement à mettre les femmes en concurrence qu’à briser réellement le plafond de verre. «Le féminisme n’est aujourd’hui plus une menace pour le capitalisme, c’est ce qui le rend si populaire, si visible dans les médias comme dans les discours publics», annonce-t-elle d’emblée.
«Sexisme bienveillant»
L’essai débute par le récit de son expérience personnelle du «sexisme bienveillant» en entreprise, de sa prise conscience jusqu’à sa décision de quitter ce milieu et ses formes d’hypocrisie. «Je me suis extraite de mon inconfort matériellement confortable», Sandrine Holin avec habileté. Elle intègre alors une start-up gérée par deux femmes se donnant pour mission de combattre les inégalités de genre, par le biais de formations, jusqu’à ce que celles-ci lui suggèrent de mieux «adapter» son discours aux entreprises.Une question la taraude : «Pourquoi l’égalité femmes-hommes est-elle devenue le nouveau sujet à la mode des entreprises? Pourtant, le capitalisme –le système dans lequel évolue l’entreprise– s’était construit grâce à et sur l’oppression de genre. Pourquoi les entreprises se tireraient-elles une balle dans le pied en prônant l’égalité?»
Les mesures volontaires
Pourtant, tout semble mis en œuvre pour donner davantage de pouvoir aux femmes : formation au leadership, réseaux d’entraide, mentorat, campagnes de communication. Il y a aussi les mesures volontaires visant à rendre l’entreprise plus women friendly : flexibilité du temps de travail et interdiction des réunions à certaines heures, congé parental étendu, lutte contre le sexisme ordinaire. La tendance est à la sensibilisation aux stéréotypes, à la valorisation des «femmes puissantes», aux slogans sur la sororité des femmes. Face à cette brusque popularité du féminisme, Sandrine Holin se met à douter de l’impact réel de ce mouvement. À titre d’exemple, pourquoi cette absence de syndicats de femmes au sein des entreprises qui pourraient rétablir le rapport de force avec la direction, «comme cela avait pu se faire dans les années 1930»?
Perdition du collectif
Pour l’autrice, à examiner les politiques d’égalité sous l’angle du néolibéralisme – cette rationalité qui fait de l’individu un entrepreneur de lui-même –, on s’abstient de toute analyse structurelle des inégalités. Et de s’interroger : «Assiste-t-on à l’émergence d’une forme de féminisme néolibéral qui ferait d’une pierre deux coups [en donnant l’impression] que le monde économique se soucie des luttes sociales en répondant à certaines revendications féministes, tout en les utilisant pour asseoir les principes du marché, de l’idéal de l’entrepreneur et désormais de l’entrepreneuse?» Et si le temps était venu de cesser de collaborer au mythe de l’entrepreneur féministe, de cultiver une culture d’opposition : en somme de redevenir menaçantes, ensemble?
Leadership , Ressources humaines , Stratégie