Dans son plus récent ouvrage, l’investisseur et essayiste David Baverez souligne que 2022 représente l’année du basculement d’une «économie de paix» à une «économie de guerre». Alors que les rapports de dépendance remplacent l’équilibre des forces et que le libre-échange se heurte à de nouvelles frontières, comment nos démocraties occidentales survivront-elles à cette rupture générationnelle d’une ampleur insoupçonnée?

«2022 marque la clôture du cycle de trente ans débuté en 1989 avec la chute du mur de Berlin», affirme l’expert. Tout laissait présager un nouveau monde de liberté, de suppression de barrières, d’accroissement des richesses mondiales. Or, la nouvelle donne géopolitique a plutôt entraîné l’effondrement moral des États-Unis, la faiblesse politique de l’Europe et l’émergence d’un néo-lénino-marxisme chinois…

Baverez, D., Bienvenue en économie de guerre, Paris, Novice édition, 2024, 224 pages.

À l’origine de cette économie de guerre, David Baverez note deux événements majeurs qui se sont produits en 2022. «D’un côté, la guerre déclenchée en février par la Russie en Ukraine est en réalité un conflit sino-américain qui annonce l’entrée officielle dans la “Seconde Guerre froide”. De l’autre, le XXe congrès du Parti communiste chinois en octobre marque la fin de la gestion collégiale de l’empire du Milieu, que l’ancien président Deng Xiaoping pensait avoir réussi à imposer pour l’éternité.» Conséquences : nous assistons à la «yémenisation» de l’Europe, où se joue désormais ce nouveau conflit planétaire, et au début d’un néo-lénino-marxisme qui contamine de manière inédite 20% du produit national brut (PNB) mondial.

Les quatre crises

Cette nouvelle ère émergerait sur fond de quatre autres crises : une crise énergétique de l’ampleur de celle des années 1970; une crise démocratique et sociétale, avec la montée des inégalités de richesse qui fait écho à celle des années 1930; une crise de l’endettement, dans un contexte où la dette privée et la dette publique combinées culminent à environ 300% du PNB dans les principales économies mondiales ; une crise environnementale sans précédent qui oblige le monde à penser la transition énergétique avec des rendements moindres.

Depuis longtemps, les géopolitologues et les chefs d’entreprise préfèrent s’ignorer. L’auteur plaide pour leur réconciliation sur le plan intellectuel. Il en va de notre capacité à apprendre du monde des affaires pour appréhender pleinement le concept de «guerre hybride» en nous familiarisant avec la guerre technologique, les chaînes de valeur et les gains de productivité.

S’adapter, oui, mais comment?

«L’Énergie s’impose comme l’œil du cyclone de la transition environnementale; la Sécurité se redéfinit comme le contrôle, notamment des approvisionnements; la Guerre oblige les pouvoirs publics et les décideurs économiques à évoluer d’un monde d’abondance à un monde de pénurie», écrit l’auteur. Dans ce contexte d’adaptation, la performance est à redéfinir et nous pousse à revoir la politique de prix fondée sur la prime à la sûreté – et non plus sur le rabais lié aux volumes –, à repenser la chaîne d’approvisionnement comme une véritable chaîne de valeur et à réorganiser les flux financiers pour retrouver une véritable stabilité.

 Article publié dans l’édition Printemps 2025 de Gestion