Tout nouveau, tout beau?

Nous en parlions dans notre précédent article (lire « L'holacratie, ou être mieux servi par soi-même »), l'holacratie, ce système de gouvernance interne qui prône l'autonomie des employés et l'absence de hiérarchie, ne manque pas de soulever de la curiosité, tout en laissant certains sceptiques au passage. Qu'en est-il réellement? Est-ce que cette nouvelle conception du fonctionnement organisationnel améliore réellement la performance des entreprises et des organisations qui l'adoptent?

Le fer de lance du concept d'holacratie, c'est l'entreprise Zappos, une filiale d'Amazon spécialisée principalement dans la vente en ligne de chaussures, mais également de vêtements et d'accessoires divers. Pour cette entreprise de quelque 1 500 employés et générant des revenus d'environ deux milliards de dollars américains, le pari de passer à l'holacracie était énorme. Pari toutefois tenu pour Tony Hseih, le pdg de l'entreprise, qui décidait en 2013 d'implanter la chose chez Zappos.

Comme on peut s'y atteindre, l'arrivée de l'holacracie ne s'est pas faite sans heurts. Notamment pour les gestionnaires en place chez Zappos qui, du jour au lendemain, se voyaient ainsi dépossédés de l'autorité formelle dont ils se drapaient depuis des années. Ce sentiment, Hollie Delaney, directrice des ressources humaines chez Zappos, l'a pleinement vécu. Comme pour bon nombre de ses collègues gestionnaires et employés, le scepticisme était présent, d'autant que l'entreprise fonctionnait déjà de manière relativement horizontale, et non sans un certain succès. Pourquoi changer ce qui va bien?

Holacratie vs. Hiérarchie

(Source : Buisiness Insider)


Quoi qu'il en soit, tel que le relate Richard Feloni dans son article du Business Insider (lire « Here's what happened to Zappos' HR boss when the company got rid of managers and her job became obsolete »), Hollie Delaney a connu une épiphanie lors d'une rencontre de cercle. Une employée, ayant fait une proposition, s'est ensuite retournée vers la directrice RH afin d'obtenir sa bénédiction. « This is your authority; it's up to you. Proceed how you think you should », fut la réponse de Hollie Delaney. Voilà une partie de l'essence de l'holacratie : des problèmes (le terme à employer dans le jargon holacratique est « tensions ») surgissent, le cercle en discute selon un canevas bien déterminé, et la personne investie d'un rôle a toute l'autorité nécessaire pour régler lesdites tensions. Le principal avantage d'une telle organisation? Libérer le gestionnaire du « gardiennage » (babysitting est le mot employé par la principale intéressée) et laisser le plein potentiel de création et de leadership des employés s'exprimer. Membre de quinze cercles et détentrice de trente rôles chez Zappos, Hollie Delaney ne reviendrait plus en arrière.

Toutefois, tout n'est pas rose et l'holacratie, concept relativement nouveau, demande, encore aujourd'hui, à être davantage testée. Sortir de schèmes mentaux solidement ancrés depuis des décennies, voire des siècles, d'organisation industrielle n'est pas chose aisée! Sur le plancher des organisations, certains employés s'inquiètent, entre autres, de la manière dont la rémunération sera établie, si les descriptions de tâches sont abolies au profit des rôles. Et du point de vue des universitaires, l'holacratie apparaît davantage comme « la saveur du mois ». Comme le souligne le professeur Julian Birkinshaw, de la London Business School, tel que cité dans un article de The Economist (lire « The holes in holacracy »), « Nine-tenths of the approximately 100 branded management ideas I've studied lost their popularity within a decade or so »...

Fonctionnera? Fonctionnera pas? Il est sans doute trop tôt pour tirer des conclusions définitives à l'égard de l'holacratie. L'intention est bonne, l'exécution connaît certains ratés et ne fait pas l'unanimité. En avril 2015, Tony Hsieh insatisfait du rythme d'implantation de l'holacratie chez Zappos, invitait même les employés malheureux dans ce contexte holacratique à quitter l'entreprise, avec pleine compensation financière. Ils ont été 210, soit 14 % de la force de travail de Zappos, à saisir la balle au bond (lire encore Richard Feloni, « Inside Zappos CEO Tony Hsieh's radical management experiment that prompted 14% of employees to quit »).

Au final, cette expérience de gouvernance ne trahit-elle pas, un certain mal-être qui prévaut dans nos organisations, une volonté de tous et chacun de participer à l'aventure collective promise par nos entreprises et nos organisations? Qu'en pensez-vous?