Article publié dans l'édition Printemps 2021 de Gestion

Il est plutôt rare de rencontrer des dirigeants qui ne reconnaissent pas l’importance de l’éthique en entreprise. Personne n’est contre l’éthique. Toutefois, lorsqu’il est question de consacrer des ressources à la gestion de l’éthique, celle-ci entre en concurrence avec d’autres priorités et, la plupart du temps, elle ne fait pas le poids. Pourquoi?

Dans l’esprit de plusieurs personnes, agir de façon éthique revient à poser un acte altruiste. Les dirigeants d’entreprise et les gestionnaires reconnaissent la valeur de la vertu, mais ils ont souvent le sentiment qu’elle ne favorise pas nécessairement le succès. Pourtant, le succès de toute organisation repose sur la volonté de collaborer de divers acteurs. Cette collaboration sera grandement facilitée si ces individus ont une prédisposition favorable à l’égard de l’entreprise. La logique est la suivante : en respectant les prescriptions éthiques reconnues par ces collaborateurs, on renforce leur appréciation de l’entreprise et on favorise leur participation à la réalisation de sa mission.

À quoi l’éthique sert-elle?

On peut définir une entreprise comme un système de relations au sein duquel différents acteurs aux intérêts parfois opposés acceptent de collaborer. D’entrée de jeu, il y a les propriétaires des moyens de production, qui veulent que l’exploitation de ces moyens génère un gain économique qui leur permettra de maximiser ce qui, à leurs yeux, constitue de la valeur (valeur financière pour les entreprises traditionnelles, bien-être des citoyens dans le cas des services publics, etc.).

Il y a également les consommateurs, qui veulent avoir accès à une offre de biens ou de services au meilleur rapport qualité-prix possible. Les travailleurs veulent par exemple optimiser leurs conditions de travail, tandis que les fournisseurs souhaitent trouver des débouchés pour leur production.

En raison de leur influence, d’autres acteurs peuvent également avoir une incidence sur les activités d’une entreprise. C’est le cas des différents paliers de gouvernement, des médias, des groupes de pression, etc.

En d’autres mots, une entreprise ne peut pas fonctionner sans la collaboration de ses diverses parties prenantes. Si ces dernières sont bien disposées envers l’entreprise, elles voudront y investir de l’argent, y travailler, consommer ses biens ou utiliser ses services, lui vendre leur production, lui délivrer des permis, lui accorder une bonne couverture médiatique et ne pas contrecarrer ses activités.

Le rôle de l’éthique consiste justement à renforcer cette prédisposition favorable. Plus les parties prenantes de l’entreprise y observeront des signes tangibles de cohérence avec leurs valeurs, plus elles auront une bonne opinion quant aux intentions de ses représentants (travailleurs, gestionnaires et administrateurs).

La gestion de l’éthique est un élément fondamental dans la construction de cette prédisposition favorable. L’adoption de comportements conformes aux valeurs partagées par les parties prenantes ne relève donc pas de l’altruisme. Au contraire, il s’agit d’une approche stratégique dont l’objectif consiste à obtenir la collaboration des parties prenantes.

Comment y arriver?

Dans un premier temps, il faut bien déterminer la mission de l’entreprise, sa vision et les défis qu’elle doit relever pour profiter des occasions qui s’offrent à elle et pour centrer les menaces qui la guettent.

Par la suite, on doit identifier les principaux acteurs stratégiques, c’est-à-dire les parties prenantes qui auront le plus d’incidence sur la capacité de l’entreprise à réaliser sa mission et à relever les défis qui se posent à elle. Il s’agit d’une démarche de priorisation.

Une fois ces parties prenantes stratégiques bien identifiées, on doit être sensible aux principes auxquels elles accordent de la valeur. C’est à partir de ces principes que l’entreprise doit émettre son énoncé de valeurs. Il s’agit donc de retenir non pas les valeurs qui sont importantes pour la direction ou pour les administrateurs mais plutôt celles qui sont partagées par les parties prenantes stratégiques de l’entreprise.

Par la suite, l’organisation devra s’assurer que l’ensemble des comportements adoptés par ses représentants soient conformes à ce système de valeurs partagées. Pour ce faire, elle devra déterminer le niveau de risque éthique, c’est-à-dire le risque qu’un de ses représentants adopte un comportement contraire aux valeurs de l’entreprise. Elle pourra aussi mettre en œuvre une série de mesures destinées à diminuer ce risque.

L’évaluation du risque éthique

Une bonne évaluation du risque éthique repose sur une compréhension adéquate des causes qui peuvent amener un représentant d’entreprise à adopter un comportement répréhensible. On peut distinguer trois catégories de causes :

  • Les causes sur le plan individuel. Les représentants de l’entreprise sont-ils sensibles aux enjeux éthiques auxquels celle-ci doit faire face? Connaissent-ils les comportements adéquats à adopter? Ont-ils l’intention d’agir conformément à ce que leur prescrivent les valeurs de l’entreprise? Possèdent-ils la persévérance, voire le courage requis pour agir de façon éthique?
  • Les causes sur le plan de l’intensité des enjeux. Ces causes sont liées à l’intensité des enjeux éthiques propres à l’entreprise. Plus ces enjeux sont intenses, plus le risque est faible qu’un représentant de l’entreprise commette un écart de conduite. On peut déterminer l’intensité des enjeux en fonction de plusieurs facteurs : les conséquences négatives associées à l’adoption d’un comportement répréhensible, la probabilité que ces conséquences surviennent, le temps que prendront ces conséquences à se concrétiser, la proximité entre le représentant de l’entreprise et les éventuelles victimes de ses mauvais agissements, le nombre de ces victimes et le consensus social qui existe par rapport à ces enjeux.
  • Les causes sur le plan culturel. Ce type de causes repose sur la qualité de la culture éthique qui règne au sein de l’entreprise. Les leaders respectent-ils les prescriptions éthiques? Ont-ils des attentes en ce sens envers leurs subalternes? reconnaîtra-t-on le mérite d’un représentant de l’entreprise qui se comporte de façon éthique? À l’inverse, cette personne sera-t-elle sanctionnée si elle adopte un comportement répréhensible?

La détermination du risque éthique repose donc sur l’évaluation adéquate des risques individuels, des risques associés à l’intensité des enjeux éthiques propres à l’entreprise et, finalement, des risques culturels.

Comment passer à l’action?

Une fois que l’entreprise dispose d’un diagnostic de ses risques éthiques, elle doit mettre en œuvre un plan d’action destiné à favoriser l’adoption de comportements éthiques et à décourager les écarts de conduite. L’efficacité de ce plan d’action dépendra de la capacité de l’organisation à corriger les faiblesses relevées dans le diagnostic des risques éthiques. Si, par exemple, ce diagnostic met en lumière certaines lacunes sur le plan de la sensibilité et du jugement éthiques des représentants de l’entreprise, l’élaboration d’activités de sensibilisation et de séances de formation est tout indiquée. Si, toutefois, la faiblesse est liée à l’intention non éthique des représentants de l’entreprise, ces mesures n’auront aucun effet. Il s’agira alors de mettre en place un système de contrôle efficace et de prévoir des sanctions au besoin. Il faut comprendre que les écarts de conduite sont un phénomène complexe : il n’existe généralement pas de solutions clés en main.

La bonne gestion de la dimension éthique d’une entreprise repose d’abord sur la capacité de celle-ci à instaurer le système de valeurs partagées par ses parties prenantes stratégiques puis sur l’adoption d’une culture organisationnelle qui favorise les comportements conformes à ce système de valeurs. Une évaluation adéquate du risque éthique facilitera l’élaboration des mesures pertinentes à mettre en œuvre pour établir une véritable culture éthique. Ce faisant, le respect de l’éthique par l’entreprise sera non pas un acte altruiste mais bien une approche stratégique favorable à la réalisation de sa mission.