La convivialité et la clarté du langage favorisent grandement l’appropriation et l’utilisation des documents internes par les équipes. La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) en a fait l’expérience lors d’une refonte récente de son code d’éthique.

En 2022, la CDPQ a jugé que le temps était venu de revoir en profondeur son code d’éthique. «La Caisse avait connu une évolution majeure sur le plan de ses pratiques d’affaires, des régions où elle mène des activités et des secteurs économiques dans lesquels elle investit; elle était donc susceptible de vivre de nouveaux types d’enjeux éthiques», explique Bruno Duguay, son vice-président et chef, éthique et conformité.

La refonte du code d’éthique ne visait pas seulement la forme, mais aussi l’étendue et la nature de son contenu. L’opération était d’autant plus importante que si ce document ne représente qu’une des composantes d’un code d’éthique plus large, elle en constitue tout de même la pierre angulaire. Chacun des employés de la Caisse doit le lire, tout comme l’ensemble de ceux qui lui fournissent des conseils ou des services.

«Nous voulions un guide qui exprime très clairement nos principales attentes, et surtout nos trois valeurs fondamentales que sont l’intégrité, le respect et le professionnalisme, poursuit le vice-président de l’éthique et de la conformité. C’est essentiel pour protéger notre réputation et pour conserver la confiance de toutes les parties prenantes internes et externes de la Caisse.»

Choisir le bon partenaire

La CDPQ souhaitait donc un document facile d’approche, clair et précis, pour que ses lecteurs puissent aisément le comprendre et l’utiliser. La version précédente, très complète sur le plan du contenu, était en revanche peu conviviale. Son langage très juridique s’étalait sur 34 pages bien remplies, avec très peu d’illustrations. La Caisse désirait bien sûr conserver la rigueur du code, mais aussi le transformer en un outil plus pratique.

Elle a décidé de recourir aux services de consultants externes pour en appuyer la réalisation. La Caisse cherchait une boîte francophone qui connaît très bien le Québec et le droit, une entreprise qui arrive en outre à vulgariser des concepts complexes, sans sacrifier la rigueur.

C’est justement la spécialisation d’En Clair depuis sa fondation, en 2016. La firme s’efforce de simplifier et d’humaniser les documents juridiques comme les contrats, les politiques et les formulaires administratifs. Elle mise sur son expertise en langage clair et en design d’information juridique, une approche innovante qui conjugue le droit, la communication, le design UX (expérience utilisateur) et le design d’information. Plus de la moitié de ses travailleurs sont des avocats.

Parmi ses nombreux clients, on trouve l’Autorité des marchés financiers, la Banque Nationale et le Groupement des assureurs automobiles. «Nous avons rencontré plusieurs fournisseurs, et la démarche proposée par En Clair se démarquait tellement que le choix devenait évident», indique Bruno Duguay.

Collecter l'information pertinente

Du côté de la Caisse, plus d’une dizaine d’avocats participaient au processus. Ils affichaient des inquiétudes devant la volonté de vulgariser au maximum l’information juridique. La crainte principale était de voir certains éléments formulés d’une manière qui ne respecterait pas les exigences de conformité ou qui simplifierait l’information au point de la dénaturer.

«On trouve toujours une façon de communiquer clairement, tout en demeurant rigoureux et respectueux des exigences de conformité, avance l’avocate Geneviève Fortin, associée et experte en simplification à En Clair. Cela passe bien sûr par le langage clair, mais aussi par le design de l’information.»

Cette démarche de design d’information juridique commence avec la cueillette de données quantitatives et qualitatives, pour bien circonscrire les besoins des utilisateurs finaux du document. La Caisse a orchestré plusieurs ateliers de discussion sur des thèmes précis, afin de comprendre les éléments qui manquaient dans l’ancien code ou les aspects de ce document qui fonctionnaient moins bien. L’équipe derrière le projet a aussi questionné les parties prenantes de la Caisse pour bien saisir leurs attentes envers un tel outil.

«Une fois cette grande quantité de données amassée, l’équipe a amorcé l’étape de l’idéation, toujours en étroite collaboration avec la CDPQ, relate Me Fortin. Ensemble, elles ont discuté de ce qui pourrait constituer la structure et le contenu du nouveau document. Elles ont également imaginé à quoi il pourrait ressembler visuellement.» L’organisation, le ton et la visualisation du contenu représentent des éléments essentiels pour assurer la création d’un outil efficace et convivial.

Une fois que tout le monde s’est entendu, l’équipe d’En Clair s’est lancée dans la réalisation d’un prototype. Le client devait ensuite le valider. La Caisse l’a d’ailleurs fait revoir par plusieurs équipes à l’interne. Cette approche permet de faciliter l’adhésion de l’ensemble du personnel, mais elle suscite forcément des discussions animées qui mènent à certains ajustements.

«C’est d’autant plus vrai qu’à l’époque, le code devait aussi s’appliquer à nos filiales immobilières Ivanhoé Cambridge et Otéra Capital, qui ont depuis été intégrées à la Caisse, et à CDPQ Infra, précise Bruno Duguay. Cela ajoutait un élément de complexité, puisque nous devions en outre tenir compte de leurs besoins spécifiques et des attentes de leurs avocats.»

La rédaction constitue l’étape ultime. «Le projet de la Caisse a nécessité trois versions différentes avant d’en arriver au produit final», souligne Me Fortin.

Planifier en fonction d'un échéancier serré

Le projet a débuté au premier trimestre de l’année 2022, et le conseil d’administration a approuvé la version définitive du document en juin 2023. «Notre plus grand défi consistait à nous assurer de l’adhésion de tous les groupes d’utilisateurs finaux au nouveau code d’éthique; c’est pour cela que nous avons autant consulté tout au long de la démarche», affirme Bruno Duguay.

Me Audrey Chiasson, conseillère juridique, éthique et conformité, à la Caisse, se trouvait sur la ligne de front de ces discussions. Elle rappelle qu’une dizaine de secteurs de la CDPQ étaient engagés dans le projet, en plus des trois filiales qui devaient elles aussi réaliser le même exercice de consultation. «C’était un défi de nous assurer que toutes ces consultations se déroulent dans les délais prévus et que nous arrivions toujours à trouver des terrains d’entente en cas de désaccord», avoue-t-elle.

Elle précise que beaucoup de mésententes portaient sur le ton à donner au code. «On a souvent le réflexe de choisir, pour ce type de document, un ton très juridique, directif et sérieux, fait valoir Me Chiasson. Mais nous voulions surtout que les gens aient envie de lire le document et qu’ils sentent que ces règles découlent des valeurs de l’organisation. Équilibrer tout cela n’était pas facile.»

Écrire de manière concise demande en fait plus d’efforts que d’utiliser de longues formulations. Les rédacteurs devaient déconstruire certains concepts juridiques pour les rendre plus concrets, toujours en restant rigoureux, en vue d’offrir une information complète et exacte.

Geneviève Fortin ajoute à cela que le projet comportait forcément des limites budgétaires ainsi que des échéanciers serrés. «C’est beaucoup l’horaire des comités de direction et des conseils d’administration qui dictait les moments où nous devions livrer des résultats, mentionne-t-elle. L’équipe éthique et conformité de la Caisse a joué un grand rôle pour dégager des consensus aux bons moments, afin que nous puissions avancer.»

S'inspirer de cette expérience

La Caisse a formellement adopté la nouvelle version du code d’éthique en juin 2023, avant de la lancer publiquement en octobre de la même année. Plus de 200 personnes ont assisté à son dévoilement, dont beaucoup de représentants de sociétés de portefeuille du Québec. L’occasion était belle de leur donner accès à un exemple intéressant de design d’information juridique dans un document que toutes les entreprises ont ou devraient avoir.

L’allure finale du code tranche vivement avec la version précédente. Les textes sont beaucoup plus courts et vulgarisés, et la présentation, très aérée. L’utilisation d’illustrations et de couleurs aide à départager les différentes sections du document ou encore à attirer l’attention du lecteur sur des points précis. Par ailleurs, l’emploi constant du «nous» et du «vous» personnalise beaucoup les messages tout en invitant à l’adhésion.

«Depuis le lancement du document, énormément de gens à l’interne nous ont exprimé leur satisfaction, ce qui est plutôt rare pour un code d’éthique, fait remarquer Bruno Duguay. Plusieurs nous ont dit qu’il avait facilité certaines de leurs réflexions sur des questionnements éthiques. En fin de compte, l’exercice a offert une grande visibilité à ce document dans l’organisation, ce qui représente déjà un gain.»

Il croit que le code donne le ton pour l’ensemble du programme d’éthique et de conformité de la Caisse. L’apport de la haute direction et du PDG, qui ont clamé haut et fort l’importance qu’ils accordaient à ces enjeux éthiques, a aussi compté pour beaucoup.

«Ça a dépassé le volet éthique et conformité, estime Me Chiasson. Des collègues d’autres secteurs m’ont contactée à plusieurs reprises pour savoir comment nous avions procédé et avec qui nous avions travaillé. Les gens ont aimé le ton et la clarté de l’information, et je sens une volonté de suivre un processus similaire pour d’autres documents.»

Article publié dans l’édition Automne 2024 de Gestion