Article publié dans l'édition hiver 2017 de Gestion

Les réglementations environnementales, en particulier celles visant à réduire la dépendance aux combustibles fossiles, encouragent de façon déterminante l’innovation verte. Toutefois, elles peuvent nuire à un tel essor lorsqu’elles sont mal harmonisées. À travers sa propre expérience, Idénergie, une jeune entreprise québécoise dont la technologie d’avant-garde permet de générer de l’électricité à partir de cours d’eau peu profonds, prouve la nécessité de les rendre plus cohérentes.

Le marché mondial des énergies renouvelables est en pleine croissance. En 2010, les ventes globales du secteur se sont élevées à 111 milliards $US. Deux ans plus tard, elles avaient atteint 150,2 milliards. Et lorsqu’on examine l’évolution prévue de la consommation énergétique mondiale par région et par type d’énergie jusqu’en 2040, on constate que la demande des pays non membres de l’OCDE finira par atteindre presque le double de celle des pays membres, l’Asie étant le continent qui connaît la plus forte expansion. Ultimement, plus de la moitié de l’énergie consommée dans le monde sera renouvelable.

Dans ce contexte très favorable, pourtant, l’entrepreneur qui cherche à commercialiser une technologie propre verra parfois son élan stoppé par des obstacles inattendus émanant d’autres réglementations bien intentionnées qui visent, elles aussi, à protéger la nature.


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L’hydrolienne de rivière

Depuis sa création en 2010, l’entreprise Idénergie propose une nouvelle technologie de production d’énergie renouvelable : l’hydrolienne de rivière. Il s’agit d’une des premières technologies à être utilisées dans de petits cours d’eau, où la profondeur minimale serait de 60 cm, la largeur minimale d’environ deux mètres et le débit situé entre 1,2 et 2,5 mètres cubes par seconde. Cette technologie permet de répondre à une demande énergétique de petite échelle, soit jusqu’à cinq kilowatts/heure avec un débit idéal.

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Projections de la demande énergétique 

Source : U.S. Energy Information Administration, International Energy Outlook 2013.

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Projections de la demande énergétique 

Source : U.S. Energy Information Administration, International Energy Outlook 2013.

Cinq années de recherche et développement ont été nécessaires pour en arriver à une technologie fiable, « tout-en-un », facile à utiliser et à assembler et respectueuse de l’environnement. Pour réduire les répercussions sur l’environnement, l’entreprise a par ailleurs mis au point différents supports favorisant la stabilité et la durabilité de l’hydrolienne lorsqu’elle repose sur le lit d’une rivière.

Idénergie vise maintenant deux marchés cibles : les sites isolés hors réseau et les régions sans approvisionnement énergétique.

Le premier marché concerne les pays industrialisés. Les acheteurs sont tout d’abord des particuliers qui possèdent des résidences hors réseau situées près d’une rivière. Dans cette niche, l’hydrolienne de rivière constitue une solution de rechange valable à l’habituelle génératrice à essence, une technologie qui émet d’importantes quantités de gaz à effet de serre (GES). Rappelons qu’au Québec, les résidences hors réseau national sont principalement situées dans le nord, là où les caractéristiques géographiques ne permettent pas une production efficace d’électricité par voie solaire ou éolienne. D’autres clients sont les parcs et les sites écotouristiques, qui doivent être autosuffisants sur le plan énergétique.

Le deuxième marché cible englobe les pays émergents, en développement ou moins avancés. Dans ces pays, environ 1,4 milliard de personnes n’ont pas encore accès à l’électricité. L’hydrolienne de rivière offre ici la possibilité d’électrifier de petites communautés, augmentant ainsi la qualité de vie et contribuant à réduire l’exode rural. Son installation et son assemblage sont faciles et la rendent accessible au plus grand nombre.

Les défis de la commercialisation internationale

Une fois les marchés cibles bien définis, la commercialisation continue toutefois de poser de nombreux défis. Commercialiser une nouvelle technologie à l’international exige de franchir plusieurs obstacles.

  • Les barrières tarifaires, d’abord : pour les biens et services environnementaux, auxquels appartient l’hydrolienne de rivière, les tarifs douaniers sont souvent élevés, presque trois fois plus que pour l’ensemble des autres biens, atteignant même 44 % dans certains pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Depuis juillet 2014, des négociations sont en cours entre les gouvernements nationaux membres de l’OMC, dans le cadre de l’Accord sur les biens environnementaux (ABE), afin de libéraliser le secteur, mais on n’entrevoit pas de changement majeur à court terme.

  • Toute nouvelle technologie doit également passer par un processus d’homologation et de certification environnementale. Sur le continent européen, par exemple, il faudra se conformer aux normes CE. En Amérique du Nord, il s’agira plutôt des normes UL-CSA. Toutefois, il existe rarement des normes spécifiques à une hydrolienne de rivière. Certains éléments de celle-ci ne correspondront pas toujours à des normes déjà existantes. Il sera alors nécessaire d’établir de nouvelles normes, ce qui nécessite un processus long et coûteux.

  • Enfin, comme les acheteurs potentiels d’une hydrolienne de rivière sont souvent des communautés relativement pauvres, il faut pouvoir compter sur le soutien financier de gouvernements, d’organismes internationaux, de certaines ONG, de quelques mécènes ou encore d’investisseurs locaux.



C’est toutefois la commercialisation locale, au Québec même, qui semble poser les plus gros défis. Tout d’abord, le lit des cours d’eau et le littoral relèvent des compétences de l’État québécois, ce qui entraîne plusieurs contraintes réglementaires. L’installation d’une hydrolienne de rivière est soumise notamment à la Loi sur le régime des eaux, qui se rapporte à l’hydroélectricité, à la Loi sur la qualité de l’environnement et à certains éléments de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune. Un client souhaitant acquérir et mettre en place une hydrolienne de ce type doit alors obtenir un certificat d’autorisation auprès de différents ministères. Une fois ce certificat obtenu, le client doit ensuite payer des redevances contractuelles ainsi que les frais administratifs et la « location » de la force hydraulique du cours d’eau.

Une réglementation québécoise contraignante

Se conformer à ces règlements exige en outre de franchir plusieurs étapes. La première d’entre elles consiste à obtenir l’autorisation du propriétaire du terrain. Puisque cette étape est cruciale pour passer aux étapes suivantes alors qu’il n’existe actuellement aucune instruction spécifique pour ce faire, Idénergie a dû élaborer son propre document de soutien.

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Idénergie a travaillé en partenariat avec Parcs Canada et Hostelling International pour alimenter en électricité plusieurs campings, chalets et auberges afin d'améliorer l'expérience des touristes et de réduire l'empreinte écologique des sites en question.

Photo: Idénergie

La deuxième étape consiste à déposer une demande auprès de la municipalité où on installera l’hydrolienne. Si celle-ci est entérinée, un certificat de non-contravention à la réglementation municipale permettra au promoteur de poursuivre le processus.

La troisième étape vise ensuite à obtenir l’aval de la municipalité régionale de comté. Dans l’affirmative, un autre certificat de non-contravention sera émis. À la quatrième et dernière étape, l’usager peut finalement s’adresser au ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques ainsi qu’au ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. Cette étape finale est la plus contraignante. Plusieurs autres documents doivent obligatoirement être remplis. Obtenir une réponse peut prendre jusqu’à 75 jours une fois tous les documents dûment remplis et remis.

Compte tenu de ce qui précède, le contexte réglementaire actuel fait en sorte qu’une entité qui désire remplacer sa génératrice polluante par une hydrolienne de rivière devra obtenir un certificat d’autorisation et se plier à une démarche longue, complexe et coûteuse. Ces contraintes ont pour justification première et louable la protection de l’environnement, mais comme elles ne s’appliquent pas aux génératrices à essence, elles ont pour effet de biaiser, dans ce cas précis, les choix d’approvisionnement en énergie en défaveur des énergies propres et renouvelables. De fait, malgré l’intérêt de bon nombre d’usagers québécois potentiels, l’hydrolienne de rivière n’a été vendue qu’à l’extérieur du Québec, soit 10 dans l’Ouest canadien, dans le cadre d’un projet d’électrification d’un parc national, et six au Labrador, pour un projet microgrille d’électrification hors réseau.

Dans une optique de lutte contre les changements climatiques, de promotion des énergies renouvelables et d’encouragement des innovations et de l’entrepreneuriat vert, le cas de l’hydrolienne de rivière d’Idénergie suggère au moins deux choses. D’une part, il conviendrait de rendre cohérentes entre elles les politiques et réglementations environnementales, notamment celles se rapportant à la préservation des écosystèmes et celles centrées sur la lutte contre les changements climatiques et le développement des énergies renouvelables. D’autre part, les démarches de mise en conformité (sans oublier ici les frais hydriques) qui favorisent le statu quo au détriment des énergies vertes doivent être revues et corrigées.


Pour aller plus loin

  • Sinclair-Desgagné, B., et Faubert-Arsenault, M.-È., « Faire de la protection de l’environnement un avantage concurrentiel », dans L’économie du Québec – Contexte et enjeux internationaux (sous la direction de Thierry Warin, Bernard Sinclair-Desgagné et Ari Van Assche), Montréal, Presses internationales Polytechnique, 2015, 372 p.