Les humains aiment raconter des histoires et les écouter. Certains apprécient particulièrement les ragots, un type d’histoire à part, qui risquent de ruiner une réputation ou un climat de travail. Pourquoi les commérages circulent-ils si aisément? Et dans une organisation, sont-ils tous nuisibles?

Dans une étude menée sur les ragots par des chercheurs de l’Université de Californie, Megan L. Robbins, professeure au Département de psychologie, définit les ragots comme étant «un partage d’information à propos de quelqu’un qui n’est pas présent». Le commérage serait omniprésent dans nos vies et «pas nécessairement malveillant»1.

Julie Carignan, psychologue organisationnelle et associée chez Humance, ajoute que le ragot n’est pas fondé sur des faits. «Quand une phrase commence par “il paraît que”, ou qu’on vous raconte une situation en chuchotant, il s’agit probablement d’un commérage, illustre-t-elle. Il importe de distinguer le ragot de la conversation informelle.»

Le besoin derrière le ragot

Derrière le commérage, il y a toujours une intention, que ce soit le désir de vengeance, la quête de pouvoir, ou le besoin de se rendre intéressant. «Parfois, l’individu qui propage des ragots a un enjeu d’inhibition, ne saisit pas l’importance de la retenue et manque de jugement. On devrait chercher à se faire des amis en s’autodévoilant plutôt qu’en dévoilant des choses sur les autres», précise en riant Julie Carignan.

Insistant sur l’importance de déterminer la fonction du ragot, Jean Poitras, psychologue et professeur titulaire au Département de gestion des ressources humaines à HEC Montréal, classe en quelques catégories les raisons de cette mauvaise habitude. Il y aurait d’abord l’individu qui cherche à se faire consoler. Celui-là commère pour se faire entendre, il a souvent tendance à l’exagération en racontant ses déboires. Sans être réellement dommageable pour l’organisation, cet épanchement peut finir par être lourd. Le commérage dit récréatif, quant à lui, enfile les petits potins et les anecdotes cocasses sans réelle médisance. Toutefois, s’il prend trop de place, il finira par affecter la productivité au travail.

Il y a aussi le commérage par vengeance. «Je n’ai pas eu ce que je voulais, alors je parle dans le dos de celui qui a obtenu cette promotion que je convoitais. Ce genre de ragot est nuisible à l’environnement de travail, mais il est généralement localisé, ciblant une seule personne qu’on essaie de discréditer», explique l’expert en gestion de conflits.

Un autre type de ragot est associé à la quête de pouvoir. C’est le plus nocif en ce qui concerne l’organisation, puisqu’il intoxique l’environnement de travail en générant un climat de méfiance. «Le commérage de pouvoir crée un sentiment d’isolement, les gens préfèrent rester dans leur coin, ne pas trop se mélanger aux collègues, car on ne sait pas ce qui se dit dans notre dos. Il est alimenté par une personne qui calcule, qui sait ce qu’elle fait. C’est une stratégie basée sur le contrôle de l’information», souligne Jean Poitras.

Différentes sortes de ragots, différentes manières de les neutraliser

Relativement inoffensifs, les deux premiers types de ragots sont les plus simples à contrôler. Lorsque le commérage répond au besoin de consolation, le premier pas consiste à rencontrer la personne pour comprendre ce qui la préoccupe et, dans une démarche de justice relationnelle, à l’écouter en espérant que cela suffise à ce qu’elle cesse de se lamenter à droite et à gauche en alourdissant l’atmosphère. En ce qui concerne le ragot récréatif, des repas communautaires ou d’autres activités en périphérie du travail permettront de satisfaire le besoin légitime de socialisation sans nuire à la productivité.

Devant une problématique de commérage par vengeance, il faudra mettre en place des solutions individuelles et user de stratégie. «Si on pressent qu’un individu risque d’être déçu de la promotion d’un collègue, pourquoi ne pas le rencontrer lui d’abord, en lui expliquant les raisons de cette décision? Certes, peut-être ira-t-il annoncer la nouvelle à l’heureux élu avant vous, qui sera certainement ravi, mais il aura apprécié qu’on ait fait preuve de considération à son égard», suggère Jean Poitras.

Plus complexe, souvent lié à des comportements manipulateurs, le commérage de pouvoir sera court-circuité par la mise en place de meilleurs canaux de communication. «Par exemple, un gestionnaire pourra faire des rencontres d’équipe pour annoncer à tous au même moment les informations à partager, au lieu de voir les groupes séparément, ce qui laisse place à la machine à rumeurs, tout particulièrement en situation de changement», explique le professeur.

Abondant en ce sens, Julie Carignan ajoute que les communications transparentes et le fait de s’entendre clairement sur les comportements attendus sont la meilleure manière de prévenir les ragots. «Mais il faut y investir du temps pour se donner des règles d’éthique et de civilité. Il existe notamment des formations et des ateliers sur la civilité ou la saine gestion des conflits


Note

1 - Megan L. Robbins et Alexander Karan, «Who Gossips and How in Everyday Life?», Social Psychological and Personality Science, 2020, Vol 11 (2), p. 185-195.