La transformation numérique d’une entreprise peut prendre les allures d’une révolution organisationnelle. Or les révolutions ont besoin de chefs solides pour réussir! Les leaders numériques doivent donc présenter plusieurs qualités pour mener leur projet à bon port.

S’il y a une aptitude que doivent absolument posséder ces leaders, c’est bien la capacité de comprendre exactement en quoi consiste une transformation numérique. Depuis plus de 20 ans maintenant, de nouvelles technologies numériques comme Internet ou l’intelligence artificielle ont émergé et ont tour à tour été implantées dans les entreprises. Cependant, la transformation numérique ne se limite pas à mettre à profit de nouveaux outils pour optimiser l’entreprise et ses processus.

«Il s’agit plutôt d’un profond changement organisationnel et culturel de l’entreprise, soutenue par des technologies numériques, précise Luc Lespérance, maître d’enseignement en technologies de l’information à HEC Montréal, conseiller affilié à Deloitte et anciennement responsable de la pratique futur du travail pour le marché du Québec. Le facteur numérique n’est que l’une des composantes d’une transformation beaucoup plus vaste, qui a des répercussions sur l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise.»

Jeu d’équipe

Toujours selon Luc Lespérance, les leaders numériques doivent dès le départ afficher un état d’esprit axé sur la croissance. Cette transformation doit répondre à des objectifs d’affaires qui dépassent la simple adoption de nouveaux outils. «Les leaders numériques doivent bien définir les bénéfices et la valeur ajoutée que le projet apportera à l’organisation», résume-t-il.

Elizabeth Henry, PDG de la firme Adviso, invite par ailleurs les organisations à ne pas faire d’un tel programme la chasse gardée d’une seule personne ni celle d’une petite équipe qui travaille à l’écart des autres départements. «La transformation doit devenir un projet global, qui s’appuie sur des piliers ou des ambassadeurs dans chaque secteur de l’entreprise, avance-t-elle. On doit travailler avec ceux et celles qui vivent les changements.»

Elle ajoute qu’il y a plusieurs risques à faire d’une seule et unique personne le visage du projet. Cette dernière pourrait alors faire les frais de la résistance au changement et devenir rapidement la cible de tous les mécontentements. La tentation est aussi plus grande pour une entreprise de se débarrasser de l’employé en question lorsque des ennuis s’accumulent pendant la transformation.

«Trop souvent, on voit un cycle dans lequel les dirigeants jettent le blâme sur une personne et en embauchent une nouvelle, qu’ils sacrifient de nouveau lorsque des difficultés surgissent, ce qui empêche d’attaquer les problèmes plus profonds expliquant ces échecs», constate Elizabeth Henry.

Lorsqu’elle travaillait à la Société des alcools du Québec (SAQ), la professionnelle a grandement contribué à une transformation qui concernait à la fois une réorganisation de l’expérience client en succursale, une stratégie d’utilisation des médias sociaux, la vente en ligne et la mise en place du programme de points Inspire. Les responsables du projet se sont fait accompagner par une firme de spécialistes en gestion du changement et y ont associé des piliers dans tous les départements, des finances aux ventes en passant par le marketing, les ressources humaines et le syndicat. «Les responsables doivent rester humbles et bien s’entourer, pour que ce soit le projet de toute l’entreprise», croit-elle.

Disruptif mais rassembleur

Parmi les rôles les plus importants des leaders numériques, il y a donc celui de convaincre à la fois les autres dirigeants et les employés, et de susciter leur adhésion. «Cette personne doit démontrer une capacité d’influence, estime Caroline Colongo, associée et leader de la pratique gestion de la transformation à EY Canada. Elle doit pouvoir articuler le sens de la transformation, notamment auprès de ceux qui la craignent. Surtout, elle doit inspirer les autres personnes et bien décrire les avantages du projet pour l’avenir de l’organisation.»

Pour y arriver, les leaders numériques doivent d’abord eux-mêmes avoir une vision claire de leur projet. «Si vous voulez que les gens vous suivent, vous devez savoir où vous allez, illustre Elizabeth Henry, d’Adviso. Vous devez rendre le projet concret. Trouvez les bons mots pour que tout le monde comprenne la valeur qui sera créée.» La PDG propose d’ailleurs à ces leaders d’essayer de vivre rapidement quelques petits succès pour montrer cette valeur. Les projets qui sont trop longs ou trop abstraits tendent à perdre leur force mobilisatrice.

Les leaders numériques doivent aussi faire preuve d’écoute et d’empathie. «Ça aide de très bien connaître l’entreprise et ses différents départements, car on comprend plus aisément qui les changements affecteront, et de quelle manière, note Caroline Colongo. C’est important pour amorcer rapidement un dialogue constructif avec ces personnes.»

Pour les besoins d’une étude, le cabinet de recrutement Russell Reynolds Associates (RRA) a fait subir des tests psychométriques à des cadres responsables de projets de transformation numérique. Les résultats affichaient des différences marquées entre eux et les cadres supérieurs moyens : ils se montraient plus enclins à passer outre aux formalités administratives, plus créatifs, plus prêts à bousculer l’ordre établi, plus à l’aise à travailler dans un environnement incertain et plus disposés à prendre position sur certains sujets.

Parler techno, penser affaires

«Les leaders numériques affichent des aptitudes semblables à celles des entrepreneurs, mais ils détiennent moins de contrôle, surtout s’ils travaillent dans de grandes sociétés, souligne Caroline Colongo. D’où l’importance de savoir convaincre et susciter l’adhésion.» L’étude de RRA montre d’ailleurs que ces responsables sont souvent socialement habiles, tout en étant plus portés que les cadres supérieurs moyens à être à l’écoute de leurs collègues et à adapter leurs discours à leur auditoire. Cela s’avère pratique pour dialoguer avec des départements aussi différents que les technologies de l’information (TI), les finances, la distribution, le marketing ou les ressources humaines.

De tels leaders doivent-ils être de fins connaisseurs des nouvelles technologies? Pas nécessairement. Certes, ils doivent se sentir à l’aise avec ces outils pour garder une certaine crédibilité, saisir les questions éthiques et, surtout, être capables de discuter des solutions proposées et de les remettre en question. «Ils n’ont pas besoin d’être des experts techniques, mais ils doivent avoir assez de connaissances numériques, technologiques et en gestion de données pour bien comprendre les répercussions de leurs choix sur les employés et l’entreprise», résume Luc Lespérance.

Selon Caroline Colongo, il importe surtout d’être un bon gestionnaire, qui maîtrise très bien les objectifs d’affaires de l’entreprise ainsi que les besoins de l’ensemble de ses parties prenantes. «Une transformation numérique, c’est un projet d’affaires qui vise à créer de la valeur, rappelle-t-elle. Cela doit toujours rester la cible ultime des leaders numériques.»