Article publié dans l'édition Printemps 2019 de Gestion

Mia Homsy est directrice de l’Institut du Québec.

Mia Homsy est directrice de l’Institut du Québec.

Après une quinzaine d’années de gouverne libérale, les Québécois sont en train de découvrir et d’apprivoiser leur premier gouvernement caquiste. Bien que certains éléments du discours du nouveau premier ministre, François Legault, s’inscrivent dans la continuité des choix politiques de ses prédécesseurs, de nouvelles priorités ont été établies.

Maintenant que la CAQ est au pouvoir depuis plusieurs mois, il y a lieu de se pencher sur les points forts du discours du premier ministre en matière d’économie, d’abord pour mieux comprendre sa vision, puis pour déterminer si les priorités qu’il s’est fixées correspondent aux véritables défis de l’économie québécoise.

La priorité en économie : davantage de richesse au Québec

Depuis plusieurs années, M. Legault poursuit le même objectif dans le domaine économique : accroître la richesse relative des Québécois par rapport à leurs voisins, notamment les Ontariens. Il souhaite en fait combler l’écart de revenu disponible entre la population du Québec et celle de l’Ontario pour ultimement réduire les sommes que le Québec reçoit en péréquation chaque année, celles-ci s’élevant à des milliards de dollars.

Pour y parvenir, il compte favoriser la création d’emplois bien rémunérés, accroître la productivité, augmenter la proportion des investissements des entreprises québécoises par rapport aux autres provinces canadiennes et diversifier les exportations.

Une analyse des indicateurs économiques retenus et cités par le premier ministre confirme le retard du Québec par rapport à l’Ontario en ce qui a trait au revenu disponible et au PIB par habitant, aux salaires et à la productivité. Toutefois, il est important de préciser et de nuancer ces affirmations afin de mieux cerner les causes de ces écarts :

L’écart bien réel entre le revenu disponible des Québécois et celui des Ontariens s’explique principalement par une rémunération plus faible au Québec. Une part de cet écart est attribuable au fait que les Ontariens travaillent en moyenne une heure de plus par semaine que les Québécois.

Les salaires horaires médians et moyens sont un peu plus bas au Québec qu’en Ontario. Cependant, cet écart s’est resserré au cours des dernières années : en 2018, il s’établissait à 4,9 % pour le salaire médian et à 7,6 % pour le salaire moyen1.

L’écart salarial entre le Québec et l’Ontario s’explique par la distribution des salaires, qui favorise légèrement l’Ontario. Ainsi, comparativement à cette province, le Québec compte un peu plus d’emplois pour lesquels on offre des salaires horaires situés entre 12 $ et 26 $, autant d’emplois dont la rémunération varie de 26 $ à 40 $ de l’heure et moins d’emplois pour lesquels on propose des salaires horaires supérieurs à 40 $.

Au chapitre de la productivité, là encore, l’Ontario se tire mieux d’affaire que le Québec. Ainsi, l’écart de productivité des entreprises entre les deux provinces s’élevait à 8 % en 20172. Si le tiers de ce retard s’explique par le poids de certains secteurs d’activité moins productifs, il tient aussi à l’existence d’écarts de productivité considérables, tant dans le secteur de la fabrication que dans celui des services.

La question de la main-d’œuvre demeure le principal angle mort du gouvernement du Québec. On doit le féliciter de l’importance accordée à l’éducation, mais trop peu a été dit au sujet de la formation continue ou de l’adéquation entre les besoins des entreprises et les compétences des travailleurs. Surtout, on n’a entendu qu’une reconnaissance du bout des lèvres du problème majeur que représentent les pénuries de main-d’œuvre régionales et sectorielles. C’est pourtant un obstacle considérable sur le chemin de la croissance économique du Québec. Le gouvernement Legault devrait donc prendre acte de la situation en matière de main-d’œuvre et agir aussi vite que possible.


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Et les finances publiques ?

Les orientations de ce gouvernement en matière de gestion des finances publiques nous laissent aussi sur notre appétit. Les intentions doivent être précisées.

Par le passé, François Legault a préconisé l’utilisation des sommes réservées au remboursement de la dette – c’est-à-dire les montants accumulés dans le Fonds des générations (FDG) – pour investir dans les entreprises québécoises.

Toutefois, depuis que les finances publiques québécoises sont assainies, la CAQ semble avoir abandonné cette position : elle prône maintenant l’utilisation des sommes accumulées dans le FDG uniquement pour réduire le poids de la dette. La CAQ est même allée plus loin lors de la campagne électorale de 2018 en s’engageant à ne pas utiliser la réserve de stabilisation, un coussin budgétaire créé à partir des surplus accumulés au cours des dernières années, pour éviter les déficits.


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Rappelons que le gouvernement caquiste a hérité d’une situation financière très avantageuse grâce au redressement effectué par les libéraux : après plusieurs années de déficits, le budget de l’État affichait un surplus de 2,6 milliards de dollars (après un versement de 2,3 milliards au FDG) en 2017-2018. Le nouveau ministre des Finances devra maintenant informer les Québécois de l’usage qu’il fera de ces surplus et, surtout, exprimer sa détermination à maintenir un budget équilibré sans puiser dans le coussin de sécurité destiné à parer aux imprévus et aux ralentissements économiques.

Dans l’ensemble, le discours du gouvernement de François Legault en matière d’économie semble bien adapté aux défis économiques du Québec. Il reste maintenant à voir ce qu’il proposera afin de réaliser ses ambitieux objectifs.


Notes

1- Statistique Canada, « Salaires des employés selon la permanence de l’emploi et la couverture syndicale, données annuelles », tableaux nos 14-10-0066-01 et 14-10-0299-01.

2- Homsy, M., Savard, S., et Scarfone, S., Plus d’emplois bien rémunérés, est-ce possible ? – Analyse des écarts salariaux entre le Québec et l’Ontario, Montréal, Institut du Québec, 2018, 28 pages.