Les PDG devront s’efforcer de mieux répondre aux nouvelles attentes de la population canadienne, montre un récent sondage de la firme Léger, réalisé pour le Pôle D de HEC Montréal.

En novembre dernier, Léger a questionné 1 500 membres canadiens de son panel Web, afin d’évaluer leurs perceptions des PDG canadiens. L’étude avait été commandée par le Pôle dirigeant, dirigeante et direction stratégique (Pôle D) de HEC Montréal.

Ce centre d’étude spécialisé dans l’exercice de la fonction de hauts dirigeants a été créé en novembre 2020. «C’est une initiative assez unique, car très peu de centres dans le monde se penchent spécifiquement sur le métier de PDG», souligne son cofondateur et codirecteur Alaric Bourgoin, professeur agrégé au Département de management de HEC Montréal.

Le pôle est codirigé par des professeurs et d’ex-PDG, dont Yves Devin, ancien directeur général de la STM et du Casino de Montréal, aujourd’hui professeur associé à HEC Montréal au Département de gestion des opérations et de la logistique. «Nous souhaitons générer des connaissances, et surtout, les transmettre aux dirigeants actuels pour les appuyer dans leur travail, avec beaucoup d’humilité et sans donner de leçons», explique ce dernier.

Des PDG peu connus

C’est dans ce contexte qu’intervient ce premier sondage sur la perception des PDG par les Canadiens, qui deviendra une mesure annuelle. Premier constat : les Canadiens peinent à nommer spontanément ne serait-ce qu’un seul PDG. À l’échelle canadienne, Galen Weston, le PDG de Loblaws, est le plus souvent cité (14%), mais il est presque inconnu au Québec.

Les répondants québécois semblent mieux connaître leurs PDG que les habitants des autres provinces. Pierre Karl Péladeau est, de loin, le nom qui revient le plus fréquemment (25%), suivi de l’ex-PDG d’Hydro-Québec et d’Énergir, Sophie Brochu (14%), et de Geoff Molson (9%). Michael Rousseau (Air Canada) et Guy Cormier (Desjardins) jouissent aussi d’une certaine notoriété chez nous (5%).

Une image négative

Mais au-delà de l’absence de notoriété des grands dirigeants canadiens, le sondage soulève des interrogations quant à leur image. Ainsi, plus de neuf Canadiens sur dix pensent qu’ils sont riches et plus de huit sur dix soutiennent qu’ils priorisent toujours l’argent, ont un gros ego et cachent leurs vraies émotions.

Les PDG chercheraient surtout à satisfaire leurs actionnaires (86%), la direction de leur entreprise (72%) et leurs clients (62%). Les Canadiens qui croient qu’ils donnent la priorité à l’opinion publique (32%), à leur personnel (16%) et à la communauté (8%) dans leurs décisions sont beaucoup plus rares.

Les PDG pointent aussi en queue de peloton des sources d’information jugées crédibles. Même les gouvernements et les médias font mieux, alors que les universités et les organisations non gouvernementales arrivent en tête. Pas moins de six Canadiens sur dix chez les 18-34 ans estiment même qu’ils cherchent à induire la population en erreur en véhiculant de fausses informations ou en exagérant ou en déformant la vérité et qu’ils n’ont pas des intentions sincères.

Qui plus est, plus de 64% des Canadiens affirment ne trouver aucun PDG inspirant. Au Québec, seuls Sophie Brochu (8%) et Pierre-Karl Péladeau (6%) sont jugés inspirants par certains. Les deux ont pris publiquement des positions politiques ou sociétales ces dernières années, Sophie Brochu dans la lutte au changement climatique et PKP en devenant brièvement chef du Parti Québécois.

«Cette image plutôt négative n’est pas si étonnante en regard du contexte actuel, considère Yves Devin. D’un côté, des gens se serrent la ceinture à cause de l’inflation et des taux d’intérêt qui augmentent et en même temps, les profits de plusieurs entreprises et les salaires des PDG explosent. Cela teinte la vision que les Canadiens ont des hauts dirigeants.»

Yves Devin a tout de même été surpris de constater que moins de quatre répondants sur dix pensent que les PDG ont un impact positif sur l’équilibre travail-vie personnel des employés. Ils sont aussi jugés assez sévèrement quant à leur impact positif sur le sentiment d’appartenance du personnel, les harcèlements et la discrimination en milieu de travail et même la santé et la sécurité du personnel.

Répondre aux attentes

Les PDG sont cependant jugés bons dans leur travail. Plus de sept Canadiens sur dix estiment qu’ils veulent faire du bien pour leur entreprise (76%), qu’ils savent ce qu’ils ont à faire (76%) et qu’ils sont compétents (74%). Par ailleurs, les Québécois montrent tout au long du sondage une opinion un peu plus positive des PDG que les Canadiens. Près de six sur dix les voient même comme des modèles à suivre pour les jeunes, contre en moyenne quatre sur dix dans les autres régions du Canada.

«Ce qui m’a frappé dans ce sondage, c’est l’écart entre la perception actuelle des répondants et ce qu’ils croient qu’un PDG devrait être, observe Alaric Bourgoin. Le PDG du futur, selon les Canadiens, serait un PDG citoyen, ce qui est différent du rôle plus purement économique traditionnellement dévolu à ces hauts dirigeants.»

Plus de huit Canadiens sur dix souhaitent que les PDG s’engagent envers le bien-être de leur communauté locale, la protection de l’environnement et l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI). Cependant, à peine quatre sur dix trouvent qu’ils répondent actuellement à ces attentes (cinq sur dix dans le cas de l’EDI). Environ six Canadiens sur dix veulent qu’ils prennent des positions publiques fortes sur des sujets de société ou deviennent des personnalités publiques… mais huit sur dix considèrent qu’ils ne doivent pas se montrer trop présents dans les médias.

«Le rôle du PDG se situe à la lisière entre l’interne et l’externe et ce sondage indique que les PDG ne doivent pas négliger la dimension externe, prévient Alaric Bourgoin. Les hauts dirigeants doivent savoir bâtir la confiance envers leur marque et bien connecter avec les parties prenantes externes de l’entreprise.»

De son côté, Yves Devin souligne que les PDG vivent déjà beaucoup de défis en raison du contexte difficile marqué par la pénurie de main-d’œuvre, l’inflation, la hausse des taux d’intérêt et les problèmes d’approvisionnement. «Ils auront besoin d’accompagnement pour répondre aux nouvelles attentes sociétales d’une grande partie de la population en plus de surmonter ces défis, soutient-il. Nous espérons pouvoir faire une différence sur ce plan.»