Article publié dans l'édition automne 2016 de Gestion

Hautement médiatisés, les « parachutes dorés » ont souvent été vivement critiqués. En effet, il peut sembler difficilement justifiable de payer généreusement ceux qui se font mettre à la porte en raison de leur incompétence et d’ainsi récompenser l’échec. Et si ces fameux contrats de séparation avaient des vertus insoupçonnées ?

Contrairement à une idée reçue, même aux États-Unis, la grande majorité des directeurs généraux ont un contrat de travail. Celui-ci spécifie généralement, dès l’embauche, la compensation que les dirigeants recevraient en cas de licenciement. Bien sûr, le montant peut ensuite être renégocié à la hausse pour faciliter le départ d’un dirigeant. Cela étant, le montant stipulé au contrat est le seul déterminant significatif de la somme qui sera effectivement payée.

Ces contrats peuvent comprendre de nombreuses clauses. Lorsqu’un dirigeant se fait licencier à la suite de l’acquisition de son entreprise, il peut recevoir un « parachute doré ». Mais un dirigeant peut également se faire licencier « avec cause », laquelle devra être clairement définie dans le contrat. Il s’agit généralement de comportements jugés incompatibles avec le poste, tels que l’alcoolisme ou la consommation de drogues. Un dirigeant peut également se faire licencier « sans cause ». Cette appellation peut être trompeuse, car elle désigne souvent les licenciements dus à une performance insuffisante ou à une inadéquation entre les compétences du dirigeant et les besoins de son organisation.


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Des postes à haut risque

La position de directeur général n’est plus ce qu’elle était. Aux États-Unis, un directeur général dirige maintenant une entreprise pendant moins de six ans, comparativement à environ dix ans dans les années 1970. Par ailleurs, au cours des dernières années, le changement de directeur général est devenu plus fortement associé avec la performance de l’entreprise. Autrement dit, les directeurs généraux peu performants se font plus rapidement mettre à la porte. Accepter un tel poste est donc devenu plus risqué. Un échec est toujours hautement médiatisé et peut ruiner la carrière d’un cadre prometteur.

En effet, pour le meilleur et pour le pire, c’est souvent le directeur général qu’on tient responsable de la performance d’une entreprise. Il est souvent difficile, même pour le directeur général lui-même, de prévoir sa performance future. Celle-ci dépend de nombreux facteurs encore inconnus au moment de son embauche ou de sa promotion. Par conséquent, un dirigeant prometteur pourrait logiquement refuser de prendre en main une entreprise, à moins que son exposition au risque ne soit réduite.

C’est précisément la raison d’être des contrats qui établissent la compensation que recevrait un dirigeant à l’occasion de son départ de l’entreprise. Ces contrats facilitent le recrutement de dirigeants talentueux et leur promotion au sommet de la hiérarchie. L’existence de ces contrats est ainsi liée au degré d’incertitude : plus celui-ci est élevé, plus ces contrats sont utiles. D’ailleurs, ceux-ci sont particulièrement utilisés par les entreprises en difficulté financière.

Une incitation à l’innovation

Ces contrats présentent d’autres avantages. Ils incitent notamment le directeur général d’une entreprise à prendre des risques. Celui-ci sait en effet que, même si le risque en question ne s’avère pas payant et que lui-même se fait licencier, il ne sera pas (trop) perdant s’il a réussi à négocier un bon contrat. Ces contrats pourraient donc faciliter la mise en œuvre de nouvelles stratégies d’entreprise ou encore la prise de risques grâce à l’innovation.

Les parachutes dorés peuvent aussi amenuiser la résistance managériale aux acquisitions, pourtant bénéfiques. En effet, dans de telles circonstances, le directeur général de l’entreprise acquise perd fréquemment son emploi ou, du moins, son statut. Cela peut l’amener à essayer de faire échouer la tentative d’acquisition, quitte à dépenser l’argent des actionnaires à cette fin. Donner un parachute doré permet d’orienter les intérêts du dirigeant selon ceux de l’entreprise. Ainsi, ce type de contrat est souvent utilisé par les cibles potentielles d’acquisitions.


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Enfin, il arrive que le directeur général – et parfois son équipe – sache ne pas être à la hauteur de la tâche demandée, de sorte que l’entreprise se porterait mieux avec quelqu’un d’autre à sa direction. En règle générale, ils n’ont pas intérêt à annoncer cela au conseil d’administration puisqu’ils perdraient alors vraisemblablement leurs emplois et leurs salaires. Au contraire, un dirigeant peut négocier son départ dans de bonnes conditions stipulées dans un contrat. De même, un tel contrat peut amener le dirigeant d’une entreprise à révéler plus rapidement des informations négatives, quand bien même celles-ci pourraient occasionner son licenciement.

Le rôle crucial de la gouvernance

Ces contrats ont donc de nombreux avantages, ce qui explique certainement leur popularité croissante aux États-Unis. Cela étant, comment faire la part des choses entre des contrats qui servent véritablement les intérêts de l’entreprise et ceux qui constituent une extraction de rente par des dirigeants puissants ? Une fois encore, la gouvernance d’entreprise joue ici un rôle crucial. Un conseil d’administration de petite taille, composé d’administrateurs indépendants, bien formés et expérimentés, fera davantage le poids face au dirigeant lors des négociations. Il s’assurera qu’un contrat offert au dirigeant serve avant tout les intérêts de l’entreprise.

En même temps que les postes de direction sont devenus plus à risque, les contrats de séparation se sont généralisés. Cette évolution pourrait préfigurer la relation de travail future pour un nombre important d’employés, dans la mesure où les changements économiques et technologiques s’accélèrent et où la durée d’un emploi se réduit. Ainsi, ce type de contrat pourrait naturellement être amené à se démocratiser.


Pour en savoir plus

  • Steven N. Kaplan et Bernadette A. Minton, « How Has CEO Turnover Changed? », International Review of Finance, vol. 12, n° 1, mars 2012, pages 57-87.
  • P. Raghavendra Rau et Jin Xu, « How Do Ex Ante Severance Pay Contracts Fit into Optimal Executive Incentive Schemes? », Journal of Accounting Research, vol. 51, n° 3, juin 2013, pages 631-671.
  • Tjomme O. Rusticus, Executive Severance Agreements, thèse de doctorat, Université de la Pennsylvanie, 2006.
  • Stewart J. Schwab et Randall S. Thomas, « An Empirical Analysis of CEO Employment Contracts : What Do Top Executives Bargain For », Washington and Lee Law Review, vol. 63, n° 1, hiver 2006, pages 232-270.