Point de vue publié dans l'édition automne 2015 de Gestion

Il m’arrive parfois de me sentir très vieux et totalement dépassé. Tenez, l’autre jour, un kid de 22 ans en culottes courtes (ceci n’est pas une image) m’a expliqué avec son partenaire que leur entreprise de location à court terme d’appartements sur le Web deviendra dans cinq ans l’un des plus gros gestionnaires immobiliers au monde.

pierre duhamel

Pierre Duhamel, journaliste économique depuis près de 30 ans.

Flatbook est l’une des étoiles montantes du Web montréalais, l’une de ces startups sur lesquelles des investisseurs misent dans l’espoir qu’elles deviennent un Facebook, un Twitter, un Airbnb ou un Uber.

L’idée derrière ce projet est finalement assez simple. Il s’agit d’aider ceux qui voudraient tirer des revenus de la location ou de la sous-location de leur appartement à trouver les visiteurs prêts s’y poser pendant quelques nuitées. Bref, de jouer à l’hôtelier avec son logement inoccupé parce qu’on est soi-même en vacances ou de retour à la maison de ses parents après l’année universitaire.


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C’est un peu le modèle, mais avec certaines améliorations, d’Airbnb, un site valorisé à hauteur de 20 milliards de dollars par ses derniers investisseurs.

L’économie du Web est fascinante à maints égards. D’abord parce qu’elle se répand comme un virus sur tous les marchés, de la finance à la distribution, du transport à l’hébergement, comme c’est le cas de Flatbook. Même les objets sont infectés, et on ne saurait dorénavant produire une automobile, un téléviseur ou un réfrigérateur non connecté à Internet.

C’est aussi une économie de coups de circuit. Les succès ne peuvent pas être modestes, car la réussite implique une contamination rapide, fulgurante et mondiale. Il peut y avoir de nombreuses chaînes hôtelières régionales et internationales, mais peut-il y avoir trois ou quatre plateformes concurrentes à Airbnb ? Ou quatre ou cinq Amazon ou Alibaba ? Les marchés ne le croient pas.

Cette logique du succès phénoménal induit un certain nombre de comportements. Les entrepreneurs de cette nouvelle économie sont souvent des investisseurs qui répartissent leurs billes dans quelques projets dans l’espoir que l’un d’eux se distingue suffisamment pour attirer un acheteur aux poches pleines.

On crée pour vendre et on recommence. La logique de la protection des sièges sociaux ou des fleurons menacés n’existe pas dans cet univers où l’objectif consiste à empocher un bon montant au moment propice afin de faire ses frais et de dégager un bénéfice qui permettra de créer ou de financer un nouveau projet.

Le miracle se produit parfois et votre idée s’appelle Google ou Facebook. Cela équivaut à gagner la plus grosse cagnotte à la plus grosse loterie. Toutefois, comme au loto, mieux vaut miser sur plusieurs billets à la fois, ne serait-ce que pour y rêver.

Les investisseurs technologiques doivent constamment alimenter le « pipe-line », un peu comme les grandes entreprises pharmaceutiques qui travaillent parallèlement sur plusieurs molécules pour trouver le blockbuster qui financera toute l’opération et générera l’essentiel des profits.


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Entre-temps, admirons le vocabulaire qui n’existait pas il y a une vingtaine d’années et la trame narrative de cet étrange univers.

Développeurs et investisseurs font partie de « la communauté », dont le lieu saint est la Silicon Valley. Ils ont pour objectif de lancer une startup qui mettra au point une app répondant à un besoin non comblé, créant ainsi un nouvel usage ou même un marché électronique qui court-circuitera les réseaux en place. Les professeurs de gestion parleront alors avec délectation d’une stratégie disruptive.

Cette stratégie sera mise en œuvre grâce à une communication virale (toujours le virus !) et à une connaissance intime des comportements des clients grâce à de puissants algorithmes prédictifs et au stockage du maximum de données. Nous sommes à l’ère du big data.

La technologie permet d’étranges choses, mais elle fait aussi rêver deux jeunes entrepreneurs de 22 ans, Francis Davidson et Lucas Pellan, qui croient avec Flatbook avoir l’idée qui va bouleverser le marché de l’hébergement.