Les multiples visages de l’épuisement
2022-09-12
French
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2023-10-02
Les multiples visages de l’épuisement
Ressources humaines , Santé
Burn-out, bore-out, brown-out, blur-out : l’épuisement peut prendre différents aspects. Pour mieux le prévenir et le combattre, mieux vaut en connaître toutes ses facettes.
Le syndrome de l’épuisement professionnel est loin d’être nouveau. Connu de tous, le burn-out n’est cependant plus la seule forme de «out» faisant partie du vocabulaire des travailleurs. Les termes bore-out, brown-out et blur-out se sont eux aussi introduits dans le jargon organisationnel.
Le burn-out et ses rejetons
L’épuisement professionnel (souvent appelé burn-out) est généré par une surcharge de travail ou un surinvestissement dans un contexte professionnel. Il se caractérise par un stress chronique et non ponctuel. Autrement dit, l’employé y est exposé de façon permanente.
Ce terme est emprunté au vocabulaire de l’industrie aérospatiale où il définit la surchauffe d’un engin lorsqu’il a épuisé son carburant, ce qui peut mener à sa destruction. Lorsqu’il est appliqué à un individu, ce mot fait plutôt référence à une destruction émotionnelle, affective et comportementale provoquée par l’épuisement. On pourrait aussi comparer le burn-out à la mérule pleureuse, ce champignon qui ronge lentement – mais inexorablement – les structures de bois. Dans le cas du burn-out, il faudra généralement de cinq à dix années avant d’en arriver au stade final et que la personne affectée s’éteigne alors complètement comme une bougie… Ses batteries ne sont pas à plat – dans le sens où elles pourraient être rechargées –, mais véritablement oxydées de l’intérieur et inutilisables.
Plusieurs chercheurs ont étudié le phénomène du burn-out. Certains, comme Herbert Freudenberger, l’ont qualifié de maladie de l’âme en deuil de son idéal. Pour sa part, la psychologue américaine Christina Maslach l’a analysé sous trois angles : l’épuisement émotionnel, qui est la dimension centrale du burn-out et qui se traduit par une fatigue permanente, de la colère, de l’irritation et un manque de concentration; le cynisme ou la dépersonnalisation, une phase durant laquelle l’individu devient négatif, dur envers son travail et les personnes côtoyées (collègues, patron, clients, patients, etc.); la perte de l’accomplissement personnel, qui est reliée à un sentiment d’échec et de perte de l’estime de soi.
Toutefois, l’épuisement se décline sous d’autres formes. À l’autre bout du spectre, on trouve le bore-out, un épuisement causé par l’ennui au travail. Une sous-sollicitation, un «sous-menage» (à l’inverse du surmenage) et un manque de défis finissent par venir à bout de la motivation de l’employé. En général, le bore-out a trait au contexte du poste, dont les tâches ont été revues après une réorganisation au sein de l’entreprise, par exemple. S’il est imposé par l’employeur qui «tablette» un travailleur, on parle alors de bore-out punitif, une forme d’ostracisation ou de placardisation. Là encore, l’ennui n’est pas passager, mais chronique.
Entre les deux extrêmes du burn-out et du bore-out, il y a le brown-out ou le black-out, causé par une perte partielle ou totale de sens au travail. Il provoque un désengagement, voire une véritable démission mentale ou contractuelle de l’employé. La personne qui en souffre en vient à se demander pourquoi elle se lève le matin pour aller au bureau, elle est désabusée et écrasée par l’absurdité et l’inutilité de son travail.
L’anthropologue David Graeber l’a associé aux bullshit jobs, ces emplois sans utilité sociale créés par la société elle-même. On pense notamment à ces employés qui sont payés pour rédiger des rapports que personne ne lit et qui dorment dans un tiroir…
Enfin, le blur-out est une autre forme d’épuisement. Il s’agit du floutage de la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle, cette dernière sphère prenant le dessus sur la première. Parmi les éléments déclencheurs du blur-out, on n’a qu’à penser notamment aux technologies qui nous permettent de travailler en tout temps et en tout lieu. À cet égard, le déploiement massif du télétravail durant la pandémie a constitué un terreau fertile à ce phénomène.
Mieux vaut prévenir que guérir
Afin d’éviter que leurs employés évoluent dans un environnement propice à l’épuisement, les organisations ont tout intérêt à promouvoir un climat de travail sain et bienveillant. Le cas échéant, il leur faudra analyser et revoir leurs pratiques de gestion. Cette intervention primaire vise tous les travailleurs et pourra être complétée par une intervention secondaire qui permettra d’agir directement sur les individus. Par exemple, les entreprises peuvent proposer des ateliers ou des formations abordant la gestion du stress, la gestion du temps, les saines habitudes de vie, l’activité physique, etc. Instaurer un climat de sécurité psychologique qui permet aux employés de s’exprimer s’avère également incontournable.
Puis, l’intervention tertiaire est celle où l’on procède au cas par cas, directement auprès des individus souffrant d’épuisement professionnel. Les programmes d’aide aux employés, incluant un suivi médical et psychologique, sont des outils privilégiés.
Comment prévenir le burn-out?
Pour réduire les risques de burn-out, des actions peuvent être posées. Apprendre à dire non, mettre ses limites et s’exercer au lâcher-prise sont d’excellentes mesures de prévention. En agissant ainsi, on prend conscience que de telles actions ne sont pas un signe de faiblesse, mais sont le résultat d’une décision bien réfléchie prise par une personne qui est à l’écoute de son corps. On doit aussi bien connaître ses zones de pouvoir et d’impuissance, c’est-à-dire ce qu’on contrôle et ce qu’on ne contrôle pas. L’idéal est toujours de se situer entre ces deux zones.
Éviter de s’enfoncer dans un épisode d’épuisement professionnel nécessite un important travail sur soi, notamment cesser de croire qu’on porte sur ses épaules le poids du monde (mythe d’Atlas) ou qu’on doit assurer la pérennité de l’entreprise coûte que coûte, quitte à mettre sa propre santé en péril (mythe du pélican). Reconnaître et faire respecter ses limites est une force. Apprendre à déléguer l’est tout autant.
Autre bonne habitude à prendre : dresser une liste des tâches qu’on doit accomplir, par ordre de priorité, et déterminer la faisabilité de chacune d’elles en tenant compte de nos ressources et de nos limites. Quand tout nous paraît urgent et que toutes les tâches sont sur le même pied d’égalité, on s’impose alors un niveau de stress important.
Apprendre à se récompenser, se fixer des objectifs réalistes et atteignables, faire en sorte que le travail soit une source de plaisir sont également des actions qui aident à réduire les risques de burn-out.
Comment prévenir le bore-out?
Puisqu’il est davantage relié à un poste qu’à un individu en tant que tel, le bore-out devrait quant à lui être dans la ligne de mire des entreprises. Afin de se prémunir contre le désengagement de leur personnel, les organisations doivent éviter que la routine s’installe et maintenir un bon degré de stimulation des équipes. Cela représente néanmoins un défi pour trouver le juste équilibre, puisqu’il faut confier aux employés une charge de travail réaliste tout en leur offrant des défis et les ressources nécessaires pour pouvoir les relever.
Dans le but de prendre le pouls du personnel sur le terrain, la gestion itinérante (appelée aussi le management baladeur, alors que le gestionnaire va à la rencontre des employés et les questionne sur leurs tâches) se révèle un bon procédé. Communication franche et ouverte, écoute active et climat de sécurité psychologique permettant aux individus de s’exprimer constituent de bonnes pratiques.
L’employé peut lui aussi poser des gestes pour prévenir le bore-out, notamment en développant son agentivité, c’est-à-dire en se percevant lui-même comme un acteur du monde jouant un rôle proactif et non passif. Celui-ci peut aussi cultiver la sérendipité, une attitude qui l’amènera à saisir les occasions qui se présentent au lieu d’attendre que l’employeur les lui propose.
Comment prévenir le brown-out?
Pour éviter que ses employés ne soient victimes d’un brown-out, l’organisation devrait s’efforcer de donner du sens à leur travail en leur permettant de réaliser des tâches plus stimulantes. Ainsi, mettre en place des programmes de développement de compétences et de la formation continue sont des outils efficaces. Mais ce n’est pas tout : il faut que le gestionnaire ait à cœur de valoriser l’employé et son travail, et lui rappeler l’utilité des tâches qu’il effectue.
Comment prévenir le blur-out?
Les stratégies classiques d’organisation du travail peuvent réduire les risques de blur-out, notamment la flexibilité des lieux et des horaires de travail. Certains pays, comme la France, ont déjà légiféré sur le droit à la déconnexion. Même si ce n’est pas encore le cas au Québec, une réflexion est amorcée à ce sujet. En attendant, les employeurs pourraient créer une politique de déconnexion applicable à l’interne, qui ferait partie intégrante de la culture et des valeurs de l’organisation.
Remonter la pente
Lorsque le mal est fait et que des employés souffrent d’épuisement, il est indispensable d’intervenir à la source et de suivre une démarche structurée. Se relever d’un épisode d’épuisement, peu importe la forme, est souvent un long processus. Aux yeux de l’employé, l’entreprise peut être perçue comme une source de souffrance, une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête. En ce sens, les gestionnaires devront faire preuve de flexibilité et l’accommoder autant que possible afin qu’il puisse, ultimement, se remettre en selle.
Le processus de guérison sera long, mais en étant consciente de son épuisement, en se montrant ouverte au changement et en étant prête à se faire aider, la personne victime d’épuisement met toutes les chances de son côté pour retrouver son équilibre.
Article publié dans l’édition Automne 2022 de Gestion
Ressources humaines , Santé