L’agilité n’est pas une baguette magique ni une recette que l’on peut appliquer à toutes les organisations et tous les projets. Pour réussir son implantation, il faut que certaines conditions préalables soient réunies.

 L’agilité s’appuie sur quatre grandes valeurs, dont la mise en œuvre nécessite toutefois un environnement favorable. Quelles sont les limites qui pourraient entraver leur déploiement?  

Des processus parfaitement connus et documentés

L’agilité est née de la nécessité de s’adapter. Plus les besoins sont changeants et l’environnement, complexe, et plus elle trouvera un terreau fertile. «C’est dans la complexité que l’agilité prend de la valeur. Inversement, la gestion traditionnelle convient mieux à certains projets où les processus sont bien maîtrisés, ou le résultat attendu est bien connu», explique Miguel Hernandez, maître d’enseignement au Département de management de HEC Montréal.

Dès que l’on applique une recette dont on maîtrise parfaitement les différents ingrédients et les étapes, l’agilité perd sa raison d’être. Éric Hamel, directeur principal de Nexio Inc. et président du conseil d’administration de la Communauté Agile Québec, souligne que si un projet fonctionne déjà avec un cadre bien défini, un calendrier précis et qu’il n’y a pas d’espace pour l’expérimentation, rien ne sert alors de vouloir implanter l’agilité.

À titre d’exemple, si l’on fabrique une montre selon une procédure fixée d’avance, efficace et qui a fait ses preuves, nul besoin d’agilité. «Les méthodes de gestion traditionnelles fonctionnent mieux dans le cadre de projets où la robotisation ou même l’intelligence artificielle pourraient être mises en place», remarque Philippe Mast, CRHA, consultant, conférencier, formateur et cofondateur de la firme CORTO.REV.

Des projets monolithiques

La valeur de l’agilité réside notamment dans l’amélioration issue de l’expérimentation sur de courtes itérations. Par conséquent, lorsqu’un projet ne peut se diviser en différents segments, la démarche traditionnelle est souvent préférable. «Admettons que l’on bâtisse une maison, il ne sera pas possible de fractionner le processus. En revanche, si l’on érige un édifice de plusieurs étages, on pourrait procéder de façon modulaire et faire un retour sur expérience au fur et à mesure que la construction avance», illustre Miguel Hernandez.

Autre exemple : un pont ne peut pas être édifié de façon agile, puisqu’il n’est pas possible de le livrer par portions. «En revanche, le processus de conception peut faire appel à l’agilité. On prépare des prototypes que l’on teste et que l’on présente au client au fur et à mesure. Ici, on pourrait fonctionner en vertu d’une approche hybride, certaines phases étant agiles et d’autres pas», poursuit-il.

Manque de collaboration au sein de l’équipe

«L’agilité est un sport d’équipe! Tout seul, on va plus vite, mais ensemble, on va plus loin», rappelle Guillaume Lapierre, coach organisationnel senior et cofondateur de la firme Pragsix. Ainsi, lorsque les gestionnaires et les employés sont trop individualistes et que la culture organisationnelle ne favorise pas la collaboration, dans ce cas, il peut être ardu, voire impossible, d’implanter l’agilité.

Pour s’épanouir, cette dernière a besoin d’une culture consensuelle basée sur la coopération. «C’est de cette façon que l’on pourra passer d’une intelligence individuelle à une intelligence collective», mentionne Philippe Mast.

L’entreprise doit donc miser sur des valeurs favorisant le travail d’équipe et l’émergence de leaders, estime Guillaume Lapierre. «Par exemple, au lieu de confier dix projets à dix personnes différentes parce qu’on pense que la réalisation sera plus rapide – ce qui n’est d’ailleurs pas nécessairement vrai –, il est préférable de réunir les gens autour d’un seul projet sur lequel ils vont travailler ensemble», précise-t-il.

Mais il n’y a pas que la collaboration entre les membres de l’équipe qui compte. Selon les principes agiles, celle-ci doit aussi être instaurée avec les clients plutôt que de passer par une négociation contractuelle. Or, pour que cela fonctionne, il faut pouvoir compter sur des clients disponibles et impliqués dans le projet.

Culture organisationnelle trop rigide

La culture en place au sein de l’entreprise peut aussi constituer une entrave à l’agilité. Si elle repose sur le contrôle, avec des structures rigides et hiérarchisées, un pouvoir concentré au sommet qui n’est pas redirigé vers les gestionnaires et les équipes, l’environnement sera extrêmement défavorable au mode agile.

«L’entreprise doit également faire preuve d’une certaine tolérance à l’ambiguïté, se donner une marge de manœuvre et accepter que tout ne soit pas prévu et documenté d’avance», souligne Julie Carignan, CRHA, associée et consultante chez Humance. Elle considère qu’en ce sens, certains milieux ne sont pas propices au déploiement de l’agilité. Elle se souvient d’ailleurs du cas d’un de ses clients. «J’agissais comme conseillère pour l’aider à instaurer une approche plus agile au sein d’une équipe. Or, dès le départ, il m’a demandé de produire un parcours de développement qui soit coulé dans le béton. Je souhaitais plutôt lancer le projet le plus rapidement possible, faire un retour sur expérience, puis adapter et bonifier le plan au fur et à mesure», explique-t-elle. Dans ces conditions, l’agilité risque fort de rester un vœu pieux, et non pas de devenir une réalité.