Article publié dans l'édition Été 2020 de Gestion

Ducas

Marie-Claude Ducas est chef de la rédaction, volet francophone, de l’Initiative de journalisme local à la Presse canadienne.

Je finis d’écrire cette chronique le vendredi 20 mars 2020. Il y a une semaine qu’on a décrété, au Québec, la fermeture de tous les établissements d’enseignement.

Beaucoup de parents ont reçu de leur employeur la consigne de faire du télétravail et tâchent de s’organiser du mieux qu’ils le peuvent avec de jeunes enfants ou avec des ados eux aussi confinés à la maison. Les commerces ont réduit leurs heures d’ouverture et imposé des conditions d’entrée; puis, plusieurs ont même fermé, et ce, pour une durée indéterminée. On boucle les frontières, les voyageurs rentrent au pays et se font enjoindre de se mettre en quarantaine. Les rassemblements de toute nature sont plus que fortement déconseillés.

En parallèle, certaines infos et images qui circulent dans les médias et sur les réseaux sociaux frappent l’imagination : une carte satellite de la Chine tout à coup quasi exempte de pollution ; ce spécialiste de Stanford expliquant qu’il y a sans doute, en Chine, plus de personnes sauvées par cette diminution de la pollution que de personnes tuées par la COVID-19 ; les canaux de Venise propres comme jamais depuis bien longtemps...

Et puis, il y a ces innombrables traits d’humour, notamment sous forme de mèmes, dont les réseaux sociaux sont inondés.

Ici, mardi dernier, le directeur de la Santé publique, le Dr Horacio Arruda, et le premier ministre François Legault ont supplié les jeunes de réfréner leurs envies de party, même si, à cet âge, la chose cool à faire est justement de ne pas écouter les plus vieux. Legault a demandé aux influenceurs qui ont la cote auprès des jeunes de relayer cet appel à la patience. Et les influenceurs l’ont fait. Depuis hier (jeudi), on est sur le cas des adultes récalcitrants. Mais il demeure qu’en général, on prend les choses avec une dose étonnante de philosophie et de civisme. Et on se rend compte que, lorsque c’est vraiment nécessaire, les comportements et les habitudes peuvent changer plus facilement qu’on l’aurait cru, que ce soit à l’échelle des individus, des familles, des entreprises, des villes ou de nations entières. Mais il est clair que nous n’en sommes encore qu’au début de cette crise.

Nous n’avons sans doute pas idée des répercussions et des drames à venir sur le plan humain. Nous commençons tout juste à prendre la mesure de ses conséquences économiques et financières, que ce soit globalement ou directement pour les familles et pour les particuliers. La situation semble sous contrôle pour l’instant et le nombre de décès demeure restreint. Et puis, nous en sommes à une semaine à peine de cette vie en confinement.

Avant-hier, soit le mercredi 18 mars, le quotidien français Libération a publié un texte de l’écrivaine italienne Francesca Melandri, rapidement recopié et repris sur d’autres sites et dans les médias sociaux. Il commence ainsi : « Je vous écris d’Italie, je vous écris donc depuis votre futur. Nous sommes maintenant là où vous serez dans quelques jours. » Le reste décrit avec une lucidité quasi effrayante ce qui se révèle à nous presque d’heure en heure : « Vos enfants suivront les cours en ligne, seront insupportables, vous donneront de la joie. Les aînés vous désobéiront, comme des adolescents; vous devrez vous disputer pour éviter qu’ils aillent dehors, attrapent le virus et meurent. [...]

Ceux qui invitent à considérer tout cela comme une occasion de renaissance planétaire vous aideront à élargir la perspective mais vous embêteront terriblement aussi : la planète respire à cause de la diminution des émissions de CO2, mais vous, à la fin du mois, comment vous allez payer vos factures de gaz et d’électricité? Vous ne comprendrez pas si [le fait d’]assister  à la naissance du monde de demain est une chose grandiose ou misérable. »

Moi, je vous écris depuis notre passé. Je ne sais pas à quoi ressembleront les choses en mai ou en juin, quand vous lirez cette chronique. Ni pour vous ni à l’échelle de la planète. Mais voici quelques éléments qui, en cette fin de mars, émergent, aux yeux de beaucoup, avec une clarté nouvelle.

  • Les entreprises et les organisations s’avèrent plus souples qu’on aurait pu le croire.

Que feront les gestionnaires de ces enseignements pour la suite des choses ? Espérons qu’on favorisera encore la souplesse au boulot et l’autonomie des travailleurs. Qu’on abandonnera de nombreux réflexes inutiles, dont la fameuse réunionite qui exaspère tant de gens depuis si longtemps. Qu’on permettra et encouragera le télétravail, qui apparaît tout à coup comme une chose tout à fait possible.

  • On peut mettre fin au corporatisme et à l’immobilisme.

Dans le secteur de la santé, on a procédé à des assouplissements dont on parlait depuis des années sans arriver à les mettre en œuvre, par exemple l’élargissement du rôle des pharmaciens et des infirmières. On commence aussi à explorer davantage des solutions comme la télémédecine, en s’inspirant notamment de ce qui se fait en Chine. Les syndicats peuvent être souples et adaptables eux aussi. Ce sont des syndicats qui ont attiré l’attention sur des problèmes importants liés aux risques de contagion dans certains domaines, entre autres celui de la construction. Et ils l’ont fait sans avoir recours à la langue de bois, dans un esprit de coopération.

  • En éducation, il faut repenser les façons de faire, exploiter la technologie... et envisager une collaboration entre les secteurs public et privé.

Dès le début de la crise, on a constaté l’écart : les élèves des écoles publiques ont été laissés à eux-mêmes alors que ceux des écoles privées ont eu accès à une panoplie de solutions en ligne pour continuer à s’instruire. Il faut saisir cette occasion pour implanter de nouvelles façons de faire en partageant l’expertise développée dans certaines écoles privées, qui ont plus de ressources et plus de moyens.

  • Les problèmes environnementaux demeurent.

On lit et on entend partout que « le monde ne sera plus comme avant »... Mais n’oublions pas qu’avant cette crise, on s’arrachait justement les cheveux en se demandant comment faire en sorte que les choses changent, et ce, de façon radicale. Eh bien, nous y sommes. Cette crise aura des répercussions incommensurables. Assurons-nous de repartir sur les bases de ce qu’elle aura donné de positif.


LIRE AUSSI : « Tendances Été 2020 »


  • Nous oublions vite.

Après d’autres crises sanitaires semblables, que ce soit l’apparition du sida, du SRAS ou du virus Ebola, l’inconscience et l’oubli ont repris le dessus dans une mesure incroyable. La crise actuelle suscitera-t-elle en nous des changements durables ?