Article publié dans l'édition Été 2021 de Gestion

Qui n’a pas déjà vu un collègue jouer du coude pour obtenir des informations privilégiées ou un patron tenter d’influer sur une décision qui devait pourtant être exempte de parti pris? Comme le veut l’adage, là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie. Dans votre entreprise, savez-vous déchiffrer les jeux politiques qui se trament?

Quand on aborde le concept des jeux ou des manigances politiques au sein des organisations, on fait allusion aux «comportements informels et illégitimes qui ont pour effet de saper et de chercher à accaparer le pouvoir légitime1» ainsi qu’aux «comportements sociaux visant à influencer les organisations de manière stratégique afin de maximiser ses propres intérêts2». Ces manœuvres politiques ont bien souvent un caractère négatif : elles sont perçues comme des tentatives de manipulation et ont davantage pour but de procurer des avantages personnels que de servir les intérêts collectifs.

Ainsi, certains travailleurs peuvent décider3 de se livrer à des jeux politiques dans le but de gravir les échelons de l’entreprise, d’obtenir des avantages et de connaître du succès au détriment de leurs collègues, voire de l’organisation dans son ensemble. Ces manœuvres politiques ont pour conséquence d’ouvrir la voie au favoritisme aux dépens d’une véritable méritocratie.

De nombreuses recherches ont montré que les jeux politiques en milieu de travail peuvent ébranler la confiance, affaiblir l’engagement et diminuer la performance des employés. À l’inverse, ils augmentent le désengagement moral des équipes, nourrissent les intentions de quitter l’entreprise, accentuent le stress et suscitent des comportements déviants4. Parce qu’ils forcent les individus à mobiliser des ressources psychologiques additionnelles pour naviguer dans un tel environnement de travail, les jeux politiques nuisent à leur santé. En effet, comment peut-on fonctionner quand on se demande constamment qui va nous trahir? Les organisations souffrent elles aussi de ces jeux politiques puisque leurs employés s’abstiennent dès lors de s’exprimer, par exemple en ne suggérant pas les idées qui pourraient s’avérer bénéfiques à leur entreprise5.

Comment prévenir les jeux politiques?

Certains facteurs peuvent donner lieu à l’apparition de jeux politiques dans les organisations, notamment la rareté des ressources, l’ambiguïté des rôles, une supervision déficiente et un soutien faible de la part de la haute direction. Toutefois, ce serait une erreur de penser qu’il est impossible d’empêcher certains membres d’une organisation de se livrer à de telles manœuvres pour parvenir à leurs fins.

D’ailleurs, Facebook a voulu prévenir ces comportements négatifs6 en instaurant une série de mesures. En voici quelques-unes :

1. Sachez reconnaître les candidats au profil machiavélique… et écartez-les.

Lors d’un entretien d’embauche, l’examen des aptitudes cognitives, de l’expérience et des réalisations d’un candidat ne doit pas éclipser l’évaluation de sa capacité à travailler en équipe. Questionnez-le notamment sur les moments où il pense avoir contribué à la progression de la carrière d’un collègue.

2. Ne présentez pas l’ascension hiérarchique comme la voie royale du développement professionnel.

L’obtention d’un titre professionnel pompeux n’est pas en soi un gage de succès ni de réussite. Insistez plutôt sur la participation active à de nouveaux projets audacieux, hors du champ d’expertise habituel des employés, comme moyen sûr de croître au sein de votre organisation.

3. Valorisez la prise de parole des employés ainsi que la transparence dans votre équipe.

Les membres d’une organisation ne doivent pas craindre de s’exprimer, surtout lorsqu’il s’agit d’émettre un désaccord ou de poser des questions délicates à des gestionnaires. Le contexte et le climat doivent donc s’y prêter. Une séance hebdomadaire de questions-réponses lors de laquelle les employés peuvent discuter librement et donner leur point de vue constitue un bon moyen d’y parvenir. On peut aussi avoir recours à des sondages internes pour solliciter l’avis des membres d’une équipe sur certaines questions, à la condition de donner suite à cette démarche et de tenir véritablement compte des commentaires recueillis.

4. Dissipez les fausses impressions au sujet des jeux politiques.

Lorsqu’un employé ne comprend pas les motifs d’une décision controversée ou avec laquelle il est en désaccord, il peut y voir, souvent à tort, le résultat de jeux politiques. En tant que gestionnaire, vous devez apprendre à saisir rapidement la manière dont votre équipe perçoit certaines décisions afin d’expliquer les raisons qui les sous-tendent.

Les stratégies de lutte contre les manigances politiques auront un effet beaucoup plus marqué si tous les membres de l’organisation les adoptent. Si vous avez l’impression de faire cavalier seul en tentant de faire obstacle aux jeux politiques, gardez à l’esprit que votre entourage et votre équipe ne sont pas insensibles à votre comportement. Pour cette raison, vos efforts ne seront jamais vains. Lentement mais sûrement, votre influence positive sera déterminante et vous aurez le mérite d’être un chef de file exemplaire.

Vous pouvez remplir notre questionnaire pour déterminer si les jeux politiques plombent le succès de votre équipe.


Notes

1 Traduction libre d’une citation de Mintzberg, H., Power In and Around Organizations, Englewood Cliffs (NJ), Prentice Hall, 1983, 269 pages.

2 Traduction libre d’une citation de Ferris, G. R., Russ, G. S., et Fandt, P. M., «Politics in organizations», dans Giacalone, R. A., et Rosenfeld, P. (dir.), Impression Management in the Organization, Newbury Park (CA), Sage, 1989, p. 143-170.

3 Khattak, M. N., Zolin, R., et Muhammad, N., «The combined effect of perceived organizational injustice and perceived politics on deviant behaviors», International Journal of Conflict Management, vol. 32, n° 1, juin 2020, p. 62-87.

4 Voir notamment Khattak, M. N., et al., op. cit.; Chang, C.-H., Rosen, C. C., et Levy, P. E., «The relationship between perceptions of organizational politics and employee attitudes, strain, and behavior: A meta-analytic examination», Academy of Management Journal, vol. 52, n° 4, août 2009, p. 779-801; Cavanaugh, M. A., Boswell, W. R., Roehling, M. V., et Boudreau, J. W., «An empirical examination of self-reported work stress among U.S. managers», Journal of Applied Psychology, vol. 85, n° 1, février 2000, p. 65-74.

5 Bergeron, D. M., et Thompson, P. S., «Speaking up at work : The role of perceived organizational support in explaining the relationship between perceptions of organizational politics and voice behavior», The Journal of Applied Behavioral Science, vol. 56, n° 1, janvier 2020, p. 1-21.

6 Parikh, J. «How Facebook tries to prevent office politics» (article en ligne), Harvard Business Review, 29 juin 2016.