La patience est la clé du succès, selon un dicton égyptien. Ce n’est pourtant pas la qualité la plus valorisée chez les gestionnaires, qui se rêvent souvent en hommes et femmes d’action.

Pierre Lainey, maître d’enseignement sénior à HEC Montréal, l’admet lui-même : il n’était pas un exemple de patience pendant ses nombreuses années passées comme gestionnaire. Il continue de croire qu’elle n’est pas facile à appliquer pour les personnes qui occupent ce type de poste. Il rappelle d’ailleurs que plusieurs recherches ont démontré l’existence d’un biais favorable envers l’action dans la gestion. «Les gens qui réagissent vite sont perçus comme compétents et rassurants, c’est donc valorisé», souligne-t-il.

Cela découle peut-être d’une mauvaise compréhension de la patience, parfois confondue avec l’inaction. «La patience stratégique ne signifie pas ne pas agir; au contraire, elle donne le temps de réfléchir, de digérer des informations ou encore de consulter», avance Jean-François Harvey, professeur agrégé au Département d’entrepreneuriat et innovation de HEC Montréal. 

Les bénéfices du recul 

On a généralement comme premier réflexe de vouloir agir, que ce soit pour surmonter une crise, pour innover ou pour résoudre un conflit. «Nous souhaitons faire bouger les choses, mais nous ne devons pas négliger l’étape de la réflexion et de la planification, qui méritent souvent d’être plus longues que celle de l’exécution», soutient Jean-François Bertholet, chargé de cours à HEC Montréal et consultant en développement organisationnel. 

Un autre avantage de la patience, c’est de s’offrir le temps de laisser retomber les émotions. C’est notamment le cas lorsque l’on ressent de la colère envers une personne ou de la panique face à une situation. «Ne pas laisser les émotions se décanter risque de nous amener à prendre de mauvaises décisions, dont nous devrons par la suite gérer les conséquences», poursuit le consultant. 

Attendre un peu permet en outre de bénéficier d’un aspect positif de l’effet Zeigarnik, qui désigne cette tendance que nous avons à mieux nous souvenir d’une tâche inachevée que d’une autre déjà accomplie. Ce sentiment d’avoir quelque chose à terminer peut engendrer du stress. Mais c’est aussi cet effet qui explique en partie l’impression que nous ressentons que certaines idées continuent de cheminer dans notre cerveau quand nous arrêtons d’y penser pendant un moment. «Lorsque l’on se remet à travailler sur notre projet, nos idées sont souvent devenues plus claires», résume Jean-François Bertholet. 

Calme devant la crise

Il existe plusieurs situations dans lesquelles nous pouvons tirer profit de la patience. «Paradoxalement, les crises en représentent une, souligne Pierre Lainey. Alors qu’elles peuvent nous pousser à réagir avec urgence, c’est au contraire un moment où l’on doit prendre du recul et absorber des informations, car le risque d’erreur devient grand si on agit dans la précipitation.» Les décisions stratégiques devraient tout particulièrement être prises à la suite de réflexions plus longues, que l’on se trouve devant une crise ou non.

Il cite ensuite les conflits entre individus au sein de l’organisation. Ce sont des épisodes très émotifs et qui ne se prêtent pas toujours à une intervention rapide. Mieux vaut laisser les émotions retomber. D’ailleurs, il se peut fort bien que le conflit se règle par lui-même quand tout le monde aura retrouvé ses esprits. 

Des vertus collectives

De son côté, Jean-François Harvey estime que les équipes de travail et l’organisation dans son ensemble bénéficient de dirigeants qui savent se montrer patients. «Un gestionnaire qui décide impulsivement peut aller dans toutes les directions à la fois, ce qui le rend dur à suivre et risque de générer de la frustration et de diminuer l’engagement des employés», avance-t-il.

Les impatients sont par ailleurs trop souvent des microgestionnaires. Ils peuvent avoir tendance à imposer des exigences trop élevées, par exemple en adoptant des échéanciers irréalistes ou une cadence de travail trop rapide. À l’inverse, un gestionnaire calme peut réduire le stress de ses équipes. Il peut aussi être contagieux et amener d’autres salariés à faire preuve de patience.

Mais comment aller contre sa nature, si on est impatient? «Quand j’étais gestionnaire, c’était dans ma personnalité de décider vite, alors je me suis entouré de gens plus patients que moi, raconte Pierre Lainey. Les consulter me forçait à ralentir ma prise de décision et à prendre du recul.» Il s’était aussi doté d’une liste d’une quinzaine d’éléments, dont il devait s’assurer de tenir compte avant d’agir. Il conclut en rappelant qu’il ne faut pas confondre efficacité et rapidité, qui ne vont pas toujours main dans la main.