On entend souvent dire que le leadership féminin est plus efficace que le leadership masculin. Énoncé véridique ou simple rumeur? La réponse est plus nuancée.

En novembre 2000, l’agence de presse Bloomberg publiait l’un des premiers articles sur le sujet. Le texte mentionnait que les femmes cadres surpassent généralement leurs homologues masculins1. Depuis, de nombreuses études et articles présentent le même constat. Récemment, la revue Harvard Business Review publiait un article détaillé expliquant comment les femmes ont été de meilleures leaders en contexte de crise2.

Ces écrits, basés sur des différences statistiques résultant de l’analyse des rétroactions à 360 degrés, sont justes. Ils font cependant abstraction d’importantes questions : «Qu’est-ce qu’un leadership féminin?»; «En quoi diffère-t-il d’un leadership masculin»; et surtout, «Pourquoi est-il plus efficace?»

Pour y répondre, il faut d’abord comprendre les différents styles de leadership, leur relation vis-à-vis le genre ainsi que l’impact de cette interaction sur la performance et l’engagement des individus.

Les styles de leadership et leur efficacité

La première formulation des styles de leadership est attribuable à Robert F. Bales, psychosociologue américain, et remonte à aussi loin que 1950. On en distingue deux types3 :

  • Le leadership orienté sur la tâche;
  • Le leadership orienté sur les relations interpersonnelles.

Le premier se concentre sur l’organisation des activités reliées à la tâche afin d’accomplir cette dernière, tandis que le second vise le maintien des relations interpersonnelles en s’attardant au bien-être et au moral des autres.

Des études introduisent dans ces deux styles de leadership d’autres dimensions :

  • L’aspect démocratique versus autocratique;
  • L’aspect participatif versus directif.

Les résultats de recherches des années 90 démontrent alors que les femmes tendent à avoir un style interpersonnel et démocratique, contrairement aux  hommes, qui privilégient un style orienté sur la tâche et autocratique, sans analyser l’impact que ces styles ont sur leur efficacité comme leaders. Celle-ci est définie comme la capacité des leaders à influencer leurs collègues afin qu’ils fournissent un effort supplémentaire dans le cadre de leur travail, à agir sur leur niveau de satisfaction générale et à leur permettre d’être eux-mêmes plus efficaces et performants.

C’est en 1985 que commence à émerger la définition contemporaine des trois styles de leadership qui sont encore d’actualité aujourd’hui :

  1. Le leadership transformationnel;
  2. Le leadership transactionnel;
  3. Le leadership du laissez-faire.

Les trois types de leadershipLes leaders du premier type cherchent à s’établir comme modèle en gagnant la confiance des autres, énoncent des objectifs futurs et développent des plans pour les atteindre tout en remettant en question le statu quo.

Les leaders du second type désirent plutôt appeler aux intérêts personnels de leurs collègues en établissant des relations basées sur l’échange. Ils clarifient la responsabilité des personnes, les récompensent lors de l’atteinte des objectifs et les corrigent lorsque ceux-ci sont manqués.

Malgré qu’il soit possible de distinguer clairement de façon empirique les styles transformationnel et transactionnel, les leaders efficaces les utilisent généralement tous les deux.

Enfin, les leaders du troisième type brillent par leur absence généralisée. Après avoir fourni les outils à leurs collègues et défini les cadres, ils se désengagent ou s’absentent lors de décisions critiques pour leur laisser le plein pouvoir décisionnel.

C’est toutefois le leadership transformationnel qui est le plus présent chez les leaders efficaces, selon plusieurs études conduites au début du 21e siècle. Ce faisant, toute différence entre la manifestation de ce style chez les genres devient alors de grand intérêt.

Une réponse nuancée apportée par des décennies de recherche

Une façon courante d’analyser les styles de leadership d’un individu consiste à lui faire remplir le questionnaire sur le leadership multifactoriel. Ce questionnaire permet de quantifier l’expression des trois styles et, par le fait même, leurs sous-dimensions respectives.

Le leadership transformationnel possède quatre sous-dimensions : le charisme, la motivation inspirante, la stimulation intellectuelle et la considération individualisée. De son côté, le leadership transactionnel en a trois : la récompense représentative, la gestion de l'exception active et la gestion de l'exception passive.

C’est dans cet esprit qu’une méta-analyse portant sur 45 études datée d’avant 2002 a montré que les femmes avaient en moyenne des résultats plus élevés que les hommes sur l’ensemble des sous-dimensions du leadership transformationnel ainsi que sur la sous-dimension de récompense représentative du leadership transactionnel. Les hommes, pour leur part, avaient en moyenne des résultats plus élevés dans les sous-dimensions de gestion de l’exception passive et active ainsi que sur le style de leadership du laissez-faire.

En 2017, après une dizaine d’années de recherche effectuée sur les différences de leadership entre les genres, la firme de services-conseils McKinsey publie un rapport4. Ce dernier définit neuf composantes de la performance organisationnelle et fait le lien entre celles-ci et les styles de leadership et leurs sous-dimensions.

Selon le rapport, cinq des neuf composantes sont plus appliquées par les femmes que par les hommes. Deux comportements sont davantage employés par les hommes que les femmes. Les deux composantes restantes sont mises en œuvre à parts égales par les deux genres.

Cette conclusion permet donc de nuancer l’affirmation disant que les femmes cadres surpassent leurs homologues masculins. Dans les faits, c’est plutôt l’utilisation d’une diversité de styles de leadership qui fait d’une personne un leader efficace. Les organisations ont donc tout intérêt à encourager tous les styles de leadership et à les faire grandir au sein de l’entreprise, et ce, à tous les niveaux.

Une incongruité mise en perspective par les personnes transgenres

Les études précédemment mentionnées font l’analyse de personnes différentes qui évoluent dans des entreprises, des rôles et des niveaux hiérarchiques parfois éloignés, ce qui nous amène à nous poser la question suivante : et si l’on contrôlait toutes les variables de l’étude sauf l’identité de genre? C’est précisément la perspective apportée par les personnes transgenres, puisqu’elles vont, dans la majorité des cas, occuper le même poste, dans la même entreprise et avec un niveau de responsabilité similaire avant et après leur transition5.

Pour la rédaction de son livre Just One of The Guys?: Transgender Men and the Persistence of Gender Inequality, l’auteure Kristen Schilt a interviewé des douzaines de personnes ayant effectué une transition de femme vers homme. Ils abordent les répercussions de leur transition sur la perception qu’ont leurs collègues d’eux en milieu professionnel. Le constat est troublant : de nombreux interviewés se retrouvent désormais acceptés dans leur milieu, allant même jusqu’à acquérir de nouveaux privilèges6. L’un d’eux mentionne qu’avant la transition, on le considérait «agressif» alors que maintenant, on dit de lui qu’il «prend les choses en charge».

Ce genre de commentaires est symptomatique de ce que la littérature qualifie «d’incongruité entre les rôles de leader et le rôle de genre féminin»3. En effet, l’imaginaire collectif attribue majoritairement l’agentivité, c’est-à-dire la faculté d'agir et d'influencer les événements et les êtres, comme source de succès du leader. Or, ce même imaginaire voit le genre féminin comme étant à prédominance communale : la gentillesse, le don de soi et l’ouverture à autrui en sont quelques exemples. Les croyances sur les leaders dans la population seraient donc plus similaires à celles sur les hommes que celles sur les femmes, ce que Virginia Schein, professeure émérite en psychologie et management, appelle le phénomène «Think manager, think male»7.

En terminant, ce que nous apprennent ces différentes recherches et entrevues sur le rôle de leader est double :

  • D’abord, il est important qu’une pluralité de styles de leadership coexiste et soit valorisée au sein de l’organisation afin d’en maximiser la performance.
  • Ensuite, qu’il demeure d’importants biais conscients et inconscients envers les femmes et les hommes en position de leadership, lesquels sont bien souvent détrimentaires.

Il nous appartient alors de prendre un pas de recul lorsque vient le temps d’apprécier les différences dans l’expression du leadership au sein des identités de genre afin de construire une organisation plus performante et, surtout, plus inclusive.


Notes

1 Sharpe, R. (2000, 20 novembre). As Leaders, Women Rule: New studies find that female managers outshine their male counterparts in almost every measure. 

2 Zenger, J. et Folkman, J. (2020, 30 décembre). Research: Women Are Better Leaders During a Crisis. Harvard Business Review

3 Eagly, A. H., Johannesen-Schmidt, M. C. et van Engen, M. L. (2003). Transformational, transactional, and laissez-faire leadership styles: a meta-analysis comparing women and men. Psychological Bulletin, 129(4), 569–591.

4 Desvaux, G., Devillard, S., Labaye, E. et Sancier-Sultan S. (2017, 4 octobre). Women Matter Time to accelerate: Ten years of insights into gender diversity. McKinsey & Company.

5 Nordell, J. (2014, 28 août). Why Aren't Women Advancing At Work? Ask a Transgender Person. The New Republic

6 Schilt, K. (2011). Just One of the Guys?: Transgender Men and the Persistence of Gender Inequality. University of Chicago Press.

7 Schein, V. E. (2001). A Global Look at Psychological Barriers to Women's Progress in Management. Journal of Social Issues. 57(4). 675-688.