Article publié dans l'édition Hiver 2020 de Gestion

En 25 ans, les exportations de produits bioalimentaires québécois ont quadruplé. Le mérite en revient aux grandes entreprises, les PME du secteur s’illustrant moins à l’international. Il faut dire que les défis sont grands, mais en s’y prenant bien, les débouchés peuvent être excellents.

À l’instar de nombreux secteurs de l’économie, celui du bioalimentaire a été frappé non seulement par le phénomène de la mondialisation mais aussi par le changement des habitudes des consommateurs et par la transformation des procédés de production.


LIRE AUSSI : « Dossier Avenir du commerce de détail - Le défi et l'avantage de suivre les clients à la trace »


Si la croissance du marché local est une occasion pour les entreprises québécoises de se démarquer, le marché international leur offre lui aussi des possibilités de croissance. Les accords de libre-échange, même s’ils comportent divers types de risques pour le secteur bioalimentaire, créent un contexte potentiellement favorable aux exportations québécoises. L’Accord économique et commercial global (AecG), signé en 2016 par le canada et par l’Union européenne, fait partie de ces ententes commerciales.

D’ailleurs, les gouvernements fédéral et québécois incitent les entreprises locales de toute taille à exporter. Selon l’institut du Québec, « une augmentation permanente de 100 m $ [de la valeur] des exportations agroalimentaires du Québec entraînerait une hausse du PIB de 100 m $, créerait plus de 1 000 emplois supplémentaires et permettrait aux gouvernements d’accroître leurs recettes de 28,4 m $1 ».

Exporter paraît donc comme une voie à emprunter par les entreprises bioalimentaires si elles veulent développer leurs marchés. Pourtant, selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), « presque la moitié des ventes du secteur bioalimentaire québécois (44 %) sont réalisées auprès des consommateurs du Québec. Cette proportion est stable depuis 10 ans2 ». De fait, à ce jour, peu d’entreprises québécoises actives dans ce domaine se sont aventurées à exporter leur production. C’est notamment le cas des micro, petites et moyennes entreprises.

Les défis de l’exportation

Les Pme sont peu outillées pour exporter. C’est d’ailleurs le constat que nous avons établi dans une étude portant sur la question des exportations des entreprises bioalimentaires québécoises réalisée pour le compte du MAPAQ en 2018.

Grâce à des entretiens menés auprès d'exportateurs et de professionnels en exportation ainsi qu’à l’analyse de données managériales et économiques, nous avons pu faire ressortir les défis suivants:

  • Disposer d’un réseau d’affaires en exportation : établir une présence régulière dans les pays où on exporte, choisir de bons partenaires d’affaires et des fournisseurs locaux fiables.
  • Savoir adapter ses activités de marketing et ses processus de développement des affaires : cultiver son image de marque, participer aux foires commerciales, entretenir les contacts.
  • Comprendre le cadre réglementaire : connaître les normes locales en matière de salubrité et d’étiquetage, acquitter les frais de douane en vigueur.
  • Financer le processus d’exportation : savoir bien calculer les prix de revient, s’informer au sujet des programmes d’aide gouvernementaux et des partenaires financiers potentiels en vue de projets d’exportation.
  • Préparer l’entreprise à exporter : cibler les bons marchés, connaître les coûts liés à l’exportation, se renseigner à propos des traits culturels et des usages locaux, déterminer les fonctions de chaque acteur du processus d’exportation.
  • Acquérir, partager et gérer les compétences requises : s’assurer d’avoir une capacité de production suffisante, disposer de la main-d’œuvre nécessaire aux bons endroits, s’adjoindre les services d’un expert en exportation possédant des compétences pouvant compléter celles de l’équipe.

Avoir recours à une expertise en exportation : retenir les services d’experts en matière d’accompagnement à l’exportation, acquérir la formation nécessaire, assurer une veille sur les marchés visés. Parfois, les facteurs les plus déterminants pour réussir dans le domaine de l’exportation correspondent en tout point aux défis que les dirigeants d’entreprise estiment les plus difficiles à surmonter. C’est notamment le cas de la création d’un réseau d’affaires à l’échelle internationale.

La gestion de projet d’entreprise

Les défis que pose l’exportation, si redoutables soient-ils, ne sont pas insurmontables pour de nombreuses entreprises du secteur bioalimentaire, à la condition de tenir compte du fait qu’il s’agit d’un projet d’affaires à part entière et qu’il faut le gérer comme tel. De nombreuses Pme exportent au gré des circonstances, au coup par coup et en petites quantités parce qu’elles ne considèrent pas les exportations comme un projet central de développement d’entreprise. Par conséquent, elles n’assurent pas de suivi et n’approfondissent pas cet axe de croissance.

Pour générer des revenus substantiels et stables à partir de l’exportation, il existe trois facteurs clés : 1- avoir une vision claire du développement des affaires dans ce domaine ; 2- bien connaître le processus et la réglementation en vigueur sur le marché d’exportation ; 3- établir une stratégie. Toutefois, pour qu’un projet d’exportation réussisse, il faut s’y préparer. Ainsi, les entreprises qui établissent une stratégie cohérente ont plus de chances de réussir à exporter durablement leurs produits que celles qui ne le font pas.

Une telle stratégie s’appuie sur des critères précis, notamment le choix des produits à exporter, le ciblage du marché, l’établissement d’un échéancier, la préparation d’une stratégie de pénétration du marché convoité (y compris le plan marketing), l’estimation des coûts et des gains potentiels et l’obtention éventuelle de financement.

Les bonnes réponses aux bonnes questions

Les dirigeants d’entreprise devraient donc se poser les questions qui correspondent aux six dimensions du modèle d’analyse PESTEL (politique, économique, sociale, technologique, écologique et légale).

Ainsi, sur le plan politique, tout exportateur doit connaître les enjeux du moment, l’état des négociations sur les accords de libre-échange lorsqu’elles ont cours et la teneur précise des clauses de ces ententes. Se tenir informé de la conjoncture économique est primordial. Cela impose notamment de se renseigner sur les taux de change, sur les subventions et les crédits d’impôt disponibles et sur l’état de la concurrence.

C’est une grave erreur de penser qu’un produit ou une approche marketing corresponde d’emblée à toutes les clientèles et qu’il n’y a aucune modification à apporter aux produits offerts. Il faut au contraire se demander si ces produits peuvent vraiment intéresser le marché ciblé ; on doit s’informer sur les tendances, les valeurs, les habitudes de consommation, les besoins et les goûts dans ce bassin d’acheteurs potentiels. Il faudra peut-être revoir le prix, la politique de fidélisation, l’emballage, le message publicitaire, etc.

Sur le plan écologique, la réglementation en vigueur et la sensibilité des consommateurs varient selon les pays. De nos jours, il est indispensable de veiller à réduire les effets nocifs de tout produit sur l’environnement. Les dirigeants doivent notamment s’informer sur les normes locales en matière d’emballage et de gestion des déchets là où ils exporteront leurs produits, et ce, dans un souci logique de responsabilité sociale, d’éthique, de développement durable et de bonne gouvernance.

Par ailleurs, avant de se lancer, il est prudent de bien connaître la disponibilité, le coût et la compétence de la main-d’œuvre locale si un produit doit être fabriqué ou assemblé sur place. On doit aussi déterminer si l’équipement nécessaire à la production se trouve déjà sur les lieux ou si on devra l’expédier et l’installer là-bas.

Dernier élément mais non le moindre : avant toute démarche d’exportation, il est essentiel de connaître et de bien comprendre les lois et la réglementation en vigueur dans les pays visés. Les entreprises qui exportent doivent parfois modifier leurs produits, qu’il s’agisse des procédés de transformation, des moyens de transport utilisés ou de l’étiquetage, et ce, afin de se conformer aux lois locales.

Pour exporter, les entreprises peuvent même devoir obtenir une certification de conformité aux normes iSO ou GFSI-BRC, au système HACCP ou encore aux normes BPF (« Bonnes pratiques de fabrication »), pour ne nommer que celles-là. Enfin, sur le plan juridique, la protection de la propriété intellectuelle à l’étranger est cruciale.

Soutien et accompagnement

Pour accroître le volume et la valeur des exportations des entreprises québécoises dans le secteur bioalimentaire, les dirigeants doivent absolument considérer cette avenue comme un nouvel axe de développement prioritaire et, par conséquent, lui consacrer toute l’attention et tous les moyens requis.


LIRE AUSSI : « Commerce extérieur : le poids américain »


Les grandes entreprises peuvent recruter des experts et consacrer toute une équipe à ce projet en interne afin de mettre en œuvre la stratégie d’exportation et afin d’en assurer le suivi. En revanche, les plus petites entreprises ont besoin de soutien et d’accompagnement.

De ce fait, certains organismes publics et para-publics jouent un rôle clé dans la documentation des étapes du projet et des facteurs contribuant à son succès, de même que dans le soutien nécessaire à l’obtention de ressources financières, notamment grâce aux programmes gouvernementaux en vigueur et à l’existence de centres et de pôles d’expertise destinés à assurer l’accès à toutes les informations utiles aux exportateurs qui souhaitent se lancer dans l’aventure.


Notes

Antunes, P., Homsy, M., Mainville, L., et Scarfone, S., L’industrie agroalimentaire – Un puissant levier de développement économique pour le Québec, Montréal, Institut du Québec, 2015, 37 pages.

Sur le site Internet du MAPAQ, on mentionne également que la valeur de la demande alimentaire au Québec était estimée à environ 48,9 milliards de dollars en 2018.