Loin des clichés de la débrouillardise légendaire du pauvre Africain ou de la suprématie des multinationales, une jeune génération d’entrepreneurs est apparue sur le continent, en même temps qu’une classe moyenne qui consomme et stimule un marché intérieur émergeant. Une « nouvelle économie africaine » que décrypte pour nous Jérémy Hajdenberg, directeur général adjoint d’un fonds d’investissement destiné aux PME africaines, Investisseurs et Partenaires, basé à Paris et dirigé par Jean-Michel Severino.

En 2050, le PIB de l’Afrique pourrait égaler celui de l’Union européenne et sa population atteindre les deux milliards. Au cœur de cette expansion, une nouvelle génération d’hommes et de femmes. Qui sont-ils?

Ces hommes et ces femmes de l’Afrique subsaharienne dont nous parlons (pour différentes raisons, nous excluons les pays du Maghreb, la Libye, l’Égypte et l’Afrique du Sud) ont fait des études, voire une partie de leur carrière à l’étranger, mais – et c’est un fait nouveau –, ils sont revenus dans leurs pays. Certes, ils veulent réussir, gagner de l’argent et acquérir le statut social qui va avec la réussite, mais nous pensons qu’ils manifestent aussi une forme d’engagement pour l’Afrique et la volonté de participer à son développement. En cela, on constate une vraie rupture avec les générations précédentes. Bousculant les idées reçues, ces entrepreneurs créent des PME de plus en plus structurées, formelles et durables, dans tous les domaines, de l’agribusiness à la santé, de l’hôtellerie à l’éducation privée, sans oublier les nouvelles technologies. Ils mettent en œuvre des processus de production plus efficaces, ils innovent dans le marketing et la distribution. Ils recrutent aussi, créent des emplois formels et développent ainsi le salariat africain, encore trop rare. Car l’emploi est l’un des grands défis des Africains. Dans les trente prochaines années, 450 millions de jeunes vont arriver sur le marché du travail. Le rythme de la croissance actuelle ne permettra pas de répondre à la demande. Il faut donc trouver les moyens de l’accélérer. Le soutien aux entrepreneurs africains est un des leviers de cette croissance.


LIRE AUSSI : Guanxi : la clé des affaires en Chine?


Ils restent pourtant ignorés des médias, mais aussi largement sous-estimés par de nombreux économistes. Pourquoi?

Ce sont en effet des héros invisibles qui n’intéressent pas encore beaucoup les médias, qui continuent à véhiculer l’image d’un continent souffrant de misère, de maladies et de coups d’État. Quant aux experts, nombreux sont ceux qui persistent à attribuer la croissance de l’économie africaine aux exportations de matières premières, dont le cours était très élevé depuis le début des années 2000. Or, statistiquement, ce n’est pas une explication suffisante. Par contre, il apparaît clairement que la croissance est tirée par celle de la consommation du marché intérieur. Cela se confirme par le fait, qu’en 2016, alors que le cours des matières premières a fortement baissé, une croissance élevée perdure dans de nombreux pays comme au Kenya, en Ouganda, au Sénégal ou en Côte-d’Ivoire où elle atteint 8,5 %. Cela prouve qu’il existe bien une autre économie.

En quoi l’apparition de ces entrepreneurs est-elle indissociable de celle d’une classe moyenne?

Depuis une quinzaine d’années, la croissance économique repose avant tout sur la demande d’un marché intérieur grandissant du fait de la démographie, de l’urbanisation et d’une classe moyenne qui monte en puissance. Celle-ci représente aujourd’hui, une centaine de millions de gens dans l’Afrique subsaharienne. C’est peu à l’échelle du continent, mais ce n’est pas rien! Vers 2050, elle comptera sans doute 400 millions de personnes, soit une des croissances les plus vertigineuses qu’ait jamais connues notre monde. Attention, cependant, sur le terme de « classe moyenne », qui n’a pas le même sens qu’en Europe ou en Amérique du Nord. Ceux qui la constituent ont simplement dépassé le stade de la survie, ce qui signifie qu’une fois qu’ils se sont logés et nourris, il leur reste un petit peu d’argent pour consommer. Ne cherchant pas forcément ce qu’il y a de moins cher, ils attendent une certaine qualité, et cela rend possible l’apparition de marques, par exemple. La nouvelle génération d’entrepreneurs est issue de cette catégorie de population. Ils offrent de nouveaux services, mais ils en sont aussi des consommateurs. C’est un cercle vertueux.

Malgré les énormes défis auxquels doit toujours faire face l’Afrique, vous restez optimistes?

Nous ne sommes pas naïfs et il est évident que le continent reste extraordinairement divers et contrasté, avec des pays en guerre, une population encore très rurale et pauvre, un manque criant d’infrastructures... Cependant, forte de son nouveau marché intérieur, l’Afrique porte de plus en plus les espoirs de la croissance mondiale. Et derrière cette croissance, se trouve tout un mouvement entrepreneurial. Il n’en est qu’à ses débuts, mais il y a beaucoup de raisons de croire qu’il va durer.