Alors que les émotions sont encore souvent jugées négativement au travail, la recherche en neurosciences met en lumière toute leur importance dans nos relations professionnelles et dans la prise de décision.

L'humain n'est pas un être rationnel doté d'émotions; en effet, nous sommes plutôt des êtres émotionnels qui possèdent également la capacité de raisonner. Contrairement aux croyances conventionnelles – qui prétendent que les émotions n'ont pas leur place au travail –, les avancées récentes en neurosciences remettent en question cette notion dépassée. Comprendre les neurosciences derrière les émotions révèle leur rôle crucial, influençant chaque décision que nous prenons et chaque relation que nous forgeons, même dans les cadres professionnels.

Avant toute chose, il convient d’expliquer ici que les émotions sont traitées par plusieurs structures complexes du cerveau, dont les plus centrales sont l'amygdale, l’hippocampe et le cortex préfrontal.

- L'amygdale et l'hippocampe sont des structures anciennes du cerveau, souvent appelées parties du «cerveau reptilien» ou du «cerveau limbique». Ces structures étaient déjà présentes chez nos ancêtres préhistoriques et ont joué des rôles cruciaux dans la survie, comme pour la gestion de la peur (amygdale) et la mémoire (hippocampe).

- Le cortex préfrontal, en revanche, est une partie plus récente du cerveau en matière d'évolution. Cette zone est fortement associée aux fonctions cognitives supérieures, telles que la réflexion abstraite, la planification, la prise de décision et la régulation des émotions. Elle permet un traitement plus complexe et une réflexion plus approfondie que dans le cas des premiers hominidés.

Bien que nous ayons la capacité d'engager notre faculté rationnelle, nos émotions continuent d'avoir une incidence majeure sur nos pensées et nos comportements. Même avec un cortex préfrontal développé, la majorité de nos décisions sont encore fortement influencées par des réponses émotionnelles, souvent de manière inconsciente.

L'incidence des émotions sur les décisions et relations professionnelles

Au-delà des compétences techniques, la capacité à réguler les émotions est cruciale pour les leaders qui souhaitent élargir leur influence positive et assumer des responsabilités accrues.

En situation de stress ou de conflit, par exemple, si nous laissons nos émotions nous submerger, les sensations physiques inconfortables et les pensées négatives captent notre attention, nous entraînant dans une spirale descendante. Alors que la situation exige le meilleur de nos capacités cognitives pour répondre plutôt que réagir, celles-ci s’en trouvent affaiblies. Ainsi, une gestion inadéquate des émotions peut sérieusement compromettre notre réussite personnelle.

Or l'enjeu ne se limite pas à notre seule performance.

Le cerveau humain est génétiquement programmé pour être anxieux, un héritage ancestral qui a assuré la survie de nos ancêtres. Ceux qui manifestaient de la nervosité et qui agissaient avec prudence avaient plus de chances de vivre et de transmettre leurs gènes, contrairement aux plus téméraires. Ce trait affecte encore nos interactions aujourd'hui : nos collaborateurs se demandent instinctivement s'ils sont en sécurité avec nous, qu'ils en soient conscients ou non. Si nos réactions émotives provoquent un stress excessif chez les autres, cela peut compromettre leur capacité à réfléchir clairement.

La connexion entre nos émotions et celles des autres ne se limite toutefois pas à ce seul héritage. En effet, les neurones miroirs sont également en jeu, à notre insu.

En 1992, des chercheurs de l'Université de Parme, en Italie, ont découvert un phénomène étonnant en étudiant le cerveau de singes macaques. Lorsqu’un singe regardait un chercheur humain saisir une cacahuète pour la porter à sa bouche, son cerveau s'activait comme s'il effectuait lui-même l'action, même si le singe restait bel et bien immobile. Le cerveau du primate simulait donc automatiquement les processus mentaux qu'il observait chez l'autre. C’est à partir de cette observation que la théorie des neurones miroirs a été développée. Essentiellement, il apparaît que notre cerveau contient des neurones qui reproduisent automatiquement les schémas mentaux observés chez les autres.

Par conséquent, les membres de notre équipe, nos clients et les cadres supérieurs peuvent «ressentir» nos émotions en nous observant, ce qui influence directement leur propre état émotionnel et leurs comportements. Un leader qui régule efficacement ses émotions peut donc instaurer un climat de travail plus positif et engagé, réduisant le stress collectif et augmentant la cohésion et la productivité des collaborateurs. L’inverse est également vrai, ce qui souligne l'importance d'une régulation émotionnelle consciente.

De la théorie à la pratique : la pleine conscience en action

Comprendre en théorie l'incidence des émotions sur le leadership est insuffisant pour réellement évoluer. Pour les leaders qui désirent s’améliorer dans ce domaine essentiel, il est crucial de pratiquer inlassablement pour maîtriser les trois étapes suivantes :

1- Détection. Il est primordial de détecter les émotions dès leur émergence afin de choisir consciemment comment y répondre, plutôt que de réagir impulsivement.

2- Observation. Nous devons prendre un pas de recul pour observer nos émotions objectivement dans le feu de l'action, pour comprendre leur utilité ou leur nuisance potentielle.

3- Action réfléchie. L'ultime étape est celle où nous exerçons notre pouvoir de décision, en choisissant de nous guider ou non par nos émotions, selon ce qui semble le plus judicieux.

Ces étapes requièrent une attention soutenue et une présence consciente dans l'instant, ce qui permet d'évaluer et de répondre aux émotions de manière réfléchie.

Grâce à des années de recherche, les neurosciences ont validé les pratiques de la pleine conscience comme un moyen efficace de modifier l'architecture neuronale pour développer notre capacité d'attention. Les pratiques de pleine conscience nous entraînent à focaliser notre attention sur un point précis, que ce soit la respiration, un objet sensoriel ou encore une pensée. Chaque fois que notre attention dérive, la ramener consciemment renforce notre capacité d'attention, tout comme soulever des poids renforce nos muscles.

L'adoption de la pleine conscience par les leaders les aide non seulement à réguler leurs propres émotions, mais aussi à mieux comprendre celles de leurs collègues, ce qui contribue à créer un environnement de travail plus empathique et soutenant.

Des pratiques de pleine conscience pour les leaders

Pour intégrer la pleine conscience au quotidien, les leaders peuvent commencer par des techniques simples; pensons ici à la méditation guidée, aux balayages corporels ou à la méditation de respiration consciente. Il existe de nombreuses ressources, telles que des applications, des formations et des ouvrages, pour guider les débutants. De telles pratiques permettent de développer une présence attentive et de gérer efficacement le stress, renforçant ainsi la résilience et la réceptivité des leaders face aux défis quotidiens.