Négatifs, les conflits? Pas toujours. Certains peuvent même devenir des catalyseurs d’innovation et de créativité en aidant les organisations à s’améliorer, affirment les experts. Mais pour en faire ressortir le meilleur, encore faut-il savoir les gérer.

Présidente et consultante chez Viaconseil, Caroline Maranda, CRHA, compare la gestion des conflits à un processus d’amélioration continue. «Les deux suivent une logique similaire : un conflit est souvent le symptôme d’un problème plus profond. Pour y remédier, il faut donc bien cerner la cause, documenter la situation et expérimenter différentes approches pour trouver la meilleure solution.»

Un point de vue que partage Jean Poitras, professeur titulaire au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal. Selon lui, ces désaccords ne surgissent pas par hasard : ils envoient un signal qu’il faut savoir décrypter. «Un conflit cyclique est souvent le symptôme d’un dysfonctionnement organisationnel, donne-t-il en exemple. Prenons une entreprise sans politique claire sur les vacances, si bien qu’il y a des mésententes chaque année entre les employés. Plutôt que de simplement trouver des compromis, on pourrait reculer d’une case et établir une politique claire.»

Le conflit peut aussi être un levier d’évolution, notamment lorsque l’organisation peine à s’adapter au rythme de la société, explique le professeur. Ces tensions deviennent alors un moteur de changement. C’est ce qui s’est produit lorsque les femmes ont revendiqué des conditions de travail plus équitables. «Bien que des iniquités salariales persistent, la situation s’est tout de même améliorée», souligne-t-il.

Transformer les désaccords en occasions favorables

«Quand un conflit trouve sa source dans l’évolution sociale ou l’organisation du travail, son potentiel d’apprentissage est plus grand», estime le spécialiste. Mais même un simple désaccord entre deux personnes peut être une source d’innovation. L’exemple classique? Deux collègues qui ne s’entendent pas sur la façon de travailler : l’un jongle avec plusieurs dossiers à la fois et contacte son collègue à plusieurs reprises chaque jour, tandis que l’autre préfère traiter une tâche après l’autre.

Pour respecter le rythme de chacun, une solution pourrait être la mise en place d’une liste de tâches partagées. L’un pourrait y ajouter des éléments en continu, tandis que l’autre signalerait l’achèvement des dossiers à son propre rythme, suggère-t-il. Ce mode de fonctionnement plus créatif pourrait même inspirer de nouvelles pratiques au sein de l’équipe.

S’il peut être tentant de les balayer sous le tapis, il faut toujours garder en tête que les conflits peuvent être porteurs de changement. «Il est vraiment enrichissant d’écouter ce que les gens ont à dire, car c’est ainsi que naissent des idées créatives. Mais lorsqu’une critique vient d’une personne perçue comme contestataire, ce qui peut être déstabilisant, il est essentiel de se demander si elle soulève un point valide. C’est en creusant qu’on peut détecter un véritable enjeu. Pourtant, ce n’est pas toujours le réflexe naturel dans les organisations», explique Nancy Larose, CRIA, médiatrice accréditée chez Solunance.

Bref, les gestionnaires ont tout intérêt à analyser les causes profondes des conflits : relèvent-ils de l’organisation du travail, de valeurs trop conservatrices ou de traits de personnalité incompatibles? «Si on règle les conflits à la pièce, cela ne favorise pas la créativité, mentionne Jean Poitras. Il faut prendre du recul et cerner les facteurs de prédisposition et les leviers d’action à long terme.»

Encourager le choc des idées

Si les conflits individuels permettent de repenser certaines pratiques, c’est aussi de la confrontation d’idées que surgit la créativité. D’où l’importance de créer un climat où chacun peut s’exprimer librement, sans crainte de faire grimper les tensions. Pour cela, Nancy Larose insiste sur l’importance de bien connaître les membres de son équipe. «Des tests de personnalité aident à comprendre les dynamiques de groupe. Cela fait en sorte qu’il est possible d’utiliser les forces de chacun, d’anticiper les réactions des différents membres de l’équipe et d’être moins dans le jugement.» C’est une façon efficace de désamorcer les tensions.

«Souvent, lorsqu’un désaccord survient, il est perçu comme une attaque personnelle, et le conflit devient vite émotionnel», ajoute Jean Poitras. Pour éviter cette escalade, il suggère d’inviter chacun à exprimer clairement ses points de désaccord et à proposer des idées à contre-courant, comme si c’était un jeu. Discuter en petit groupe permet également de mieux canaliser les échanges et de limiter les risques de dérapage.

De son côté, Justine Carpentier, CRHA, évoque le concept d’«espace courageux», un environnement où les employés peuvent aborder des sujets sensibles sans crainte de représailles. «D’autres utilisent aussi ce qu’on appelle le cercle de réparation», souligne la consultante en ressources humaines chez Viaconseil. Ce concept emprunté à la justice réparatrice permet d’ouvrir le dialogue entre toutes les personnes touchées par les conflits.

Dans tous les cas, le gestionnaire doit donner l’exemple, en pratiquant la communication non violente et en valorisant ceux qui osent soulever des questions inconfortables. De même, il doit adopter une posture d’humilité, et chercher à prévenir les tensions, pense Nancy Larose.

Une culture d’entreprise ouverte aux remises en question

La culture organisationnelle joue un rôle clé dans la gestion des conflits. Selon Caroline Maranda, les organisations moins rigides offrent un terreau plus propice pour transformer les désaccords en occasions constructives. «Quelle que soit la structure, il est essentiel de faire preuve d’ouverture et d’encourager ceux qui osent remettre en question le statu quo et pousser la réflexion plus loin. Il faut aussi accorder le droit à l’erreur», soutient-elle.

Cela exige également un soutien adéquat, ajoute la spécialiste. «Les gestionnaires doivent être disponibles et disposer des ressources nécessaires pour intervenir, car gérer ce genre de situation est non seulement difficile, mais cela demande aussi du temps.» Bien entendu, les conflits menaçant l’intégrité physique ou psychologique nécessitent une approche distincte. Mais pour les autres, ils constituent un levier de progrès, d’apprentissage et d’innovation. «Tout repose cependant sur une réelle volonté de résoudre les différends et une ouverture d’esprit», conclut-elle.