Article publié dans l'édition Hiver 2015 de Gestion

Pour Me Untel, les deux dernières années ont été chargées au niveau professionnel1. En effet, cet avocat, membre du Barreau du Québec, a piloté le dossier exigeant de l’un de ses plus importants clients, une multinationale contestant l’application d’une loi provinciale. Ce litige nécessitait une audition devant la Cour suprême du Canada, si bien que Me Untel et son équipe de juristes ont consacré d’importantes ressources à la préparation des procédures et des représentations.

Cette expérience professionnelle fut l’une des plus formatrices. Or, le retour à la réalité des obligations déontologiques de sa profession est brutal. En effet, comme prévu dans le Règlement sur la formation continue obligatoire des avocats2, il reçoit un avis de défaut d’avoir suivi au moins 30 heures de formation reconnue au cours de la dernière période de référence de deux ans.


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La réglementation en vigueur n’incluant pas l’apprentissage acquis par le travail parmi la liste des activités de développement professionnel admissibles, Me Untel se résout à suivre, pendant un week-end, une série de formations en ligne facilement accessibles, bien que les thèmes pédagogiques qui sont présentés s’éloignent passablement de sa pratique professionnelle.

L’essor d’une culture de la formation continue des professionnels au Québec

Bien que la mise en situation précédente ne soit qu’anecdotique, elle n’en demeure pas moins vécue par certains professionnels québécois. La recension des textes réglementaires qui encadrent les différentes professions du Québec révèle qu’entre 2003 et 2012, 24 ordres professionnels, regroupant près de 200 000 professionnels, ont adopté des dispositions en matière de formation continue obligatoire3. Ce mouvement s’inscrit dans le cadre d’une modification au Code des professions apportée en 2008 et facilitant l’adoption, par les ordres professionnels, d’une obligation de formation continue4. Il faut également considérer les ordres professionnels qui mettent de l’avant des normes et politiques sur ce thème5.

La formation continue se distingue de la formation initiale permettant l’accès à la profession, dans la mesure où elle accompagne le professionnel dans l’exercice de sa carrière, et ce, dans le respect des normes déontologiques gouvernant sa profession. L’étude comparative des règlements en vigueur en matière de formation continue obligatoire permet de constater que les ordres professionnels au Québec adoptent une terminologie commune pour décrire les motifs justifiant l’adoption de cette obligation déontologique. Souvent énoncée dans le préambule de chaque règlement, l’adaptation aux changements et à l’évolution de la réalité professionnelle constitue le motif le plus fréquemment rencontré afin de soutenir l’instauration d’une obligation de formation continue.

Les divers règlements en vigueur ont également en commun les modalités permettant d’atteindre la conformité à l’obligation de formation continue. Afin de suivre un nombre minimal d’heures de formation reconnue à l’intérieur d’une période de référence donnée, les professionnels peuvent recourir à une liste déterminée d’activités de formation admissibles.

Cette orientation en faveur de l’atteinte de la conformité par rapport à des exigences minimales en matière de formation continue obligatoire se manifeste également à travers les mécanismes de déclaration du respect des normes en vigueur. Quant aux sanctions relatives au défaut de remplir l’obligation de formation continue, celles-ci mènent, selon la réglementation applicable, à la suspension ou à la limitation du permis d’exercice, voire à la radiation du professionnel.

Il ressort de l’analyse de la réglementation en vigueur que son objectif central est orienté vers le développement des compétences des professionnels, tant au niveau du savoir que du savoir-faire et du savoir-être. Or, bien que fictive, la mise en situation énoncée en introduction amène à se demander si le cadre québécois en matière de formation continue obligatoire favorise l’atteinte des objectifs poursuivis et génère des impacts tangibles sur la prestation des services professionnels.

Y aurait-il lieu de faire évoluer une réglementation essentiellement basée sur le contrôle de la conformité vers une approche réflexive et axée sur la mesure des résultats recherchés ? À cet égard, il convient de s’inspirer des meilleures pratiques en matière de développement des compétences mises de l’avant dans le domaine de la gestion stratégique des ressources humaines et de la réflexion menée au sein d’ordres professionnels internationaux.

Les différentes approches en matière de formation continue

La recension de l’encadrement de la formation continue au sein des ordres professionnels québécois et internationaux permet d’identifier trois approches mises de l’avant par ces organismes de réglementation. Ces approches se distinguent par le degré de contrôle déployé par l’organisme de réglementation et conditionnent les stratégies de développement des compétences élaborées par les professionnels et les organisations qui les emploient, tel que l’illustre le schéma 1.

L’approche prescriptive

Fréquemment rencontrée au sein des ordres professionnels du Québec et d’ailleurs au monde, elle détermine les paramètres permettant d’atteindre une situation de conformité dans le cadre d’une obligation de formation continue : nombre minimal d’heures de développement professionnel à accomplir, activités de développement professionnel admissibles et modalités de déclaration du respect de l’obligation.

Cette approche peut s’avérer appropriée dans un contexte où il est possible d’identifier les besoins de formation précis et communs et d’une importance stratégique en vue d’objectifs à atteindre (ex. : protection et confiance du public, mise à niveau à la suite d’une modification législative majeure, etc.). À titre d’exemple, l’Ordre des ingénieurs du Québec a identifié des besoins de formation ciblés et uniformes dans le domaine de l’éthique et de la déontologie professionnelle, se traduisant par des enjeux critiques par rapport à la mission de protection du public. Face à ce constat, depuis le 1er septembre 2012, les membres de l’Ordre des ingénieurs du Québec doivent obligatoirement suivre une formation en ligne portant sur le professionnalisme et intégrant des notions d’éthique et de déontologie6.

L’approche réflexive

Cette approche, quant à elle, se caractérise par une démarche cyclique insistant davantage sur l’identification des objectifs d’apprentissage ainsi que des moyens de les réaliser et de favoriser le transfert des nouveaux acquis dans la pratique professionnelle. Cette approche implique une personnalisation du processus d’apprentissage, à travers lequel l’organisme de réglementation joue un rôle de soutien en développant des outils pour favoriser sa mise en œuvre. Représentant une tendance dans la formation continue obligatoire, l’approche réflexive fera l’objet d’une analyse plus approfondie dans les prochaines sections.

L’approche autonomiste

Finalement, dans le cadre de l’approche autonomiste, la responsabilité de déterminer l’existence de besoins de développement professionnel, d’élaborer et de mettre en application les stratégies permettant de les combler, le cas échéant, revient uniquement au professionnel. Dans une perspective d’autorégulation, les activités de soutien, d’accompagnement et de contrôle sont déléguées au professionnel ainsi qu’aux structures professionnelles dans lesquelles il évolue.

L’intervention de l’ordre professionnel est réduite; le rôle de l’organisme de réglementation pouvant se limiter à suggérer un nombre minimal d’heures devant être consacrées au développement professionnel et à valider la mise en place d’une stratégie de développement des compétences par le professionnel ou dans le cadre de son milieu de travail, à travers un cadre normatif rudimentaire. Cette approche se prête davantage aux situations ne soulevant que des enjeux à faible risque pour le public.

De manière générale, les différentes parties prenantes engagées dans le développement des compétences des professionnels québécois (employeurs, professionnels et public en général) se conforment aux exigences de l’approche prescriptive, mise de l’avant par la plupart des organismes de réglementation, ce qui requiert notamment de procéder à la reconnaissance des activités de développement en fonction de critères établis.

Or, l’évolution anticipée du contexte professionnel et les pratiques novatrices mises de l’avant par des organismes de réglementation à l’échelle locale et internationale tendent à privilégier un rééquilibrage qui, favorisant une plus grande autonomie des parties prenantes concernées tout en considérant les impératifs de la protection de public, justifie un certain encadrement par les ordres professionnels.

Vers une révolution anglo-saxonne ? L'approche axée sur les apprentissages

Le contexte entourant la mise sur pied du projet LETR

Lancés conjointement en 2011 par les organismes réglementant la pratique professionnelle de plus de 160 000 juristes en exercice en Angleterre et au pays de Galles7, les travaux d’une équipe de recherche indépendante (le Legal Education and Training Review, ci-après le projet LETR) proposent un portrait de la situation actuelle en matière de formation professionnelle au sein de ces professions réglementées ainsi que d’autres ordres professionnels internationaux. Ce faisant, ils identifient les tendances récentes susceptibles d’influencer la conception contemporaine des normes régissant, notamment, l’accession aux professions juridiques et la formation continue obligatoire.

Les principaux constats

De l’avis des auteurs du rapport final du projet LETR, le cadre entourant la formation professionnelle et continue des juristes se doit d’évoluer afin de s’adapter aux changements vécus par les professions juridiques, lesquels sont notamment causés par l’influence de certaines variables macro- économiques, dont les développements technologiques, la mondialisation, les changements démographiques et sociaux, l’essor du consumérisme et les exigences accrues des consommateurs. Ce faisant, ils identifient certaines lacunes qui caractérisent le modèle actuel de formation professionnelle et continue des juristes en Angleterre et au pays de Galles.

L’étude révèle la difficulté d’assurer une qualité constante des apprentissages et des normes d’évaluation. De plus, le projet LETR constate que la conception traditionnelle du développement professionnel, axée sur la conformité à l’égard d’un minimum de formation à suivre, limite les activités de développement professionnel admissibles, ce qui pourrait avoir comme effet de nuire à l’atteinte des objectifs poursuivis et de restreindre les pratiques innovantes dans ce domaine8.

Dans ce contexte, les données obtenues à travers le sondage de divers intervenants témoignent d’un cynisme à l’égard du cadre actuel relatif à l’obligation de formation continue, qui est basée sur un nombre minimal d’heures à accomplir et souvent dénuée des considérations centrales à l’apprentissage, telles que la réflexion sur les besoins et l’évaluation des acquis9.

Puisque ces intervenants notent que les structures en place dans le secteur juridique s’éloignent des meilleures pratiques mises de l’avant au sein d’autres professions, certains vont jusqu’à remettre en question la pertinence de l’encadrement actuel du développement professionnel continu10 ou à le comparer avec d’autres structures existantes qui mettent de l’avant une approche réflexive, intégrant un cycle de réflexion, de planification, d’exécution et d’évaluation11.

De l’avis du groupe de travail, pour que la notion de développement professionnel continu contribue au maintien de standards élevés de compétence, elle doit être encadrée par des mécanismes favorisant la réflexion sur les apprentissages et la mesure de la qualité, ce qui implique des exigences accrues au niveau du rôle d’accompagnement appartenant aux ordres professionnels12.

Les recommandations formulées

Parmi les principales recommandations relatives à la formation continue obligatoire des professionnels, il est recommandé, d’une part, de favoriser l’adoption de normes qui nécessitent, de la part des professionnels, une démarche annuelle de réflexion sur les besoins de développement des compétences, y compris la planification, la mise en œuvre et l’évaluation des activités de développement suivies et des apprentissages13. Les auteurs du projet LETR constatent qu’une telle recommandation va de pair avec l’évolution de l’encadrement du développement professionnel continu au sein d’organismes de réglementation internationaux, laquelle s’accompagne d’un élargissement des activités de développement admissibles et d’une autonomie accrue chez le professionnel14.

Une telle approche réflexive peut être accompagnée d’un nombre minimal d’heures de développement professionnel devant être accomplies. D’autre part, le rapport final du projet LETR énonce la nécessité de procéder à un encadrement régulier et approprié des activités de développement professionnel offertes et suivies, notamment par un processus de vérification afin de s’assurer de leur conformité par rap- port aux objectifs pédagogiques poursuivis15.

L’application des constats et des recommandations formulées au contexte professionnel québécois

L’analyse effectuée, reposant notamment sur une étude comparative des modalités relatives à la formation professionnelle au niveau mondial, permet de soulever différents enjeux applicables au contexte professionnel québécois. D’une part, la mondialisation du marché des services professionnels se concrétisant notamment par les accords de mobilité de la main-d’œuvre, dont plusieurs ordres professionnels québécois sont signataires, génère l’apparition de nouvelles variables susceptibles de faire évoluer le système professionnel québécois.

D’autre part, la notion de compétence professionnelle se retrouve au cœur de ces nouvelles réalités, comme en font foi les protocoles d’évaluation et de reconnaissance des qualifications récemment adoptés16. À cet effet, la formation continue constitue un axe permettant aux organismes de réglementation de s’assurer du maintien et du développement des compétences professionnelles appropriées. Or, les divers cadres normatifs régissant la formation étant essentiellement orientés vers l’atteinte d’un statut de conformité à l’égard de normes prescriptives, ils ne sont ni à l’abri des pressions et des obstacles décrits dans le rapport final du projet LETR, ni garants de résultats et d’impacts.

La réponse aux enjeux soulevés reflétera, quant à elle, la spécificité du système professionnel québécois. En effet, le mandat et les champs d’action des ordres professionnels québécois sont encadrés par le Code des professions, loi-cadre fixant les rôles et responsabilités de ces organismes de réglementation. L’Office des professions, organisme de surveillance et de contrôle des activités des ordres professionnels, et le Conseil interprofessionnel du Québec, regroupement ayant un rôle de consultation et de représentation, sont autant d’acteurs susceptibles de contribuer à une démarche commune dans l’établissement des meilleures pratiques en matière de formation.

Adopter une vision intégrée en matière de développement des compétences

Alors que les taux de conformité aux diverses obligations de formation continue témoignent de l’adoption d’habitudes de formation chez les professionnels du Québec17, l’adoption d’une vision intégrée en matière de développement des compétences représente un levier permettant aux ordres professionnels d’orienter leurs activités d’encadrement et de prévention.

À cet égard, les divers processus régissant l’accession à la profession et son maintien, représentés dans le schéma 2, gravitent autour de la notion centrale de compétence professionnelle, laquelle définit les normes et comportements attendus. Une vision intégrée implique de s’engager dans une démarche favorisant l’atteinte d’objectifs communs et nécessitant de rediriger les ressources, jusqu’à présent consacrées à la mesure des heures de développement professionnel suivies, vers la conception de normes et d’outils permettant à la notion de compétence d’assumer sa place centrale.

La formation continue s’inscrit dans une telle approche en matière de réglementation des activités professionnelles, approche basée sur les résultats visés. En s’inspirant de l’évolution des normes régissant le développement continu des compétences professionnelles et des meilleures pratiques mises de l’avant, il est possible de proposer que l’approche réflexive présente l’avantage de donner un sens à l’obligation de formation continue de chaque professionnel, dans la mesure où elle s’appuie davantage sur les fondements de la théorie moderne de l’apprentissage des adultes18.

Ce sens retrouvé résulte du respect des caractéristiques typiques de l’apprentissage chez l’adulte, dont l’autodéterminisme, décrit par les auteurs Rivard et Lauzier (2013 : 57) de la manière suivante : « L’apprenant adulte aspire profondément à se déterminer par lui-même. Il doit avoir le sentiment d’être l’initiateur de sa démarche d’apprentissage, laquelle doit pouvoir répondre à ses besoins ou ses intérêts. […] Les apprenants adultes ont généralement conscience de leurs décisions et des conséquences que peuvent entraîner celles-ci sur leur vie. Ce niveau de conscience nourrit, chez eux, un besoin d’être vus et traités par les autres comme des individus capables de s’autogérer. »

Placée au cœur d’une démarche structurée de développement des compétences, l’approche réflexive permet aux ordres professionnels et à leurs membres de se concentrer sur des objectifs de développement des compétences en fonction de résultats recherchés plutôt que sur l’atteinte d’un statut de conformité. Ce faisant, « la perception de l’utilité de l’apprentissage pour l’apprenant se doit d’être le point de départ de la tenue de toute activité de formation »19. À cet égard, l’approche réflexive, illustrée au schéma 3, est caractérisée par ses étapes successives, constituant un cycle de réflexion, de planification, d’exécution, d’intégration et de rétroaction.

Dans cette perspective, une stratégie commune désignant des axes d’intervention réservés aux ordres professionnels et des outils visant à supporter chacune des étapes de la démarche réflexive en matière de développement des compétences des professionnels pourrait être mise de l’avant.

À cet égard, la définition de normes minimales en matière de développement des compétences constitue un point de départ permettant de favoriser l’adoption d’habitudes de formation. Ces normes peuvent s’accompagner d’un nombre minimal d’heures consacrées au développement professionnel, que ce soit dans un domaine précis répondant aux besoins spécifiques d’une profession donnée ou dans le cadre d’activités formelles de développement professionnel.

Ces normes minimales ne sauraient constituer, à elles seules, des fondements suffisants afin de favoriser l’engagement envers une démarche de développement des compétences. En effet, il convient de réitérer l’absence de lien de cause à effet entre le nombre d’heures de formation suivies et l’acquisition ou le maintien des compétences, tel que l’ex- prime l’auteur Bouteiller (2012 : 11) :

« […] le fait d’engager des ressources importantes dans des activités formatives, même dans des environnements extrêmement planifiés et sophistiqués, ne garantit aucunement une amélioration du niveau de compétence des employés visés et encore moins bien sûr un accroissement proportionnel de leur performance productive. »

Les ordres professionnels peuvent mobiliser plusieurs leviers afin d’encourager l’adoption d’une démarche réflexive en matière de développement des compétences. À cet égard, la conception d’un profil des compétences propres à une profession donnée peut constituer un outil stratégique au développement de celle-ci.

En effet, bien qu’un profil de compétences puisse présenter les compétences essentielles à l’exercice d’une profession, un tel outil peut également répertorier les compétences nécessaires à l’évolution anticipée de la réalité professionnelle. Il importe donc d’insister sur le caractère dynamique de cet outil, lequel doit être régulièrement révisé en fonction de l’évolution des aspects entourant la pratique professionnelle (ex. : besoins de la clientèle, tendances dans la prestation des services, etc.).

Ce faisant, le professionnel est à même de procéder à un bilan de ses compétences et d’identifier les écarts par rapport aux références fournies. Dans ce contexte, l’ordre professionnel peut étendre son soutien en rendant disponible des outils d’auto-évaluation et autres questionnaires.

L’autonomie et la responsabilisation du professionnel représentent des conditions de succès de la démarche réflexive21. Néanmoins, l’auteur Knowles (1990 : 73) suggère des moyens de stimuler la volonté d’apprendre des professionnels :

« Il ne faut néanmoins pas se contenter d’attendre passivement que cette volonté [d’apprendre] se manifeste d’elle-même. Il est en effet possible de la stimuler à l’aide de modèles de performance supérieure, d’un conseil d’orientation professionnelle, d’exercices de simulation et d’autres méthodes. »

Les ordres professionnels peuvent donc contribuer à structurer et à stimuler la démarche de développement des compétences de leurs membres en promouvant la formulation des objectifs d’apprentissage découlant du bilan décrit précédemment et l’élaboration d’un plan annuel de développement.

Il importe également de partager l’objectif de favoriser l’intégration des apprentissages à travers le rehaussement de l’expérience pédagogique. Pour ce faire, il peut être avisé de former les différents intervenants du processus de formation sur les meilleures pratiques pédagogiques. De plus, les données d’évaluation remplies par les participants à l’égard de l’expérience pédagogique peuvent guider les organismes de réglementation dans les processus existants de reconnaissance des activités de formation.

Finalement, la mesure de l’atteinte des normes mini- males, des objectifs de développement et des impacts sur la pratique professionnelle propose une évolution marquée par rapport à la conception d’une conformité atteinte en fonction d’un nombre minimal d’heures suivies. À travers l’informatisation d’un dossier personnalisé de développe- ment professionnel, les membres d’un ordre professionnel sont en mesure de rendre compte et de suivre l’évolution de leur plan de développement.

Les ordres professionnels peuvent alors s’interroger sur la possibilité de mettre en place des mécanismes de mesure des acquis et des plans de développement. De concert avec la vérification des compétences menée dans le cadre d’une inspection professionnelle, un accompagnement plus étroit peut ainsi être proposé aux membres de l’ordre dans la mise en place d’une approche réflexive en matière de développement professionnel.

Les axes d’intervention réservés aux ordres professionnels dans la perspective du soutien d’une démarche réflexive en matière de développement des compétences sont résumés dans le schéma 4.

Il ressort donc des enjeux soulevés par les travaux du projet LETR que le rôle des ordres professionnels en matière de formation continue obligatoire est appelé à évoluer, de manière à soutenir une démarche approfondie de réflexion sur le développement des compétences.

Mise en œuvre d’une approche réflexive : quelques outils mis de l’avant par les professionnels du Québec

Il convient de procéder à un bref tour d’horizon des différents outils mis de l’avant par certains ordres professionnels du Québec. Ces outils, allant du profil de compétences à l’auto-évaluation des besoins en matière de développement des compétences, présentent l’avantage de fournir des moyens de se rapprocher d’une démarche réflexive en matière de développement des compétences et méritent de faire partie d’une stratégie commune en ce sujet.

Les profils de compétences

De nombreux ordres professionnels du Québec rendent disponibles des outils servant à encadrer les différentes pratiques de leurs membres et à promouvoir le développement des compétences fondamentales propres à leur domaine d’exercice. À cet égard, l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés a élaboré le Guide des compétences des CRHA et CRIA, dont le contenu offre une classification étoffée des compétences. Celles-ci sont divisées en deux catégories principales, soit les compétences professionnelles, regroupant les compétences fondamentales et spécialisées, et les compétences générales, notamment les compétences relationnelles et personnelles21.

Comme énoncé dans le préambule du Guide des compétences des CRHA et CRIA, l’intérêt de la démarche de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés réside notamment dans l’identification du caractère hautement stratégique que revêt un tel profil de compétences, tant pour les activités des membres de l’Ordre que pour les fonctions de réglementation de la pratique professionnelle22.

Parmi d’autres initiatives similaires, notons, entre autres, les profils de compétences selon les domaines de la profession d’ingénieur23, le profil des compétences générales des psychoéducateurs24 et le référentiel de compétences lié à l’exercice de la profession d’ergothérapeute au Québec25.

L’auto-évaluation des compétences

Fréquemment rencontrés dans le cadre des mécanismes d’inspection professionnelle, les outils d’auto-évaluation des compétences permettent aux professionnels d’établir un bilan en cette matière en fonction de normes et d’indicateurs préétablis. En conjonction avec les profils de compétences, les outils d’auto-évaluation peuvent favoriser une démarche réflexive et une prise de conscience en matière de développement professionnel, dans la mesure où l’identification d’écarts par rapport à des compétences requises ou anticipées constitue une étape préliminaire dans le cadre d’une démarche structurée de formation.

Parmi les ordres professionnels mettant de l’avant des outils d’auto-évaluation des compétences, l’Ordre des ergothérapeutes du Québec et l’Ordre des ingénieurs du Québec soutiennent une démarche réflexive et structurée en matière de développement professionnel. En se servant de l’Outil de réflexion sur la pratique professionnelle de l’ergothérapeute, ce dernier peut procéder à l’identification de ses compétences professionnelles à améliorer, à travers une série de questions portant sur sa pratique26. Les ingénieurs, quant à eux, peuvent entreprendre une démarche d’évaluation des compétences à l’aide d’un guide de développement des compétences27.

Il en ressort donc que l’auto-évaluation des compétences, étroitement liée à la notion de profil de compétences, représente une occasion d’encourager l’autonomie du professionnel en lui permettant de procéder au diagnostic des compétences professionnelles à développer.

Les plans de développement des compétences

Dans la continuité d’une telle démarche, l’élaboration d’un plan de développement permet de concevoir une stratégie menant à la formulation des objectifs découlant du bilan des compétences.

Dans sa Politique de formation continue, l’Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec incite ses membres « à réfléchir à leur pratique, à planifier l’actualisation de leurs compétences et à orienter le développement de celles-ci » à travers l’élaboration et l’évaluation constante d’un plan annuel de formation continue28. Il s’agit également d’une composante mise de l’avant dans la Politique de développement professionnel continu de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec29.

Finalement, une démarche de mesure de l’atteinte des objectifs de développement poursuivis par l’exécution du plan de développement des compétences, notamment à travers l’identification des impacts sur la pratique professionnelle, permet de favoriser l’intégration des compétences et de clore le cycle de la démarche réflexive.

Conclusion : de nouveaux rôles pour les ordres professionnels

Bien que l’évolution de la réglementation en matière de formation continue obligatoire témoigne d’un mouvement vers une approche réflexive basée sur les résultats d’apprentissage, certaines résistances contribuent à freiner l’éloignement de la conception traditionnelle reposant sur un nombre minimal d’heures à accomplir.

Parmi ces contraintes, les différents parcours professionnels propres à certaines professions (pratique atypique, spécialisations, etc.) sont considérés comme des facteurs complexifiant l’adoption d’une approche réflexive. Or, force est de constater que l’approche traditionnelle, limitant les activités et les contenus pédagogiques, augmente le fardeau des professionnels dont le parcours est distinct, certains d’entre eux devant remplir des formalités additionnelles afin d’obtenir la reconnaissance des activités de développement professionnel suivies.


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Il importe également de considérer les contraintes liées aux capacités internes des ordres professionnels. L’effort administratif déployé afin de contrôler l’atteinte d’un statut de conformité (respect des nombreuses formalités nécessaires à l’obtention de la reconnaissance des activités de développement professionnel, analyse quantitative des registres de formation des membres, etc.) incite à une réflexion sur les risques associés à une bureaucratisation des mécanismes liés à l’encadrement du développement des compétences des professionnels. À la manière d’un système de gestion des compétences utilisé par les organisations, les différents outils présentés dans la section précédente nécessitent « des efforts d’entretien et de mise à jour qui peuvent parfois s’avérer lourds »30, au risque de souffrir d’une coûteuse obsolescence.

Considérant l’évolution rapide des variables socio-économiques ayant un impact sur la réalité professionnelle de nombreux secteurs d’activité, une approche réellement axée sur le développement des compétences résultant des activités de développement professionnel est susceptible de fournir l’impulsion requise à l’ensemble des professions pour faire face à cet environnement changeant. Cette approche implique de nouveaux rôles pour les ordres professionnels, notamment en ce qui a trait à l’accompagnement, à la mesure des impacts et à l’actualisation des outils développés, et peut les amener à porter un second regard sur les compétences essentielles à la prestation de services de haute qualité31.

Les informations, propos et opinions contenus dans cet article n’engagent que leurs auteurs respectifs et ne représentent pas nécessairement la position des sociétés, entreprises ou collectifs auxquels ils contribuent ou dont ils peuvent être associés ou employés


Notes

1 Cette mise en situation ne contient que des données fictives. Toute ressemblance avec une situation véridique est involontaire.

2 Règlement sur la formation continue obligatoire des avocats. Code des professions. (L.R.Q., c. C-26, a. 94, par. o; 2008, c. 11, a. 62).

3 Ces données ont été compilées avant la fusion des ordres professionnels de comptables. Office des professions, Québec (2013a, 2013b).

4 Éditeur officiel du Québec (2008).

5 Par exemple, l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec met de l’avant une norme de formation continue, laquelle contient des dispositions similaires à la réglementa- tion en vigueur parmi les ordres professionnels du Québec.

6 Ordre des ingénieurs du Québec (2011a).

7 Solicitors regulation authority, Bar standards board, Cilex.

8 LETR Report, par. 2.42, p. 25

9 LETR Report, par. 7.27, p. 277

10 LETR Report, par. 6.73, p. 248

11 LETR Report, par. 2.32, p. 25

12 LETR Report, par. 4.90, p. 138

13 LETR Report, p. 291

14 LETR Report, par. 6.94, p. 252

15 LETR Report, p. 291

16 Office des professions (2014a).

17 À titre d’exemple, pour la période de référence ayant débuté le 1er avril 2011 et s’étant terminée le 31 mars 2013, le taux de conformité à l’obligation de formation continue s’est établi à 99,8 % auprès des membres du Barreau du Québec.

18 (Knowles, 1990 : 85).

19(Rivard et Lauzier, 2013 : 57).

20 (Knowles, 1990 : 45).

21 Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (2013).

22 Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (2013).

23 Ordre des ingénieurs du Québec (2011b).

24 Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec (2010).

25 Ordre des ergothérapeutes du Québec (2010).

26 Ordre des ergothérapeutes du Québec (2011).

27 Ordre des ingénieurs du Québec (2002).

28 Ordre professionnel des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (2007).

29 Ordre des ergothérapeutes du Québec (2012).

30 (Rivard et Lauzier, 2013 : 36).

31 LETR Report, par. 6.145, p. 264

32 Office des professions (2014b).

Références

Bouteiller, D. (2012), « Formation de la main d’œuvre : plaidoyer en faveur d’une loi du 10 % », Gestion, vol. 21, n° 1, p. 72-79.

Éditeur officiel du Québec (2008), « Projet de loi no 75, Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives,1e sess, 38e lég, Québec, 2008, art 62, (sanctionné le 5 juin 2008), [En ligne] www.opq.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/Systeme_professionnel/Proj-loi75.adopte.pdf (consulté le 5 juin 2008).

Knowles, M. (1990), L’apprenant adulte : vers un nouvel art de la formation, Les Éditions d’Organisations, 277 p.

Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (2013), Guide des compétences des CRHA et CRIA, [En ligne] www.portailrh.org/formationcontinue/formulaires/GuidedesCompetences.pdf (consulté le 27 novembre 2013).

Ordre des ergothérapeutes du Québec (2010), Référentiel de compétences lié à l’exercice de la profession d’ergothérapeute au Québec, [En ligne] (consulté le 27 novembre 2013).

Ordre des ergothérapeutes du Québec (2011), Outil de réflexion sur la pratique professionnelle de l’ergothérapeute, [En ligne] (consulté le 29 novembre 2013).

Ordre des ergothérapeutes du Québec (2012), Politique de dévelop- pement professionnel continu, [En ligne] (consulté le 2 décembre 2013).

Ordre des ingénieurs du Québec (2002). Guide de développement des compétences, [En ligne](consulté le 29 novembre 2013).

Ordre des ingénieurs du Québec (2011a). Cours sur le professionnalisme, [En ligne] Récupéré le 9 avril 2014 (consulté le 9 avril 2014).

Ordre des ingénieurs du Québec (2011b). Profils de compétences, [En ligne] (consulté le 27 novembre 2013).