Dupuis

Le professeur Jean-Pierre Dupuis pose des questions pertinentes sur le devenir du club mythique

Difficile de trouver plus grand amateur et plus grand connaisseur de hockey à HEC Montréal que Jean-Pierre Dupuis, professeur titulaire au Département de management. L’universitaire, spécialiste des questions de gestion interculturelle dans les organisations, est un véritable puits de savoir en matière de hockey professionnel, et bien malin celui qui saura le prendre en défaut à propos de son club, les Canadiens de Montréal, qu’il suit depuis sa tendre enfance. Passionné, le prof Dupuis? Certainement! Et c’est justement cette passion qui l’a amené à rédiger ce véritable cri du coeur qu’est Où sont les joueurs francophones du Tricolore?, un essai qui, comme le titre le laisse deviner, pose avec acuité la question de la tradition francophone au sein du club maintenant centenaire. À quelques heures de l’ouverture de la nouvelle saison des Canadiens, Gestion l’a rencontré afin de discuter de cette question d’intérêt… national!

Les Canadiens, victime de la mondialisation?

Le profil culturel des joueurs de la Ligue nationale de hockey (LNH) a bien changé depuis quelques décennies. Jadis, ils étaient Canadiens ou Américains; aujourd’hui, ils sont certes toujours Canadiens et Américains, mais aussi Scandinaves, Russes, Allemands, Suisses, Tchèques, Slovaques et autres. Par la force des choses, l’état-major des Canadiens a donc été amené à jeter son dévolu sur des joueurs provenant de tous les horizons, délaissant de plus en plus les joueurs issus du Québec, sur lesquels le club a bâti sa légende au fil des décennies. C’est un fait que Jean-Pierre Dupuis démontre bien, chiffres à l’appui, dans son essai.

Peu importe les motivations derrière les choix de joueurs faits par la direction du club, que ce soit par l’entremise du repêchage ou d’une transaction, les Francophones sont aujourd’hui une minorité dans l’alignement des Canadiens. Il s’agit là d’une importante contradiction que relève l’auteur, car d’un point de vue strictement économique, cela pourrait se retourner contre la Sainte Flanelle : « Le problème, affirme le prof Dupuis, c’est que l’équipe bâtit son marketing sur la tradition et sur l’héritage des joueurs francophones, alors que la réalité est toute autre dans le vestiaire. Les Canadiens sont conscients qu’une partie de leur force repose sur cette tradition, et ils l’exploitent bien. Mais en ne repêchant pas de joueurs francophones et en n’ayant pas plus de joueurs francophones, ils sont en train de créer une rupture avec cette tradition. Et en termes de positionnement sur le marché, si jamais il devait y avoir une équipe de hockey professionnelle à Québec, ils auront de sérieux problèmes. » La position monopolistique du club dans le marché québécois, certes l’un des plus attachés au hockey, ne génère pas beaucoup d’incitatifs au changement…

La fameuse « chimie »

Observateur attentif, de par ses intérêts de recherche, des interactions entre les membres d’une organisation donnée, Jean-Pierre Dupuis tire également de son étude exhaustive des conclusions intéressantes quant à la gestion d’une équipe et à la création d’un esprit de corps au sein de cette dernière. Cette chimie tant souhaitée, c’est au sein de la culture de l’organisation qu’elle se matérialise et à ce titre, affirme le prof Dupuis, il y a une fois de plus une incohérence majeure au sein du grand club : « Quand tu développes une culture d’entreprise, il ne doit pas y avoir de contradictions entre le discours des dirigeants et les opérations. » La présence d’un noyau de bons joueurs est primordiale. Mais ce noyau, si l’on se fie à l’éventuel alignement qui sautera ce soir sur la glace du KeyBank Center, le repaire des Sabres de Buffalo, sera essentiellement anglophone. Sans doute est-ce le reflet de la réalité du hockey professionnel du XXIe siècle. Mais en faisant le choix, conscient ou inconscient, de ne pas tabler sur un coeur francophone, l’équipe perd une merveilleuse occasion de se doter d’un élément distinctif (oserions-nous parler d’avantage concurrentiel?) au sein du circuit, et d’ainsi créer un attachement supplémentaire des hommes d’affaires sur patins à l’équipe : « Pour moi, c’est un atout supplémentaire que l’équipe se donne pour gagner, que de s’appuyer sur des joueurs locaux, créant ainsi une dynamique qui fait en sorte que ces derniers pourront se surpasser. » C’est toute la différence entre des joueurs (ou des employés) motivés, et des joueurs mobilisés, qui sont prêts à tout donner pour l’organisation et la communauté qui les soutient.

La dernière conquête de la coupe Stanley, l’objectif ultime du hockey professionnel, par les Canadiens de Montréal remonte à 1993, une traversée du désert de presqu’un quart de siècle! Certes, d’un point de vue strictement financier, les Canadiens de Montréal sont l’un des clubs les plus riches du circuit Bettman. Est-ce à dire que les Canadiens pourraient être davantage profitables et victorieux avec davantage de joueurs francophones? Jean-Pierre Dupuis, quant à lui, est convaincu de la chose. Et d’ici à ce que la question soit définitivement tranchée, le prof Dupuis prédit que le CH sera quand même des séries éliminatoires au printemps prochain! L’expert a parlé!