Nous intervenons au quotidien auprès d’entreprises qui souhaitent accélérer leur transformation numérique. Comme les dirigeants lisent et entendent beaucoup de choses sur les possibilités croissantes qu’offrent les nouvelles technologies, ils se demandent si leur fonction marketing est à la hauteur, notamment dans l’utilisation de ces nouvelles possibilités.Très souvent notre constat est le suivant : tous les ingrédients du succès sont en place, les investissements requis ont été faits en matière technologique, mais l’arrivée du numérique et de tout le data qu’il génère déstabilise ceux qui doivent les utiliser. Cette perte de repères « bloque » la fonction marketing, qui se retranche dans ses habitudes de fonctionnement. L’expérience client n’est donc pas au rendez-vous.

Tout le problème vient finalement du fait que la transformation du marketing à l’ère numérique est d’abord et avant tout un changement de paradigme. Relever ce défi demande un changement d’état d’esprit et même de façon de travailler, ce qui n’est pas du ressort de la technologie.

De là, selon nous, les 4 défis de la fonction marketing de l’entreprise ou de l’organisation sont les suivants…

Défi n°1 : Passer du marketing de la supposition au marketing de la certitude

Hier encore, la fonction marketing travaillait avec des données sociodémographiques et comportementales. On établissait un groupe-cible à partir de dénominateurs communs : leur âge, leur niveau de diplomation, leur lieu de résidence (rural ou urbain), leur revenu, etc. Ce groupe-cible  présentait par supposition de bonnes chances d’être intéressé par le produit ou le service. « De bonnes chances », cela voulait dire dans le meilleur des cas 10% de chances. Le reste, 90%, était une perte assumée au départ.

Si cette marge d’erreur était acceptée, elle est proprement insupportable à l’ère du Big Data et de tous ses instruments d’analyse. Car la réalité est aujourd’hui la suivante : les informations générées par la capture, l’analyse et le traitement des données sont immensément plus précises que celles qui sont présumées par l’humain.

Le « data digital » fourni par Search, la combinaison de données générée par DMP et les moteurs de recommandations (machine learning) permettent de remplacer la supposition par la certitude, ou presque, ce qui augmente considérablement la précision du ciblage tout en livrant une expérience positive et mémorable au consommateur. Au lieu de présumer un besoin potentiel commun à l’ensemble d’un groupe-cible, on détecte une intention d’achat au cas par cas : tel individu est aujourd’hui même susceptible d’acheter mon produit ou mon service. Il a été repéré par les algorithmes à partir de son profil et de son comportement de consommateur. Mieux encore : nous savons comment le rejoindre.

De là, continuer à cibler de façon sociodémographique et à mener son offensive marketing à partir des codes postaux, par exemple, est une aberration dont la pratique ne s’explique que par l’habitude ou la méconnaissance de deux choses : les nouvelles possibilités et les nouvelles attentes des consommateurs. Le monde change : il faut changer aussi.

Défi n°2 : Passer à l'hyperpersonnalisation des messages et à la recommandation

La plupart des offensives de marketing sont encore élaborées par un stratège média qui bâtit un calendrier annuel de diffusion à partir d’études qualitatives et quantitatives… et d’une bonne dose de subjectivité.

Aussi compétent et expérimenté soit-il, ce stratège média ne sera jamais aussi précis et efficace que le machine learning traitant d’énormes quantités de données afin de détecter des intentions d’achat. Jamais il ne pourra remplacer un outil spécifiquement programmé pour déclencher un comportement chez un consommateur dont la visite, via le digital, en fait un client à très fort potentiel. Ces outils ont le pouvoir de transformer un prospect en client en lui faisant une offre pertinente au moment où il est le plus réceptif.

Autant les médias traditionnels demandaient une planification à l’avance, autant les possibilités de l’automatisation marketing et du marketing programmatique permettent aujourd’hui la réaction en temps réel. Toutes les entreprises revendiquent aujourd’hui une volonté de basculer leurs investissements publicitaires sur le numérique alors… pourquoi continuer à faire des plans annuels?

Plus Ici encore, le défi est celui du changement de paradigme : les fonctions marketing doivent développer de nouveaux réflexes, penser autrement.

Défi n°3 : Basculer du produit à l'expérience client personnalisée

À l’ère numérique, le produit n’est plus au centre de la stratégie marketing. Aussi curieux que cela puisse paraître, l’efficacité consiste à capter une audience et à la fidéliser, après quoi (et après quoi seulement) le produit lui sera offert. Pourquoi? Parce que l’expérience client est aujourd’hui une composante incontournable de l’offre. Hier, le consommateur achetait un produit. Point à la ligne. Aujourd’hui, il commence par adhérer aux valeurs rattachées à ce produit. Même que de plus en plus souvent, son adhésion précède son achat.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle tant de secteurs d’activités éprouvent des difficultés. Pendant qu’elles concentraient leurs stratégies sur leurs produits ou leurs services, comme à leur habitude, de nouveaux joueurs captaient leur audience en leur fournissant des contenus intéressants et susceptibles de les aider à solutionner des problèmes. Au moment propice, voilà que cette solution devient un produit terriblement séduisant. Le tour est joué.

C’est l’une des transformations les plus difficiles à effectuer au sein des fonctions marketing, car elles doivent impérativement remettre en cause le rôle dominant du marketing produit au sein de la chaîne de valeurs.

Défi n°4 : Considérer l'ensemble des points de contact avec le consommateur dans le calcul du ROI

Les décisions basées sur un ROI qui ne mesure que la performance économique des centres d’appels et des points de vente sont de plus en plus biaisées. Pourquoi? Parce qu’elles ne considèrent que deux points de contact avec le consommateur alors qu’il existe aujourd’hui des outils pour le suivre en temps réel sur tous les points de contact avec lesquels il interagit.

Grâce au web analytic et aux modèles d’attribution, il est aujourd’hui possible de considérer l’ensemble des points de contact et donc de prendre des décisions stratégiques plus éclairées, basées sur des données complètes plutôt que partielles. Si le ROI est encore au centre des décisions d’affaires, il ne peut plus se calculer comme avant : c’est ignorer des données essentielles.

Un des grands chantiers de la fonction marketing consiste donc à tenir compte de la performance numérique et à l’intégrer dans son analyse. Pour y parvenir, il faut mettre en place l’infrastructure de mesure qui pourra générer les données requises. Ici encore, il faut changer sa façon de penser.

Investir en technologies, mais aussi sur l’évolution des façons de faire et des talents

Prendre le virage numérique ne se résume pas à investir dans les équipements et les logiciels de capture, d’analyse et de traitement des données. Nous pourrions même dire que cet investissement ne représente que la moitié de l’investissement requis. L’autre moitié doit être consacrée à la transformation de la fonction marketing de l’entreprise ou de l’organisation.

Cette transformation de la fonction marketing requiert une solide planification puisqu’il ne s’agit pas que de mettre en place les nouvelles technologies, mais de penser nouvelles technologies. Par comparaison, nous pourrions dire que ce n’est pas en achetant un bac de recyclage qu’on fait du recyclage. C’est en travaillant à ce que les personnes pensent recyclage, à défaut de quoi le bac restera vide et son achat à mettre dans la colonne des pertes. Il en va de même avec les technologies : partout elles prescrivent que les façons de faire soient repensées, que les rôles et responsabilités soient redéfinis, bref qu’un projet de transformation soit partie intégrante de l’investissement.

Pour tirer profit des technologies, l’organisation doit briser les silos et former des équipes pluridisciplinaires où les équipes marketing, distribution et technologies travailleront ensemble à la manière d’une start-up : partage, collaboration, synergie et alignement créeront l’état d’esprit propre la transversalité, à l’agilité et même au changement continu. Ces équipes créeront les solutions technologiques à partir des nouvelles possibilités offertes et des besoins véritables et, de là, identifieront les nouvelles façons de travailler en ouvrant toute grande la porte au design thinking et au fonctionnement en sprint. Ce qui ne manquera pas d’attirer et de fidéliser les vrais talents du numérique, aujourd’hui si précieux.

Le piège, c’est d’investir dans ces nouveaux outils et de continuer à travailler comme s’il s’agissait simplement de nouvelles versions… des anciens outils. Le Big Data, c’est beaucoup plus que cela : c’est la mise au rancart d’une façon révolue de communiquer avec les consommateurs. Négliger l’importance de planifier cette transformation, de gérer ce changement en profondeur, c’est risquer sérieusement de se faire devancer par des nouveaux joueurs et mettre ses investissements à la poubelle. Pas même dans le bac de recyclage…

Article écrit en collaboration Jean-Philippe Poisson, associé fondateur de Elia