Le monde de demain ne peut ressembler à celui d’hier et se conformer aux anciens usages et préceptes sur la mission des entreprises. De plus en plus d’acteurs du milieu des affaires voient dans leurs organisations plus que des machines à profit. Bien sûr, il faut être rentable, mais ce n’est pas une fin en soi. La rentabilité doit plutôt soutenir une raison d’être supérieure, au service de la communauté dans laquelle l’entreprise s’insère et qu’elle doit aider à prospérer.

En février dernier, nous avons eu l’occasion d’organiser une discussion entre André Coupet, auteur du livre Vers une Entreprise Progressiste, et deux gestionnaires dont les entreprises vivent ce modèle au quotidien : Cadleen Désir, PDG et fondatrice de Déclic, une organisation dédiée au développement de l’enfant; et Hugo D’Amours, vice-président communications, affaires publiques et développement durable chez Cascades. Ces derniers nous ont partagé leurs expériences, leurs fiertés, ainsi que les défis que leur entreprise a rencontrés.

Mais d’abord, qu’est-ce qu’une entreprise progressiste?

Comme nous l’explique si bien André Coupet dans son brillant livre, l’entreprise progressiste se fonde sur le modèle du 2 x 5, soit cinq parties prenantes à considérer dans les processus d’affaires ainsi que cinq composantes.

Entreprise progressiste

  1. La première composante est la raison d’être de l’entreprise. Les dirigeants doivent répondre à la question : «À quoi sert mon entreprise dans la société?» L’énoncé de la mission qui en découle doit être élaboré de façon collective, en concertation avec les 5 parties prenantes. Cette raison d’être s’accompagne d’engagements concrets en lien avec la stratégie.
  2. Ensuite, le management par les valeurs permet à l’entreprise de se positionner, selon André Coupet, «au carrefour de l’économie et de l’humanisme, au carrefour de la prospérité et de l’utilité sociale». Pour cela, deux catégories de valeurs interagissent : celle de l’harmonie interne à l’organisation (respect, ouverture à l’autre, intégrité et équité) et celle de l’engagement (solidarité et générosité).
  3. La troisième composante est la stratégie, qui devient le prolongement de la raison d’être et de ses engagements envers les parties prenantes. Plutôt que de gérer séparément son programme de responsabilité sociale d’entreprise (RSE) et sa stratégie d’affaires, l’entreprise progressiste intègre la RSE au cœur de la stratégie en implantant notamment des modèles comme l’économie circulaire, l’économie du partage et le commerce équitable. La stratégie constitue le prolongement de la raison d’être et de ses engagements; et le tout débouche sur des objectifs mesurables.
  4. La gouvernance, c’est-à-dire l’art de décider, doit être ouverte aux parties prenantes afin de prendre les bonnes décisions et d’installer une vision au service de la société. Dans notre rencontre en février dernier, André Coupet proposait la «tridétermination» des conseils d’administration avec des représentants des actionnaires, des représentants des employés et des administrateurs indépendants qui se porteraient à la défense des clients, des fournisseurs et de la société civile.
  5. Ces quatre composantes distinctives permettent d’en atteindre une cinquième, fondamentale : la création de valeur partagée. L’entreprise progressiste considère ainsi ses résultats et sa performance de manière globale. Elle s’attache non seulement aux indicateurs économiques classiques tels que la productivité, le chiffre d’affaires, les marges de profits, mais elle considère aussi des indicateurs environnementaux et sociaux.

Les entreprises progressistes ne sont pas des organisations parfaites et irréprochables, mais elles ont le mérite de s’être détachées des considérations court-termistes et de s’être lancées sur un chemin ambitieux qui leur profitera à moyen et long terme et qui, surtout, bénéficiera aux communautés dans lesquelles elles évoluent.

Deux illustrations québécoises d’entreprise progressiste

Déclic, une entreprise au service du plein épanouissement des enfants

Cadleen Désir, la PDG et fondatrice de Déclic, énonce ainsi la raison d’être de son entreprise : «Être une passerelle vers l’inclusion pour le plein épanouissement de chacun».

Les enfants aux besoins particuliers, en termes de développement, sont les premières cibles de ce crédo humaniste. Déclic fait intervenir des professionnels en santé et en éducation afin de les aider à atteindre leur plein potentiel.

Inspirée d’une mission sociale, cette entreprise privée fondée il y a 15 ans nage à contre-courant dans un domaine où les services de santé sont souvent perçus comme devant être gratuits. La culture de cette entreprise est basée sur des valeurs de transparence, de confiance et de coresponsabilité, ce qui implique souvent une sorte de «déprogrammation» initiale des professionnels qui la rejoignent.

Au-delà des interventions spécifiques auprès des enfants, Cadleen Désir et son équipe ont constaté avoir des impacts sur les milieux de vie de ceux-ci, mais également sur les parents, les intervenants qui travaillent autour de ces enfants. D’où cette notion de passerelle vers l’inclusion.

La COVID-19 est venue perturber ce microcosme. Comme le dit Cadleen, «Boom, pandémie!» Mais en s’appuyant sur ses valeurs, son entreprise a su faire une transition technologique et impliquer les familles pour créer une plateforme de télésanté et continuer à servir les enfants aux besoins particuliers.

Cascades, un précurseur d’envergure de la RSE

Comme le déclare fièrement Hugo d’Amours, vice-président communications, affaires publiques et développement durable chez Cascades : «Chez nous, on est nés progressistes».

Cascades a en effet débuté sous l’impulsion des frères Lemaire au début des années 1960. Leur vision, avant-gardiste à l’époque, consistait à récupérer certains déchets, notamment les vieux papiers, et les recycler pour en faire de la pâte à papier. Depuis, l’entreprise a connu une croissance ininterrompue, est cotée en bourse et atteint un chiffre d’affaires de 5 milliards de dollars.  

Malgré les exigences de l’expansion et de la profitabilité, Cascades continue à porter les valeurs qui l’ont vue naitre. Elles constituent même son avantage compétitif, tant dans ses opérations – 84 % des matières utilisées sont recyclées – que dans l’attraction de talents en quête d’un travail qui a du sens.

Avec ses employés, Cascades favorise une culture ouverte, de partage et de responsabilisation. L’entreprise partage ses profits avec ses employés et ces derniers, impliqués dans la vie de leur organisation, sont autonomes. À titre d’exemple, il arrive que des usines fonctionnent sans supervision durant plusieurs jours.   

L’engagement environnemental de l’entreprise s’étend également à ses fournisseurs et ses émissions de GES ont diminué de 50 % depuis 1990. Néanmoins, Cascades ne se repose pas pour autant sur ses lauriers et continue ses efforts : l’entreprise vient tout récemment de passer au 17e rang des Corporate Knights, le classement international des entreprises durables.

Conclusion

Le modèle de l’entreprise progressiste est véritablement incarné par diverses organisations d’ici et d’ailleurs qui adaptent le concept à leur réalité, à leur raison d’être. Ce modèle promet un futur où l’entreprise collabore avec ses parties prenantes en intégrant un engagement significatif face au mieux-être de la société.

Le chemin peut sembler exigeant, mais il est une véritable solution à nos défis collectifs. L’entreprise doit contribuer à l’évolution de la société. Le prochain pas semble être celui de l'action consciente, c'est-à-dire s'activer avec l'intention de créer, concrètement, plus de valeur pour tous. Les idées seules ou les beaux slogans ne suffisent pas. 

À quoi rêvez-vous secrètement? Quels progrès voulez-vous accomplir? Avec qui pourriez-vous ouvrir la discussion? Dès maintenant, faisons l’expérience de nouvelles initiatives et rendons-les visibles pour en inspirer d’autres. Une autre voie se dessine et elle nous semble indispensable.