À la NASA, tout doit fonctionner du premier coup – impossible de relancer un satellite explosé. Comment, alors, gérer le talent, les projets et l’information pour réussir une mission complexe? Gestion en a discuté avec le directeur principal des connaissances (chief knowledge officer) de l’agence spatiale américaine, Edward Hoffman. « Le succès se résume à être en mesure d’engager les gens et de les faire participer. Les gens doivent se parler », dit Edward Hoffman. La semaine dernière, il était à HEC Montréal dans le cadre de l’événement Héritage : Retenir l'expertise critique, organisé par Mosaic, le pôle créativité et innovation de HEC Montréal. Il y a présenté sa conférence Exploration des meilleures pratiques : un cas exemplaire d’application dans le domaine du spatial. Selon lui, le dossier du satellite NOAA-N-Prime est un bon exemple d’un « échec embarrassant » duquel il est possible de tirer une leçon.

En 2003, le satellite était en réparation à Sunnyvale, en Californie. Les techniciens devaient le boulonner sur une base, ou un pied de réparation, pour l’y fixer solidement. Ils ne l’ont pas fait. Le satellite est tombé par terre. L’erreur a coûté 135 millions USD. Dans ce cas précis, des techniciens en sécurité devaient vérifier que le satellite était bien fixé, mais ils ne l’ont pas fait. « Ils ne l’ont pas fait parce qu’ils estimaient que de visser un satellite sur sa base aurait dû être une opération simple », dit Edward Hoffman. Les gestionnaires, eux, devaient ensuite attester que tout avait été réalisé conformément aux procédures. Toutefois, ils estimaient eux aussi que la tâche était assez simple, alors ils ne sont pas allés inspecter le satellite pour confirmer qu’il était bien ancré. La leçon à tirer de cette série d’erreurs? « Nous avons tendance à mettre l’importance sur les questions à haut risque et sur la connaissance pointue, mais dans une mission, une toute petite chose peut mener à un échec dévastateur », dit l’expert de la NASA. La communauté doit donc se concentrer et dûment accomplir toutes les tâches qui doivent être accomplies. Tous, au sein de l’organisation, doivent prendre du recul, s’accorder le temps de réfléchir et ne pas avoir peur de poser des questions.

« C’est d’ailleurs parce que les professionnels, les techniciens et les gestionnaires sont particulièrement concentrés et consciencieux qu’il est plus sécuritaire de prendre l’avion après un crash qu’en temps normal », explique Edward Hoffman. Le hic, c’est que si les choses vont bien durant une longue période de temps, les travailleurs ont tendance à devenir plus à l’aise. « Pas de place pour la complaisance », dit Edward Hoffman, qui collabore aujourd’hui avec les dirigeants de l'industrie pour développer les capacités de l'agence spatiale dans la gestion de projets et le partage des connaissances. Pour s’assurer de tirer des leçons des erreurs comme celle du satellite mal boulonné, l’agence spatiale cultive un environnement de travail dans lequel les professionnels et les gestionnaires se sentent à l’aise de parler honnêtement des erreurs qui surviennent. L’agence publie d’ailleurs sur son site web une série d’histoires intitulée My Best Mistake (Ma meilleure erreur). Dans cette collection d’anecdotes, des praticiens du savoir et des gestionnaires de projets de la NASA racontent une de leurs erreurs et la leçon qu’ils en ont tirée. « Nous nous assurons de faire les choses de sorte à éviter que les gens refusent de discuter de ce qu’ils observent, que s’installe un silence organisationnel », dit Edward Hoffman.

Gestion du savoir

À la NASA, le transfert de connaissances est crucial. Mais Edward Hoffman reconnaît qu’il peut en être autrement dans d’autres domaines. Selon lui, le critère permettant de déterminer l’importance à accorder à cet enjeu est le coût d’un échec, non pas la taille de l’organisation. Si un projet de plus de 100 millions de dollars comme l’un de ceux à l’agence spatiale, par exemple, peut être réduit à néant par une erreur de boulons, il faut alors mettre beaucoup d’efforts sur le transfert de connaissances. « Mais dans le domaine informatique, si j’achète un logiciel et qu’il ne fonctionne pas parfaitement, on me fera payer pour la mise à jour », dit Edward Hoffman. On est loin d’une erreur fatale. Le transfert de connaissances est alors peut-être moins névralgique. Et pour ceux qui désirent réussir dans les domaines complexes et techniques, comme c’est le cas à la NASA, le directeur principal des connaissances Edward Hoffman propose une recette en quatre « A » : alliances, affectations, attitude et aptitudes. Mais il faut aussi savoir poser des boulons…