Article publié en septembre 2016

La première fois que j’ai croisé Anne-Marie Hubert, associée directrice pour le Québec chez EY (anciennement Ernst&Young), je me souviens d’une personne douce et brillante de simplicité avec laquelle j’ai eu du plaisir à échanger. C’est seulement plus tard que j’ai pris connaissance de son admirable parcours professionnel qui la rend encore plus inspirante. Dans ce billet, je partage avec vous son discours éclairé relativement à quatre préjugés susceptibles de nuire à l’ascension des femmes en affaires.

Haro sur les préjugés

Anne-Marie Hubert est la première femme à être nommée à la tête de la division Québec chez EY. Lauréate du prix Top 100 : les Canadiennes les plus influentes pendant quatre années consécutives, elle a aussi entre autres reçu, en 2012 le Prix honorifique de Catalyst Canada pour son implication dans l’avancement des femmes en affaires et, en 2015, un doctorat honorifique de l’Université Concordia pour son appui aux femmes en affaires.

Pendant les années où Anne-Marie Hubert a dirigé des initiatives sur l’égalité entre les sexes au sein d’EY Canada, elle note l’omniprésence de préjugés qui contribuent à freiner l’ascension des femmes à des postes de cadres. Elle communique depuis l’importance de mettre en lumière ces préjugés pour arriver à les dissoudre un jour. Les préjugés, base des stéréotypes (généralisations), sont considérés par ceux qui y adhèrent comme des vérités. Ces images mentales influentes peuvent s’amoindrir si on fait preuve d’ouverture d’esprit pour assimiler de nouvelles informations qui effriteront graduellement les ancrages mentaux liés aux préjugés. Toutefois, la rigidité intellectuelle et le conformisme ont tendance au contraire à aider les préjugés à perdurer.


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4 stéréotypes qui ont la peau dure

Au Canada, 35,5 % des postes de gestion et 33,3 % des postes de cadre supérieurs sont occupés par des femmes¹ ainsi que seulement 20,8 % des sièges des conseils d’administration des firmes cotées en bourse en 2014².Les préjugés nuisant à l’ascension professionnelle des femmes n’expliquent certainement pas complètement ces statistiques, mais ils y contribuent. Anne-Marie Hubert nous invite à prendre conscience des quatre principaux préjugés suivants :

1. Les émotions sont signe de faiblesse 

« Les hommes sont souvent mal à l’aise en présence d’yeux larmoyants. Cette expression des émotions constitue pour eux une faiblesse chez les femmes », explique Anne-Marie Hubert. « Il faut accepter qu’exprimer ses émotions ne constitue pas une faiblesse. L’expression d’une émotion chez la femme est une question d’éthique et de valeurs et ce n’est en rien négatif. Chaque situation possède un contexte qu’il faut tenter de comprendre », ajoute-t-elle. Puisqu’un préjugé se rapporte à un jugement porté en absence d’information complète, Anne-Marie Hubert recommande une prise de conscience de cette réalité construite. Elle suggère aussi aux femmes d’expliquer le contexte de toute expression d’émotion, et aux hommes de faire preuve d’ouverture d’esprit pour saisir la situation objectivement.

2. Il faut mettre la barre très haute

« Au travail, le degré élevé d’attentes des femmes envers d’autres femmes peut être élevé. L’autocritique des femmes envers elles-mêmes est également très sévère, les femmes ayant tendance à être dures avec elles-mêmes », affirme Anne-Marie Hubert. Une manière concrète de pallier ce phénomène selon l'associée directrice de EY Québec serait par exemple que les femmes au travail prennent l’habitude de demander des révisions de leurs évaluations et de leurs autoévaluations à des pairs pour obtenir une seconde opinion. Elle recommande aussi fortement aux femmes de penser à mettre l’accent sur ce qui est accompli plutôt que sur ce qui n’est pas encore fait.

3. Comme personne ne l’a fait auparavant, cela ne fonctionnera pas

« L’absence de modèles féminins engendre chez les femmes une difficulté à se projeter, à se visualiser dans des postes de gestion ou de haute direction », explique Anne-Marie Hubert qui aspire à ce que de plus en plus de femmes aient conscience de leur potentiel, qu’elles se disent que le passé n’est pas une projection du futur et que toute femme peut sans nul doute être pionnière dans l’atteinte de ses objectifs. En complément à cette prise de conscience souhaitée, Anne-Marie Hubert mentionne que les entreprises seraient gagnantes à encourager la parité et à pourvoir leurs postes de cadres selon une sélection objective (candidats féminins et masculins en parts égales). Les employeurs pourraient ainsi déceler la plus-value de la personne selon son expertise indépendamment de tout préjugé lié au genre.


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4. Une femme serait moins disponible parce qu’elle pourrait devenir mère

« Chez EY, explique Anne-Marie Hubert, les nouveaux pères disposent d’un congé parental payé de trois mois. Il serait mal vu en 2016 dans la firme d’être père et de ne pas profiter de son congé. Priorités et valeurs doivent aller de pair. D’autre part, chez EY, une femme qui part en congé de maternité a automatiquement un remplaçant, sans pression de prendre connaissance de ses dossiers, et sans pour autant se sentir exclue ou mal à l’aise de son absence. Il est important de profiter de ces moments précieux qui passent vite. Dans un monde idéal, les femmes partageraient en plus les tâches ménagères avec leurs conjoints, ce qui aiderait à atteindre un équilibre de vie global. » En Suède par exemple, un régime de congé parental souple encourage les deux parents à passer du temps en famille. La mère et le père ont chacun droit à la moitié de la durée du congé payé par enfant dans un marché où le taux d’emploi des femmes est proche de celui des hommes 73,1 % contre 76,5 % en 2014 .

Anne-Marie Hubert conclut en insistant sur le fait que c’est l’ensemble des préjugés qui rend leur résolution difficile et que seule une prise de conscience grandissante transformerait les stéréotypes en sujets concrets dont les enjeux seraient pris en compte. 


Notes

¹ Statistique Canada, « Table 282-0009: Labour Force Survey Estimates (LFS), by National Occupational Classification for Statistics (NOC-S) and Sex, Unadjusted for Seasonality Terminated », janvier 2016

² Catalyst (2015). « 2014 Catalyst Census: Women Board Directors »