Article publié dans l'édition hiver 2017 de Gestion

Depuis plus de 15 ans, les organisations ont recours à des objectifs d’équipe ainsi qu’à des récompenses partagées entre les membres dans le but de stimuler les échanges ainsi que la production et la qualité du travail. Or, quels en sont les avantages et les inconvénients ? Et quelles sont les conditions nécessaires pour qu’un tel processus collectif fonctionne ?

Les objectifs de groupe sont de plus en plus utilisés, parfois avec un avantage collectif à la clé. Par exemple, il peut s’agir d’un nombre de choses à produire, d’un degré de satisfaction de la clientèle à atteindre ou du temps requis pour effectuer une tâche ou un projet. Mais ces systèmes fonctionnent-ils ? Sait-on s’ils augmentent vraiment la performance et s’ils entraînent une meilleure qualité du travail ? Qu’apportent-ils de plus que le système classique, dont les objectifs sont individuels ?


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Pour répondre à ces questions, nous avons interrogé 71 personnes dans deux organisations différentes : 46 personnes dans une entreprise du secteur des communications (centres d’appels et vente en magasin) et 25 dans un groupe hôtelier (réception, restaurant, direction). Dans ces deux organisations, les objectifs d’équipe concernent principalement la satisfaction du client. D’autres objectifs sont spécifiques à chaque équipe (durée des communications téléphoniques pour les centres d’appels, nombre de cartes de fidélité vendues à la réception dans les hôtels, chiffre d’affaires de chaque magasin, par exemple). Fondée il y a 15 ans, l’entreprise de communication a instauré un système d’objectifs et de récompenses de groupe il y a deux ans, tandis que le groupe hôtelier, bien établi depuis plus de 40 ans, utilise des objectifs d’équipe depuis presque toujours.

Avantages et inconvénients

Dans la plupart des cas, il apparaît que le travail avec des récompenses et des objectifs collectifs mène avant tout à un meilleur esprit d’équipe, à de l’entraide et à un partage des compétences. Les individus se sentent plus soudés, s’entraident davantage et partagent leur savoir-faire. Ce système améliore la communication pour mieux se mutualiser. Il s’agit là d’un avantage important pour les organisations. Ce système rend aussi les individus plus concernés par leur travail. Finalement, il incite les individus à se motiver les uns les autres pour y arriver. Ces pratiques suscitent donc une automotivation au sein du groupe.

Certains avantages ne sont cités que dans la première organisation. Le premier concerne la pression du groupe, une pression collective qui pousse chacun à travailler pour ne pas décevoir les autres. Il est intéressant de noter que cette pression est mentionnée comme un avantage, qui pousse à faire mieux, et non pas comme un inconvénient ou une pression désagréable de la part des autres dans le groupe. Cela peut être attribuable à la culture de cette entreprise ou au travail des centres d’appels et des équipes de vente, différent du travail en hôtel. Travailler de façon collective, c’est aussi avoir moins de responsabilités sur ses épaules, ce qui est perçu comme un soulagement, mais presque uniquement dans cette organisation. Il est possible que les avantages liés à la pression au travail soient relevés, car le système collectif est récent. Les individus sont donc plus à même de comparer avec un autre système, alors que dans l’autre organisation, le collectif est intégré comme une condition de travail normale. Finalement, on notera que les concours entre les équipes, organisés uniquement dans cette entreprise, sont appréciés par les individus, car ils suscitent une solidarité dans le groupe contre les autres. La compétition entre les équipes semble donc être un bon système pour solidariser les individus. Reste à savoir quel type de culture cela peut créer.

gestion collective

Illustration Istock

L’inconvénient principal du système collectif est le phénomène du passager clandestin, c’est-à-dire la personne qui ne fait rien et qui compte sur les autres pour obtenir la récompense collective. Lorsqu’il y a un passager clandestin, les autres membres du groupe sont démotivés et ressentent de l’injustice. Le système est alors mal perçu. Un autre inconvénient du système collectif a trait aux objectifs donnés à l’équipe, qui parfois ne sont pas spécifiques, mesurables, ambitieux, réalistes et temporellement définis (SMART) et découragent les individus. De plus, les membres les plus performants de l’équipe sont pénalisés, car leur récompense serait plus grande s’ils travaillaient seuls. Pour ces derniers, la récompense est tirée vers le bas, ce qui peut les inciter à partir. D’un autre côté, les maillons plus faibles peuvent finir par être exclus du groupe, car les plus forts les empêchent d’arriver au succès collectif. Ces deux derniers inconvénients sont peut-être attribuables à la nature des métiers dans ce secteur des communications ou encore à sa culture.

Les conditions du succès

Une cohésion de groupe. Pour que ce système fonctionne, il faut avant tout avoir une équipe soudée. Il faut bien s’entendre, entretenir de bonnes relations et avoir envie d’être ensemble. Le collectif serait difficile avec une équipe qui n’a pas d’atomes crochus. La question reste à savoir si cette condition est une donnée de départ ou si la cohésion du groupe peut se développer justement grâce au système collectif. D’autres conditions moins souvent citées, qui font référence à cette cohésion, sont la vision commune et la motivation, l’adhésion de tous aux objectifs, le respect, l’écoute et l’entraide.

Un bon gestionnaire. Une deuxième condition principale consiste à avoir un bon gestionnaire qui soit capable non seulement de garder le cap mais surtout de recadrer les « passagers clandestins ». Le gestionnaire joue un rôle clé pour assurer l’équité dans le groupe.

La communication. Il faut pouvoir bien communiquer, ce qui relève à la fois de la cohésion du groupe et du soutien du gestionnaire pour susciter le dialogue entre les membres.

La valorisation de la perfomance individuelle. Pour que le système fonctionne, il est nécessaire de ne pas oublier la reconnaissance individuelle, sans quoi les individus ne se sentent plus exister. La gestion de la performance collective doit donc se faire avec des systèmes hybrides (récompenses et objectifs individuels et collectifs).

Dans les deux organisations que nous avons étudiées, chaque individu a également une appréciation individuelle concernant les compétences clés et le travail en général, mais la récompense financière est basée uniquement sur le travail collectif. Les réponses obtenues lors de nos entrevues indiquent que cette récompense devrait aussi être établie selon le travail de chacun. Le système idéal passerait donc par une prime ou un boni calculé en fonction des résultats du groupe et de chaque individu, selon une moyenne des deux ou une autre répartition que chaque organisation pourra établir.

Des objectifs clairs. Il est important d’avoir des objectifs SMART, sans quoi le système ne fonctionne pas. Il faut aussi que les objectifs soient bien évalués à la fin de chaque étape, de manière juste et selon des indicateurs clairs, et il faut qu’il y ait un suivi. La transparence est de rigueur dans l’établissement, l’évaluation et l’attribution des récompenses, sinon le système est perçu comme étant peu fiable, aléatoire et injuste.


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Une performance discutable

Pour seulement 48 % des individus que nous avons interrogés, le travail avec des récompenses et des objectifs collectifs permet d’augmenter la performance. Il ne change rien pour 30 % d’entre eux et diminue même la performance de 17 % d’entre eux. Les résultats sont donc mitigés et ne démontrent pas un effet notable sur la performance. Le travail collectif fonctionne donc, mais pas pour tout le monde.

Dans l’ensemble, ce système stimule les individus grâce à une mutualisation des forces de tout le monde et à un savoir-faire partagé. Selon les métiers, la culture organisationnelle et l’ancienneté de l’instauration de ce système ont aussi pour avantages d’inciter à en faire plus afin de ne pas décevoir les autres dans le groupe et de réduire la pression au travail, car la responsabilité est partagée. L’analyse des résultats de nos entrevues indique donc que le système collectif fonctionne et vaut la peine d’être adopté. Mais il comporte des risques. Les organisations semblent avoir beaucoup à gagner dans l’instauration de travail collectif, mais seulement si elles assurent ces conditions clés.