Se connecter aux besoins de ses employés. S’accorder un temps de réflexion avant de prendre ses décisions. Penser à long terme. Arrêter de vouloir faire plus avec moins. Bienvenue dans le monde du slow management, un concept popularisé il y a une quinzaine d’années, mais qui est toujours d’actualité aujourd’hui!

Début de l’été 2022. Les files s’allongent devant les bureaux de Passeport Canada. À tel point que les citoyens doivent parfois attendre 30 heures sur leurs chaises de camping pour recevoir ce précieux document. «Difficile de penser qu’on ne pouvait pas anticiper cette situation, après deux ans de confinement», lance Estelle M. Morin, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal. Un exemple qui illustre à quel point les organisations sont gérées à la petite semaine, au mois ou – au mieux – aux trimestres.

Pénurie de main-d’œuvre, difficultés d’approvisionnement, changements technologiques : sous pression, les gestionnaires ne font qu’éteindre des feux et perdent de vue l’horizon. «Ils sont tellement pressés d’avoir des résultats qu’ils ne prennent pas le temps de réfléchir à leurs décisions», souligne la professeure. Le slow management propose justement de mettre fin à cette course effrénée. «Cela signifie prendre du recul pour s’assurer de faire les bonnes choses, de la bonne façon, de poser des actions qui ont du sens. Il faut aussi penser aux répercussions sur l’environnement et sur la communauté», résume-t-elle.

Moduler ses efforts

Journaliste canadien basé en Angleterre, Carl Honoré a publié L’éloge de la lenteur en 2004, premier d’une série de livres sur le sujet. C’est cet auteur qui a popularisé le concept du slow management, après la crise financière de 2007. «Je ne suis pas un extrémiste de la lenteur. J’aime la vitesse! On sait tous qu’aller plus vite, c’est parfois mieux. Mais pas toujours», nuance-t-il.

«La lenteur, c’est un état d’esprit. Cela signifie être présent, vivre pleinement chaque instant, faire une chose à la fois, mettre la qualité avant la quantité dans tout ce que vous faites», poursuit-il. Les gestionnaires ont donc tout intérêt à avoir une vision à long terme et à accorder à chaque activité le temps et l’attention qu’elle mérite.

Un ralentissement non seulement possible, mais essentiel alors que la pandémie a eu comme répercussion d’augmenter de façon chronique la pression sur les travailleurs. «Les entreprises qui sont bloquées à la vitesse turbo vont échouer à long terme», pense Carl Honoré. Déjà, les organisations qui prennent le temps de s’arrêter, de réfléchir et de rectifier le tir à des moments cruciaux ont une longueur d’avance. Selon un article publié dans la Harvard Business Review, elles enregistrent des ventes moyennes de 40% supérieures et une hausse des bénéfices d’exploitation de 52% comparativement à celles qui ont conservé leur vitesse de croisière, cite le journaliste.

Diminuer la cadence est aussi essentiel en période de pénurie de main-d’œuvre, croit Mario Côté, CRHA, qui dresse un parallèle avec un mode de gestion centré sur l’humain. «En prenant plus de temps, les gestionnaires vont se soucier davantage des besoins des individus, prioriser certaines tâches, s’ajuster et essayer de ralentir pour être plus efficaces là où ça compte vraiment», détaille-t-il. Ce qui, selon le président de Gestion Conseil Mario Côté, suscite l’engagement et gonfle la productivité.

Bref, arrêter de courir pour rien réduit le stress et les risques de maladies chez les travailleurs, souligne Estelle M. Morin, en plus de remettre l’accent sur le sens premier de nos actions. Cela laisse aussi plus de place à la créativité, à la collaboration et à la réflexion stratégique, note Carl Honoré.

À go, on ralentit…

Selon M. Honoré, il existe mille et une façons de diminuer la cadence : laisser aux employés le soin de gérer leur horaire et les inciter à respecter les heures de travail, sans déborder; prévoir des pauses pour penser, se ressourcer; prendre le temps de décanter devant une décision importante; éviter les réunions inutiles; créer une salle pour relaxer ou méditer. «Vous pouvez aussi modifier votre utilisation de la technologie afin que le personnel ait le temps de se déconnecter, de se reposer et de réfléchir», précise l’auteur. C’est le cas de Volkswagen, qui a bloqué l’accès aux boîtes courriel des salariés en soirée, exception faite des gestionnaires.

Mario Côté suggère pour sa part de maintenir la connexion en continu avec ses travailleurs, en multipliant les points de rencontre. «Les gestionnaires doivent avoir des conversations fréquentes avec leurs travailleurs, se dégager du temps pour comprendre leur réalité, les aider à se développer, leur offrir du support, explique-t-il. Cela permet aussi de concilier les besoins de l’équipe avec ceux des individus.»

Plus fondamentalement, il faut repenser la performance d’une organisation non seulement en évaluant ses résultats à court terme, mais en réfléchissant aussi aux conséquences à long terme, estime Estelle M. Morin. Ce qui peut être complexe dans les entreprises cotées en bourse, évaluées chaque trimestre. «Les PME ont une plus grande marge de manœuvre, à condition d’avoir la capacité de se détacher du regard des autres.» Ce qui demande, selon elle, de changer son état d’esprit, en s’inspirant par exemple des peuples autochtones, qui prennent leurs décisions en pensant aux effets sur les sept prochaines générations.

«Dans un monde accro à la vitesse, la lenteur est un super pouvoir», résume Carl Honoré. Et de petits gestes suffisent souvent pour amorcer le mouvement. «Essayez une action pendant une semaine, puis voyez comment cela s’est passé, conseille-t-il. Car rien n’est plus convaincant que l’expérience vécue!»