Aux prises avec la pénurie de main-d’œuvre, de plus en plus d’employeurs voient comme une bénédiction le retour au bercail d’anciens employés. Le jeu en vaut-il la chandelle? La recherche commence à offrir quelques réponses à cette question importante.

La pénurie de main-d’œuvre oblige les employeurs à recruter dans des bassins moins traditionnels, dont les ex-employés font partie. Les travailleurs, devenus plus mobiles qu’avant, ne rechignent pas à l’idée de reprendre un ancien poste. Tout cela contribue à la popularité des employés boomerang, dont on sait toutefois peu de choses.

Série Pénurie de main-d'oeuvre

Une étude américaine publiée dans le Journal of Management en 2021 s’est penchée sur le niveau de performance et de fidélité de ces travailleurs prodigues[1]. Les auteurs rappellent quelques idées préconçues des employeurs par rapport à ces salariés. Ceux-ci seraient moins risqués, puisque déjà connus. Leur intégration et leur formation exigeraient moins d’efforts et de dépenses. Ils seraient plus fidèles, car ils ont décidé de revenir dans l’entreprise. Ils pourraient même être meilleurs qu’avant, en raison de l’expérience et des nouvelles connaissances acquises ailleurs.

Les chercheurs ont analysé les données de 30 000 salariés embauchés de l’extérieur ou promus de l’interne sur une période de huit ans dans une grande entreprise de commerce de détail et les ont comparées à celles d’employés boomerang. «Les résultats indiquent en fait que le comportement et la performance de ces employés ressembleront de très près à ceux qu’ils avaient à leur premier séjour dans l’organisation», résume Chad Van Iddekinge, professeur de gestion à l’Université de l’Iowa et coauteur de l’étude.

Cette tendance s’applique aussi à la fidélité. «Les employés boomerang étaient un peu plus portés que les autres à quitter une deuxième ou une troisième fois, et souvent toujours pour les mêmes raisons», note le professeur.

Certes, ces salariés se montreraient plus efficaces au départ que les autres. Cependant, après un an, la performance des employés provenant de l’externe ou promus de l’interne surpassait celles de ces travailleurs. «L’étude démontre que le comportement et le rendement des employés boomerang sont plus faciles à prédire que les autres, donc leur embauche est en effet moins risquée, indique Chad Van Iddekinge. Toutefois, ils n’apportent pas nécessairement tous les bénéfices dont rêvent les employeurs.»

Un atout dans certains postes

Une autre étude, publiée cette fois dans l’Academy of Management Journal[2] en décembre 2021, a comparé la performance de 2 053 employés boomerangs et 10 858 nouvelles recrues dans une grande organisation du secteur de la santé, sur une période de huit ans. Ses résultats montrent que certains employés boomerang offrent une meilleure performance que les autres. Les chercheurs ont voulu savoir pourquoi.

«La principale raison est qu’ils connaissent mieux le système social de l’entreprise et les manières d’en tirer profit, ce qui ne peut s’apprendre qu’avec le temps», explique JR Keller, professeur adjoint en ressources humaines à l’Université Cornell. Ainsi, les employés boomerang seraient particulièrement efficaces dans les postes qui exigent plus de collaboration, de coordination et de soutien de la part des autres membres de l’équipe. Ils comprennent plus aisément, par exemple, comment obtenir davantage de financement ou de personnel pour un projet.

Ces employés ne suscitent pas non plus le même degré de résistance que ceux qui en sont à un premier séjour dans l’entreprise. «Très souvent, les employeurs embauchent de nouveaux employés avec l’espoir qu’ils injecteront de nouvelles idées dans leur équipe, mais dans les faits, ces individus se heurtent à beaucoup de freins lorsqu’ils veulent changer des choses», souligne JR Keller.

Soigner ses anciens

Les employeurs ne devraient donc pas se priver de réembaucher d’anciens employés, mais ils ne doivent pas non plus se bercer d’illusions à leur sujet. «L’organisation doit s’assurer qu’ils reviennent pour les bonnes raisons et pas seulement pour le salaire, par exemple», croit Anne Bourhis, professeure titulaire au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal.

Elle conseille surtout de créer des processus pour conserver des liens cordiaux avec les employés après leur départ. «Les employeurs ne peuvent plus se permettre de se fâcher avec un travailleur qui quitte l’entreprise, avance-t-elle. Ils doivent garder en tête qu’il pourrait revenir et aussi qu’il peut devenir un ambassadeur pour l’organisation.» Elle suggère de passer ce message lors de l’entretien de départ d’un employé.

De plus en plus d’entreprises vont plus loin en créant de véritables clubs d’anciens, à l’image des universités avec leurs ex-étudiants. L’essentiel étant de ne pas rater l’occasion de générer un nouveau bassin de candidats, qui pourrait éventuellement contribuer à alléger les difficultés de recrutement.


Références

[1] John D. Arnold, Chad H. Van Iddekinge, Michael C. Campion, Talya N. Bauer et Michael A. Campion (2021). Welcome Back? Job Performance and Turnover of Boomerang Employees Compared to Internal and External Hires. Journal of Management, 47(8).

https://doi.org/10.1177/0149206320936335

[2] JR Keller, Rebecca R. Kehoe, Mattew Bidwell, David G. Collings et Adam Myer (2021). In with the Old? Examining When Boomerang Employees Outperform New Hires. The Academy of Management Journal, 64(6).

https://doi.org/10.5465/amj.2019.1340