Article publié dans l'édition printemps 2015 de Gestion

C’est ce qu’affirme William Lazonick dans son article publié dans la Harvard Business Review en 2014.

En effet, cinq ans après la fin officielle de la grande récession de 2008, les profits des grandes entreprises s’accroissent et le marché boursier est en plein essor. Et pourtant, la grande majorité des Américains se retrouvent plutôt en situation de précarité. L’une des raisons de ce phénomène est inévitablement l’intervention des sociétés sur leurs propres titres, le rachat sur le marché.


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Il faut d’abord savoir qu’il y a deux principaux moyens de procéder au rachat sur le marché : par offre publique et sur le marché libre. C’est le second moyen qui s’avère particulièrement dommageable. De 1948 à la fin des années 1970, les augmentations de productivité et de salaires étaient relativement proportionnelles. À cette époque, l’approche de conservation et de réinvestissement des capitaux était largement répandue chez les grandes entreprises, le réinvestissement dans les capitaux humains en premier lieu d’ailleurs, ce qui engendrait une certaine stabilité dans la croissance économique et permettait un partage de revenus plus équitable.

Cependant, depuis l’instauration en 1982 aux États-Unis par la Securities and Exchange Commission (SEC) de la règle 10b-18 dans la Securities Exchange Act, les limites sont devenues très souples. Un conseil de direction peut donc autoriser de hauts dirigeants à racheter des actions jusqu’à un certain montant, pour une période limitée ou non, en prenant soin d’annoncer publiquement le programme de rachat sur le marché. La direction peut ensuite racheter une grande part des actions de l’entreprise, n’importe quel jour ouvrable, et ce, sans craindre que la SEC n’exige la manipulation des prix, pourvu que le montant n’excède pas 25 % de la moyenne quotidienne des opérations, calculée sur les quatre semaines précédentes. Cela dit, la SEC ne requiert qu’un rapport trimestriel des rachats, et aucun rapport quotidien. Elle ne peut donc pas déterminer si la limite de 25 % est transgressée sans une enquête approfondie.

Par conséquent, au lieu d’investir leurs profits dans l’innovation et la capacité de production, bon nombre de grandes entreprises d’aujourd’hui les utilisent pour racheter massivement leurs actions sur le marché libre et ainsi augmenter considérablement la valeur de leurs titres à court terme. Les profits astronomiques qui en découlent profitent aux dirigeants (0,1 % des bénéficiaires de revenus), dont la rémunération est largement basée sur les actions.

Mais l’un des aspects les plus pernicieux de cette pratique est certainement l’utilisation de fonds publics pour effectuer de telles opérations. En effet, certains lobbys (Exxon Mobil, Intel, Pfizer, etc.) réussissent à obtenir des subventions gouvernementales fédérales pour la recherche, le développement et l’exploration, et allouent la quasi-totalité de ces fonds au rachat sur le marché.

Pendant ce temps, l’écart entre les revenus augmente, la stabilité d’emploi diminue et la croissance est mise à mal.


Référence

  • Lazonick, W. (2014), « Profits without prosperity », Harvard Business Review, septembre, p. 47-55.