Quel est le nombre «optimal» d’immigrants que le Québec doit accueillir annuellement? Telle est la question à laquelle l’Institut du Québec a tenté de répondre en 2019 en évaluant les incidences démographiques et économiques de différents scénarios d’immigration.

Mia Homsy

Mia Homsy est directrice de l’Institut du Québec.

Les résultats de nos analyses indiquaient que l’immigration avait des répercussions généralement positives sur l’économie québécoise. Ainsi, une hausse du nombre d’immigrants améliorait la plupart des indicateurs, à l’exception du PIB réel par habitant, qui diminue généralement quand on augmente les seuils d’immigration, la rémunération des nouveaux arrivants étant souvent plus faible que celle des natifs.

Les modélisations montraient également qu’il n’existe aucun nombre optimal d’immigrants que le Québec devrait accueillir chaque année et qui, telle une solution magique, viendrait compenser l’impact du vieillissement de la population. Ce nombre devrait plutôt être établi en fonction de notre capacité à les intégrer dans le marché du travail. Ainsi, plus l’intégration est rapide et efficace, plus la contribution des immigrants à l’économie et à la qualité de vie des habitants est importante.

Trois ans plus tard, la situation a évolué et de nouvelles données permettent de conclure que le moment est venu de rehausser graduellement les seuils d’immigration en accordant la priorité à l’installation de ces personnes dans les régions du Québec. D’abord, le marché du travail s’est considérablement resserré, créant des pénuries de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs et dans plusieurs régions. Ensuite, l’intégration économique des immigrants s’est poursuivie, diminuant les écarts qui les séparent des populations nées au Canada. Enfin, la province a montré qu’elle a besoin d’immigrants lorsque, pour compenser la baisse des seuils d’immigration à laquelle on assiste depuis 2019, le recours aux immigrants temporaires s'est intensifié.

Un resserrement du marché du travail, surtout en région

Depuis quelques années, le marché du travail québécois se resserre, de telle sorte que, récemment, le taux de chômage a atteint un creux historique, alors même que le taux de postes vacants reste à un niveau important. Les déséquilibres entre les besoins de main-d’œuvre et l’offre de travailleurs disponibles sont tels que, dans certaines professions comme celles qui sont liées à la santé, à l’enseignement et à la fabrication, le nombre de postes vacants a doublé depuis deux ans.

Ce resserrement s’explique notamment par les effets de plus en plus marqués du vieillissement de la population. Les scénarios démographiques élaborés par l’Institut de la statistique du Québec indiquent que les conséquences du vieillissement de la population se feront sentir pendant au moins une décennie, et ce, principalement à l’extérieur de la grande région de Montréal.

Changement du portrait migratoire

Au chapitre de l’accueil des immigrants, la Coalition Avenir Québec promettait d’«en prendre moins, mais d’en prendre soin». Or, les données indiquent qu’en dehors des années de pandémie, le solde migratoire international au Québec a augmenté depuis 2016, avec un sommet atteint en 2019. Comment cela est-il possible, alors que le gouvernement a abaissé les seuils de 51 000 immigrants en 2017 et 2018 à 40 000 en 2019? En fait, ce sont principalement les immigrants qui ont un statut temporaire, qui ne sont pas comptabilisés dans les cibles établies pour l’immigration permanente, qui sont plus nombreux d’année en année. Ainsi, de 2016 à 2019, le solde des résidents non permanents (les immigrants dits «temporaires») est passé de 12 671 à 61 668.

À en juger par la prolifération de nouveaux programmes pilotes en santé, en petite enfance ou en technologies de l’information et par les assouplissements apportés au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) mis en place par le gouvernement afin de pallier le déficit de main-d’œuvre qu’il juge criant, cette augmentation de l’immigration temporaire devrait se poursuivre au cours des prochaines années.

Marché du travail : d’importants gains pour les immigrants

Le resserrement du marché du travail au cours des dernières années et les efforts gouvernementaux pour améliorer le processus de sélection et d’intégration des immigrants ont permis une nette amélioration de leur taux d’activité, de leur taux d’emploi, de leur taux de chômage et de leur rémunération, réduisant ainsi les larges fossés qui les séparaient des travailleurs canadiens. Bien entendu, il reste encore d’importants défis à relever pour diminuer les écarts qui persistent entre la situation des immigrants et celle des personnes nées au Canada– et pour rattraper la Colombie-Britannique et l’Ontario, qui semblent mieux réussir à ce chapitre –, mais cette amélioration à laquelle on assiste demeure soutenue et fort encourageante.

Délais déraisonnables et échec de la régionalisation

Cependant, plusieurs écueils subsistent. Les délais administratifs démesurés (qui peuvent représenter jusqu’à 37 mois d’attente pour l’obtention de la résidence permanente au Québec, comparativement à une période de six à 28 mois dans le reste du Canada) représentent un défi, car ils prolongent indûment la période d’incertitude que vivent les demandeurs. Ils nuisent aussi à l’attractivité et à la compétitivité du Québec, notamment au détriment de l’Ontario, qui affiche des délais beaucoup moins longs. Même constat d’échec pour les efforts de régionalisation de l’immigration. Alors que près de 85% des immigrants du Québec s’établissent en premier lieu dans la grande région de Montréal, force est d’admettre que les politiques et les sommes investies pour attirer et retenir les immigrants dans les régions de la province n’ont pas porté leurs fruits. Malheureusement, cela freine le développement économique de plusieurs régions.

Le moment d’agir

Compte tenu des besoins grandissants en main-d’œuvre et des barrières qui subsistent pour attirer, retenir et mieux intégrer les immigrants, l’heure est venue de repenser la politique d’immigration québécoise. Le gouvernement pourrait profiter de la prochaine Planification de l’immigration au Québec 2023-2026 pour réévaluer ses seuils annuels, clarifier ses orientations sur le statut des immigrants à accueillir et statuer sur les outils à mettre en place pour améliorer l’attractivité de la province, l’accès à la résidence permanente et la régionalisation de l’immigration au Québec.

Article publié dans l'édition Été 2022 de Gestion