Le pouvoir de la question
2025-03-27

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2025-03-20
Le pouvoir de la question
Opinion , Ressources humaines

On m’a récemment demandé quelle habileté de gestion j’aimerais développer davantage. La réponse m’est venue spontanément : l’art de poser des questions. De bonnes questions, bien sûr.
J’ai toujours été fascinée par les gens qui exercent cet art avec brio. Dans l’un de mes (vieux) films préférés, Des hommes d’honneur, il y a une scène où l’on voit Tom Cruise contre-interroger le personnage de Jack Nicholson afin de lui faire avouer qu’il avait bel et bien ordonné le meurtre d’un soldat. Un bijou!
Malheureusement, rares sont les programmes d’études, tous métiers confondus – sauf le journalisme, je l’espère! – où l’on semble enseigner cette habileté pourtant essentielle. Un peu comme si l’on tenait pour acquis que tous savent déjà bien faire. Ce qui n’est assurément pas le cas.
C’est notamment observable en matière de recrutement : la pertinence des questions gagnerait souvent à être bonifiée. Les formulations qui gagnent la palme d’or sont celles du type : «On cherche quelqu’un qui aime rédiger des rapports. Aimez-vous ça, rédiger des rapports?» Si la personne répond non à cette question tendancieuse, embauchez-la pour son honnêteté! De toute façon, il y a maintenant ChatGPT...
Dans le même ordre d’idées, un canevas d’entrevue contenant strictement des mises en situation peut vous indiquer que le candidat... sait raisonner. Ce qui est bien. Mais le fait d’ajouter davantage de questions sur les comportements passés de la personne dans des situations similaires à celles qu’elle pourrait vivre dans le poste convoité vous permettra d’obtenir un portrait bien plus complet sur ses valeurs, ses réflexes et ses compétences. Cela constitue un meilleur prédicteur de ses succès futurs que sa simple capacité à anticiper ce que vous souhaitez entendre et à vous le donner.
Il est vrai qu’une bonne pratique RH lors des processus de sélection est d’avoir un canevas d’entrevue préétabli afin de permettre à tous les candidats de se faire valoir sur les mêmes thématiques. Ce principe n’interdit pas toutefois de poser des sous-questions pour approfondir la réponse de la personne rencontrée. Une candidate vous dit : «Je crois que, dans cette situation, j’ai fait un excellent travail.» Le bon intervieweur devrait enchaîner avec l’une de ces variantes : «Quels sont les indicateurs qui vous permettent de l’affirmer? Quelle est votre définition de l’excellence?» On va ainsi beaucoup plus loin, on entre dans un réel dialogue avec l’autre et on optimise notre capacité à bien évaluer sa candidature.
Comme gestionnaire, savoir bien questionner aide évidemment à comprendre les enjeux. Mais, pour moi, le pouvoir le plus important de la question en contexte de gestion, c’est de responsabiliser ses interlocuteurs, de leur témoigner du respect pour leur travail, leur expertise, et de renforcer à la fois la confiance et l’imputabilité.
Questionner au lieu de donner la réponse est parfois plus long et peut sembler un luxe dans nos horaires chargés. On ne peut pas non plus occulter le réflexe encore très fréquent chez les gestionnaires à se percevoir comme ceux et celles qui doivent avoir la solution, comportement qui est par ailleurs une source de satisfaction professionnelle. Pourtant, et puisque ce numéro de la revue Gestion porte sur le coaching, de nombreux coachs de gestion peuvent témoigner qu’il n’y a rien de plus gratifiant que la prise de conscience chez l’autre, provoquée par une bonne question. Si on est attentif, on peut même voir cette prise de conscience, car la réaction est souvent physique : un regard qui s’illumine, un soubresaut d’étonnement, un redressement des épaules. Une prise de conscience, aussi simple soit-elle, a beaucoup plus de chance de créer un changement de comportement ou de guider vers une décision éclairée que l’application d’un excellent conseil.
On le sait, depuis des décennies, plusieurs ouvrages de gestion ont invité à passer du rôle de gestionnaire à celui de coach. Les analogies avec le monde du sport sont alors fréquentes. Elles appellent davantage des images de coachs qui encouragent et mettent au défi que des représentations d’une conversation solide portée par des questions bien ciblées et ouvertes. D’ailleurs, outre les travaux d’Isabelle Lord, CRHA Distinction Fellow, sur l’art de questionner, il existe relativement peu d’écrits québécois sur la gestion et l’habileté à poser des questions.
Dans toutes les formations sur la gouvernance, on dit aux futurs membres de conseils d’administration qu’un de leurs devoirs est de questionner. Et, souvent, les gens soupèsent le pour et le contre avant de poser leurs questions, conscients qu’ils peuvent ainsi trahir un manque de préparation, une compréhension limitée, une faible confiance dans la décision de la direction ou un esprit trop critique. C’est l’un des rares environnements où l’on semble accorder son juste poids à l’art de questionner. Et incidemment, on l’utilise trop peu souvent.
Pourquoi ce plaidoyer en faveur de l’art de questionner?, me demanderez-vous. Bonne question. Probablement parce que, très souvent, comme professionnelle en RH et dirigeante, je me suis entendu dire : «Lui as-tu posé la question?» Un geste simple, accessible à tous et efficace pour améliorer les relations de travail au quotidien et faire avancer les projets de façon concertée. Et vous, comment pourriez-vous développer et faire un usage conscient de cet art de questionner afin de faire cheminer vos équipes, vos collègues et vos partenaires d’affaires ?
Article publié dans l’édition Printemps 2025 de Gestion
Opinion , Ressources humaines