Article publié dans l'édition été 2015 de Gestion

La Formule 1 est une plateforme de communication marketing au potentiel fabuleux. Des marques comme ING l’ont utilisée comme outil de développement d’affaires à travers le monde avec grand succès. Shell y recourt pour se positionner comme un supercarburant dans une industrie autrement indifférenciée. Acer a fait appel à des designers de Ferrari pour créer des produits uniques qui lui ont permis de se hisser au premier rang des ordinateurs personnels en Europe. Bref, les entreprises qui placent la commandite en Formule 1 au cœur de leur stratégie marketing en tirent d’importants bénéfices. Quelles leçons les gestionnaires de commandites peuvent-ils en tirer ?

La commandite est un outil de communication complexe, mais à la base, elle repose sur une relation d’affaires entre deux entreprises qui allient leurs marques dans le but d’atteindre différents objectifs en utilisant des canaux de communication divers, comme la publicité traditionnelle, le numérique ou l’expérientiel.

Avec un auditoire de 400 millions d’amateurs, la Formule 1 (F1) est l’un des événements sportifs les plus écoutés sur la planète. Seuls la Coupe du monde et les Jeux olympiques s’en rapprochent, et ce, de temps à autre. Cela vaut donc la peine de s’y attarder comme théâtre de déploiement des commandites.


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Des chiffres astronomiques

Les montants colossaux qui circulent dans ce sport, alliés à sa portée mondiale, en font l’un des plus performants au chapitre des commandites. Ainsi, le sport génère des revenus annuels d’environ 4 milliards de dollars US par an1et, à lui seul, le championnat engrange 1,5 milliard de dollars US. La majeure partie de ces sommes proviennent des frais payés par les promoteurs (500 millions), des frais pour la télédiffusion (500 millions) et des commanditaires de la série (250 millions). Si la commandite ne représente pas la part du lion pour le championnat, elle rapporte néanmoins un total de 2,2 milliards de dollars pour l’ensemble du sport en ententes de fournitures de biens et services et en contributions financières. Cela représente 47 % des revenus totaux générés par la F1 en 20082.

L’importance que les écuries de F1 accordent aux commandites s’explique. En effet, la commandite représente plus qu’un revenu autonome : elle a un impact direct sur la performance, car elle permet d’accélérer le développement et le perfectionnement des voitures les plus sophistiquées au monde. Le classement des écuries le démontre noir sur blanc. Les budgets annuels des écuries de pointe, soit 381 millions de dollars pour McLaren et 475 millions pour Red Bull et Ferrari, reposent en partie sur des commandites importantes.

Ailerons arrière

D’autres chiffres éloquents : les 11 équipes alignées pour la saison 2013 combinaient 150 commanditaires, payant chacun en moyenne 6,4 millions de dollars US, dont le plus important investit une somme annuelle de 100 millions. Notons que les espaces de visibilité les plus prisés sur les voitures de pointe, soit l’aileron arrière et la prise d’air, valent chacun environ 25 millions de dollars.

Pour obtenir un rendement de l’investissement dans cette valse des millions, l’écurie et le commanditaire doivent gérer leur partenariat de façon à optimiser les retombées économiques et non économiques pour chacune des deux parties.

Voyons comment les gestionnaires de commandites doivent tenir compte des éléments impondérables qui caractérisent les organisations concernées (circuits, écuries et commanditaires) et comment, au moyen d’une gestion serrée des objectifs à atteindre, ces éléments peuvent influer sur la création de valeur en commandite, que tous recherchent.

Composer avec les impondérables

pilote de formule 1L’image, le capital de marque, l’expertise en gestion de commandite, les ressources disponibles : autant d’éléments impondérables qui caractérisent la « propriété » ou, si l’on préfère, l’entité commanditée. C’est avec ces éléments incontournables que les gestionnaires de commandites doivent composer, tout en étant conscients qu’ils devront certes tenir compte des changements les touchant à moyen et à long terme, mais pas de ceux qui se produisent à court terme.

En effet, dans le contexte de la F1, l’image, la popularité d’une équipe, son association à un pays d’origine et les facteurs de risque liés à la commandite d’une équipe sont des caractéristiques qui seront stables à court terme. Tous ces éléments ont un effet sur le choix immédiat d’une propriété par une marque, permettant à une organisation de se distinguer.

L’image

La F1 est avant tout un monde où l’image prime. Les personnalités sont flamboyantes, les montants, colossaux et les marques associées, prestigieuses. Il n’est donc pas étonnant que les organisations commanditées aient mis en place des mécanismes permettant de protéger leur image. Les gestionnaires de compte approuvent toute utilisation de la marque de l’écurie dans tous les éléments de communication. Les campagnes d’« activation » (où l’on investit au-delà des droits de commandite pour promouvoir son association) et l’utilisation des pilotes sont également scrutées à la loupe avant d’être approuvées. Il n’est pas rare que pour des questions d’image, les écuries de F1 choisissent, à regret, de dire non à une commandite ou à une activation.

Les perceptions du public

Au-delà de l’image de marque que l’on veut projeter, on gère également les perceptions que le public en a. L’industrie a pris conscience de l’impact négatif d’une surdose de logos sur les voitures et aux abords des pistes. Le phénomène d’agglutinement de marques, souvent observé en commandite sportive, a un effet contre-productif pour le commanditaire, principalement sur la capacité du consommateur à identifier correctement une marque. Dorénavant, les voituresarborent des publicités beaucoup plus épurées, tout comme la publicité en bordure de piste.

Quelques exemples sont éloquents. L’image que projette Ferrari amène l’équipe à ne s’associer qu’à des marques qui sont des leaders dans leur secteur. D’autres écuries ont une image identifiable à un pays ou à une région, ce qui est renforcé par la présence de commanditaires de même origine. À l’époque, la British American Racing, détenue en totalité par l’entreprise British American Tobacco (qui était à la fois commanditaire et commanditée), souhaitait mettre ses marques de tabac en valeur. Pour ses campagnes d’« activation », elle a choisi un partenaire qui partageait sa volonté d’investir au-delà des droits de commandite pour promouvoir son association partout dans le monde, sans faire ombrage à sa visibilité.

Le risque

Quant au risque, autre élément impondérable, une équipe qui termine généralement dans les quatre premières positions du Championnat du monde a plus de chances que son commanditaire obtienne de la visibilité, peu importe le résultat sur la piste, contrairement à une écurie de fin de peloton pour qui les résultats en course ne favoriseront pas le rayonnement des marques qui y sont associées.

Une commandite sans risque est possible dans le championnat de F1 par l’envergure de la visibilité obtenue grâce à l’affichage en bordure de piste et à la captation visuelle, alors que la commandite la plus risquée se situe dans l’endossement d’un pilote, à cause de performances souvent inégales ou encore du risque de scandale.

Cinq « drapeaux rouges » pour les gestionnaires de commandites

  1. ÉVALUER LA CAPACITÉ DES PARTENAIRES À GÉNÉRER DE LA VALEUR

    Quelle est l’expertise de la propriété en matière de commandite ?

    La propriété a-t-elle en place une équipe dédiée à la commandite ?

    Investit-elle de ses propres ressources pour favoriser l’atteinte des objectifs du commanditaire ?

  2. EXPLOITER LES SYNERGIES

    Y a-t-il des liens à faire avec les autres partenaires de la même propriété (potentiel d’affaires ou initiatives de marketing conjoint) ?

  3. VISER LA SATISFACTION NON ÉCONOMIQUE

    La qualité de la relation entre les partenaires est-elle plus importante que les retombées concrètes d’une commandite ?

  4. TROUVER UN COMMANDITAIRE PRESTIGIEUX À FRAIS MOINDRES EN VUE D’ATTIRER D’AUTRES PARTENAIRES

    Une plus grande « activation », soit la capacité accrue de publiciser l’association propriété-marque, peut-elle pallier un niveau moindre de revenus ? Une marque connue ou prestigieuse peut-elle attirer d’autres partenaires pour la propriété ?

  5. ADOPTER UNE APPROCHE DE MARCHÉ ENVERS LES COMMANDITAIRES

    La structure du département de commandite permet-elle de répondre de manière proactive aux objectifs du commanditaire : communications fréquentes, mesure de la satisfaction, transparence et partage d’information ?

La commandite multiniveaux

Les ententes de commandite s’échelonnent habituellement sur de longues périodes. Les gestionnaires du marketing doivent constamment se positionner par rapport aux concurrents et être à l’affût d’attaques de marques rivales. Cela peut entraîner le choix de commanditer plusieurs niveaux d’un événement afin de bloquer de potentiels concurrents, comme le fait Shell avec ses commandites à la fois des équipes et des courses. Rolex commandite à la fois le championnat et les télédiffusions des courses afin de renforcer et de protéger son association.

On devra aussi considérer les autres marques commanditant le sport. En effet, une marque d’alcool ou de jeu pourrait ne pas cadrer avec l’image que l’on souhaite projeter de sa marque. De plus, un nombre trop important de commanditaires dilue l’impact d’une commandite et nuit à la reconnaissance chez les consommateurs, donc affecte négativement les retombées possibles, autant d’éléments que le gestionnaire doit considérer.


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Une gestion au quart de tour

La gestion d’une commandite demande un doigté de grande précision. Les professionnels du marketing doivent prendre une série de décisions à chaque étape du processus. Il faut déterminer soigneusement l’objet, les montants, les marchés, les indicateurs de performance, les conditions de renouvellement ou de fin de la commandite. Chacun de ces éléments, pris isolément, a un impact déterminant sur la performance du programme de commandite.

Tant les équipes de F1 que les organisations responsables des courses mettent en place des mécanismes sophistiqués de gestion de la commandite. Les écuries de pointe ont des équipes qui gèrent les différents aspects de la commandite telles la sélection de commanditaires, la gestion de compte, la mesure de performance, la création et la production d’outils de communication, le tout, dans une perspective qui s’approche de celle des agences de communication traditionnelles avec un volet pour les ventes, la gestion de compte et la production.

Une stratégie centrée sur les besoins des commanditaires

Formule 1Longtemps, le commanditaire a été perçu comme le leader du programme de commandite, mais avec très peu de soutien de la part des propriétés. Le phénomène est aujourd’hui inversé. Les organisations de F1 sont maintenant largement impliquées dans l’ensemble du processus, ce qui permet aux commanditaires d’atteindre leurs objectifs plus aisément.

Ce renversement de tendance demande un investissement plus important en ressources de la part des propriétés F1, mais il est compensé par un taux de satisfaction plus élevé chez les commanditaires, entraînant plus souvent le renouvellement des ententes ou, dans certains cas, une augmentation des investissements. Les propriétés F1 les plus performantes adoptent désormais une stratégie centrée sur les besoins des commanditaires, ce qui se traduit par une forme de communication ouverte et transparente et se répercute sur la satisfaction du commanditaire.

Sélection des partenaires

Ce n’est pas toujours le commanditaire le plus offrant qui est choisi. La propriété peut retenir un commanditaire moins payant en droits, mais qui aura la volonté de faire de l’« activation », c’est-à-dire de publiciser l’association. Ou encore, elle peut sélectionner un commanditaire très connu ou prestigieux, mais qui paiera un droit inférieur à la normale, dans l’espoir que cette marque puisse attirer d’autres commanditaires potentiels.

En plus d’être essentielle à l’atteinte des objectifs du commanditaire, cette pratique d’« activation » contribue également à l’atteinte d’objectifs de plusieurs propriétés, puisqu’elle peut augmenter la notoriété dans certains marchés ainsi que favoriser les ventes tout en diminuant les sommes nécessaires à la publicité et à la promotion. D’autres partenaires seront favorisés en fonction d’un produit ou d’un service uniquement fourni à l’organisation, ce qui abaisse également les dépenses.

Atteinte des objectifs : cinq enjeux

Tout comme les entreprises qui concentrent leurs efforts sur la satisfaction des besoins de leurs clients, les écuries et les circuits sont gérés pour atteindre les objectifs de leurs commanditaires et assurer un haut niveau de satisfaction de leur part. Cette stratégie a un impact significatif sur les résultats d’une commandite, qui se déclinent en cinq enjeux.

1 - La satisfaction

La satisfaction est l’élément fondamental qui déterminera si la commandite cesse, si elle est poursuivie ou si les investissements du commanditaire seront augmentés. Celle-ci s’exprime de deux façons : en termes économiques, c’est-à-dire l’atteinte des objectifs, et en termes non économiques, soit la qualité de la relation et des échanges entre les partenaires. La satisfaction non économique prévaut toutefois sur l’atteinte des objectifs économiques. Il est donc crucial que la relation entre les partenaires soit gérée efficacement.

C’est le cas chez Ferrari, Renault, McLaren ou British American Racing, qui ont créé une impressionnante infrastructure pour couvrir l’ensemble des besoins que peuvent avoir les commanditaires pour atteindre leurs objectifs : de l’élaboration de concept à l’accompagnement de clients et à la production de publicité ou d’événements, jusqu’à la mesure de certains éléments de la performance comme la visibilité dans les médias, les relations publiques et l’aspect qualitatif de la couverture.

2 - La communication

Pour en savoir plus

Dumais, F. (2011), Le modèle de création de valeur en commandite : une étude mondiale sur la Formule 1, HEC Montréal.

Toujours dans le but de maintenir la qualité des échanges entre la propriété et le commanditaire, il est important de jeter les bases d’une relation efficace en misant sur des communications proactives et fréquentes. Il est primordial que les partenaires discutent de leurs objectifs respectifs. À cet égard, certaines initiatives méritent d’être mentionnées.

Par exemple, le Grand Prix australien a créé un forum annuel qui regroupe l’ensemble de ses partenaires et a pour objectif un meilleur partage d’informations entre les différents joueurs impliqués afin d’éviter les imbroglios, mais surtout de générer des opportunités d’affaires. De même, le transporteur aérien Qantas s’est joint à la marque de champagne G.H.Mumm pour bonifier l’expérience client entourant la course. Quant à l’organisation de l’épreuve australienne, elle module ses actions publicitaires en fonction des « activations » que ses partenaires mettent en œuvre afin de maximiser les dépenses publicitaires pour des marchés moins couverts. Cette stratégie permet d’atteindre un public plus large pour le Grand Prix.

3 - L’engagement

Les écuries et circuits cherchent aussi à acquérir un niveau élevé d’engagement chez leurs commanditaires. Cela se traduit par un investissement important en « activation » à court terme, en vue d’un bénéfice, même incertain, à long terme. La volonté d’« activer » d’un commanditaire a un impact direct sur l’atteinte des objectifs et, donc, sur la valeur d’une commandite. Un partenaire qui « active » adéquatement les bénéfices qu’il a acquis de l’association est également moins susceptible de mettre fin au partenariat à long terme.

Ainsi, des commanditaires payant des droits inférieurs peuvent se voir sélectionnés malgré tout, selon les montants qu’ils prévoient investir. C’est le cas de la marque de montres TW Steel au sein de l’écurie Renault ou encore de James Boag’s, la marque de bière officielle du Grand Prix australien, en remplacement de Foster’s. Ces marques sont moins connues et prestigieuses dans leurs marchés et génèrent un revenu direct inférieur en droits, mais elles permettent à l’écurie d’atteindre ses objectifs de communication grâce à l’investissement accru en « activation ».

4 - La confiance

Il va de soi qu’une confiance mutuelle est essentielle au succès d’une campagne de commandite. Toute commandite, à ses débuts, comporte un niveau de vulnérabilité important dans l’atteinte de résultats positifs à plus ou moins longue échéance. La qualité des relations interpersonnelles entre les organisations est fondamentale. Au-delà de la pertinence entre les marques aux yeux des consommateurs, il faut également chercher une adéquation de valeur et de philosophie chez les parties concernées.

On peut citer l’exemple de British American Racing et de leur partenaire canadien Teleglobe dans leur approche conjointe de commercialisation mondiale. Grâce à une relation de confiance réciproque, les deux organisations planifiaient leurs actions publicitaires et leurs relations publiques à l’échelle mondiale dans une collaboration très étroite.

5 - L’équilibre

Finalement, la notion d’équilibre régit l’ensemble des échanges entre l’écurie ou le circuit et le commanditaire. La perception de valeur doit être équivalente pour chacun des deux partenaires, car un déséquilibre perçu entraînera une insatisfaction pour l’une des parties, ce qui pourrait mettre fin au partenariat.

La meilleure façon de créer de la valeur est de ne pas créer d’iniquités lors de la ratification d’ententes. Ainsi, plusieurs propriétés ont adopté une orientation de marché qui s’attarde à la satisfaction du commanditaire. Davantage de valeur est donnée à celui-ci, notamment lorsqu’une insatisfaction est perçue, et ce, de diverses façons. Par exemple, l’écurie Renault, consciente que ses partenaires avaient de la difficulté à sortir du lot parmi toutes les marques présentes lors d’un week-end de course, a mis sur pied une tournée de promotion (roadshow) qui consistait en la visite de plusieurs marchés partout dans le monde avec une voiture de l’année précédente. Cet événement, créé de toutes pièces, mettait uniquement les partenaires de l’écurie en valeur et leur permettait d’atteindre plus efficacement leurs objectifs, tout en élargissant la base d’admirateurs de l’écurie dans des marchés non traditionnels pour la Formule 1.

Quoi retenir ?

équipe de formule 1À la lumière de ce qui précède, on peut inférer que dans la F1, les partenariats écuries-marques réalisés par le recours à des commandites permettent de forger un avantage concurrentiel durable, impossible à dupliquer par les concurrents. Si la stratégie comporte des risques, le fait de créer de façon systématique une structure de gestion et de mesure permettra de générer de la valeur et d’augmenter les retombées à long terme. Il est en effet possible de dégager un meilleur rendement d’un programme de commandite en révisant les processus de gestion des organisations et en consacrant les ressources humaines et financières nécessaires au succès d’une telle plateforme de communication, si complexe soit-elle. Comme dans tout problème de gestion, il suffit de porter attention à certaines caractéristiques typiques des entreprises avec lesquelles on veut créer un partenariat et de poser les bonnes questions avant de s’engager.


Notes

1 Sylt, C. et C. Reid (2010) Formula Money – Formula One’s Financial Performance Guide. Southwick, UK, Money Sport Media

2 Blitz, R. et Allen, J. (2009), « Mosley counters driving ambition », Financial Times, June 19, p. 15.