Voici une situation qui n’a pas beaucoup de sens dans le monde du travail. D'un côté, il y a des personnes dont les compétences et l'expérience, pourtant en demande, ne sont pas considérées pour des emplois parce qu'elles n'ont pas de diplôme de premier cycle, tandis que de l'autre côté se trouvent des entreprises qui cherchent désespérément à embaucher de la main-d’œuvre. Voilà deux réalités que sépare une barrière insidieuse et invisible.

Tout le monde connaît déjà le plafond de verre, un terme qui décrit les obstacles auxquels les femmes et les personnes racisées font face lorsqu'elles tentent de faire progresser leur carrière et de monter dans la hiérarchie. Découvrons aujourd'hui ce qu’est le plafond de papier.

Qu'est-ce que le plafond de papier?

Cette notion fait référence à la barrière invisible qui se dresse à chaque tournant pour ceux et celles qui n'ont pas de baccalauréat ou de maîtrise, puisque de nombreux emplois requièrent une qualification universitaire.

Ces personnes n'ont peut-être pas de diplôme, mais elles possèdent des compétences et des connaissances essentielles qui font d'elles une excellente main-d’œuvre potentielle. Elles ont peut-être servi dans l'armée, obtenu une certification professionnelle, mis sur pied leur propre entreprise ou fondé une famille, mais elles sont exclues à cause de deux mots : diplôme requis.

Ce plafond de papier peut prendre plusieurs formes.

D'abord, de façon très pragmatique, il est courant aujourd'hui, lorsqu'on postule un emploi, de devoir répondre à un questionnaire hébergé sur une plateforme; on remplit alors des champs texte et on clique sur «suivant». On fait défiler les lignes exigeant une réponse; cependant, il est impossible de passer à la page suivante si on n’a pas rempli tous les champs. À la question «cochez tous les diplômes que vous avez», si toutes les cases sont vides, c’est le retour à la case départ; il n’y a alors aucune chance que le CV se rende chez la personne qui recrute! Aucune chance non plus qu’on puisse vendre sa candidature et expliquer pourquoi on est, malgré l'absence de diplôme, la bonne personne pour le poste. Bref, pas de diplôme, pas de «suivant»!

Dans ces circonstances, le réflexe pour le commun des mortels sera peut-être de se dire : «Qu'importe si on demande d'avoir une maîtrise, je vais postuler quand même, et on verra que je suis fait pour l’emploi.» Eh bien, il faut savoir que tout le monde ne pense pas ainsi… En effet, bien des personnes – notamment les femmes – ne postuleront pas un emploi si elles n'ont pas 100% des prérequis mentionnés dans l’affichage de poste.

Au Québec, en 2019-2020, on recensait 74 221 élèves qui sortaient du secondaire. Parmi ces personnes, on en dénombrait 10 050 considérées comme sans diplôme ni qualification et qui étaient absentes du système scolaire en 2020-2021, ce qui correspond à 13,5 % de l'ensemble des jeunes sortis du secondaire à ce moment-là. Au Canada, le Québec a tendance à afficher chaque année un plus petit nombre de personnes diplômées que dans les autres provinces du pays, une tendance qui, certes, s'améliore chaque année, mais qui ne disparaît pas pour autant. En période de pénurie de main-d'œuvre, veut-on vraiment dire non à de tels talents?

Or le plafond de papier touche également les personnes qui sont bel et bien diplômées. Pensons aux gens nouvellement arrivés au Québec qui n'ont pas encore leur équivalence de diplôme, ou qui l’ont reçue, mais malheur : celle-ci représente mal leurs études, ou alors on leur attribue un niveau en dessous de celui qu'ils avaient dans leur pays d'origine.

Enfin, le plafond de papier a également une incidence considérable sur les salaires, ne faisant qu'intensifier le fossé entre les personnes qui sont en mesure d’aller à l’université et celles qui ne peuvent pas se le permettre. Étant donné que les personnes qui sont diplômées ont plus de chances d'être employées, elles gagnent plus que les gens qui ne le sont pas. Le plafond de papier exclut donc des personnes faisant déjà face à de l'exclusion.

Bien sûr, nous ne sommes pas en train de dire ici que les diplômes sont complètement inutiles; par exemple, personne n’aura envie d’aller consulter un médecin qui ne serait pas passé par la case université. Cependant, qu'en est-il des postes de gestionnaire? Dans le domaine de la vente? A-t-on vraiment besoin d'un diplôme pour tout?

Embaucher sans diplôme : une tendance grandissante

Certaines organisations ont compris la situation et choisissent de ne plus exiger de diplôme pour des emplois qui en nécessitaient auparavant.

Selon une étude réalisée en 2022 par The Burning Glass Institute aux États-Unis, cette tendance s'est accélérée pendant la pandémie.

Besoin d'un peu d'inspiration pour passer à l'acte? Voici quatre entreprises bien connues qui ont changé leurs façons de recruter.

  • En 2021, IBM a annoncé qu'elle avait éliminé la nécessité d’un baccalauréat pour plus de la moitié de ses offres d'emploi aux États-Unis.
  • En 2021, seulement 26 % des offres d'emploi d'Accenture pour des postes d'ingénieurs en assurance qualité logicielle exigeaient un diplôme universitaire, soit le taux le plus bas parmi les entreprises concurrentes du secteur technologique.
  • Les offres d'emploi de Google demandant un baccalauréat sont passées de 93 % à 77 % entre 2017 et 2021.
  • Delta Airlines a renoncé à exiger un diplôme universitaire pour ses copilotes en janvier 2022, rejoignant ainsi Southwest Airlines, United et American Airlines.