En cette ère de méfiance entre l'Occident et le monde musulman, une meilleure compréhension des réalités économiques, sociales et culturelles de chaque protagoniste pourra sans doute contribuer à apaiser les tensions qui existent entre ces deux civilisations.

Il s'agit sans doute du modeste objectif poursuivi par Harris Irfan qui, dans un article récemment publié sur le site Internet Foreign Affairs (lire « The Nature of Money. Islamic Banking and Conscious Capitalism »), nous présente la vision de l'islam à l'égard de l'activité bancaire.


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Car des différences notables existent! Comme le signale Harris Irfan, la finance islamique s'appuie sur un grand principe, celui qui veut que l'argent n'est pas une fin en soi, mais un moyen. Il découle donc de ce principe (et c'est sans doute là que réside l'une des grandes distinctions que l'on peut établir avec la finance occidentale) que l'argent en soi ne peut engendrer de l'argent! Alors que nos systèmes bancaires permettent des opérations financières (intérêt, swap, créances titrisées, etc.) ne générant que des flux strictement financiers (parfois négatifs, comme lors de la crise financière de 2008), une telle pratique est rigoureusement interdite aux banques islamiques. En conséquence, ces banques...

  • ne peuvent demander un quelconque intérêt (ribâ) à un emprunteur. Afin de contourner cet interdit, la banque, dans les faits, se porte acquéreur pour un temps donné du bien convoité par l'emprunteur, et lui revend avec un profit à échéance;
  • ne peuvent gagner de l'argent en prêtant de l'argent, soit l'équivalent de la spéculation (maysir). La banque doit s'investir dans le projet de l'emprunteur, et non s'en remettre à des considérations aléatoires afin d'y trouver son profit;
  • doivent investir, c'est-à-dire prêter, dans l'optique de faire tourner l'économie « réelle ». Comme le précise Harris Irfan: « In Islamic finance, institutions must enter into trades in the real economy, investing and developing businesses so that investors’ money is to work in a tangible way. »
  • doivent partager, selon certaines modalités bien définies avant le prêt, les profits et les risques lors d'un projet donné.

Cela dit, on aurait toutefois tort de croire que la finance islamique n'est essentiellement restreinte qu'au monde musulman et que les conceptions islamique et occidentale de la finance évoluent en vase clos. De fait, François-Xavier Carayon, spécialiste de la finance islamique, rapportait, sur le site Internet du quotidien Les Échos (lire « Les promesses de la finance islamique »), que le Royaume-Uni est devenu l'an dernier le premier pays occidental à émettre des obligations (sukuk) en totale conformité avec les principes de la finance islamique. Hasard? Certes non, puisque Londres tient à renforcer sa position de place financière dominante à l'échelle du globe et que les marchés occidentaux veulent profiter de la croissance exceptionnelle de la finance islamique depuis le début du nouveau millénaire. On estime en effet (lire à ce sujet l'article de Hayat Gazzane, sur le site Internet du Figaro) que l'avoir des banques islamiques a connu une croissance annuelle de 16% durant la décennie 2003-2013, pour se situer aujourd'hui à plus de 2 000 milliards de dollars. Et ce montant pourrait doubler d'ici la fin de la présente décennie! Il s'agit sans doute là d'un argument de poids pouvant aider à accroître la compréhension mutuelle de ces deux cultures!