En se lançant en affaires, Josée Shushei Leblanc voulait non seulement offrir une rémunération juste aux artisanes des Premières Nations, mais aussi perpétuer et faire rayonner leur savoir-faire ancestral. Des valeurs qui n’ont pas quitté la créatrice et PDG d’Atikuss Canada, une entreprise équitable se spécialisant entre autres dans la fabrication de bottes traditionnelles. Un parcours maintes fois salué.

L’entraide a toujours fait partie de l’ADN de Josée Shushei Leblanc, membre de la nation innue de Uashat mak Mani-utenam, près de Sept-Îles. «Ce n’est pas dans la nature humaine d’être individualiste. On doit travailler ensemble, s’épauler. Je pense que cela vient entre autres des valeurs qui m’ont été transmises à travers mes origines, mon histoire. Nous vivions dans des conditions parfois difficiles, si bien qu’on avait besoin les uns les autres pour survivre», raconte-t-elle.

C’est le même sentiment qui l’a animée lors de la création d’Atikuss Canada, en 2014. Après la fermeture d'un des rares magasins proposant du matériel d'artisanat traditionnel autochtone, elle a racheté son inventaire. Josée Shushei Leblanc décide alors de faire appel à des artisanes de partout au Québec pour confectionner des mocassins. «Je me suis rapidement rendu compte que ces femmes étaient sous-payées. Elles touchaient entre trois et cinq dollars l’heure. Leurs enfants ne voulaient pas non plus apprendre cet art, parce que les salaires étaient trop bas. J’ai réalisé l’urgence d’agir. »

Josée Shushei Leblanc s’est donc engagée à «trouver une solution pour qu'elles soient rémunérées à un salaire juste, équitable, tout en sauvegardant ce savoir-faire», explique-t-elle. C’est ainsi qu’est née l’idée de confectionner des mocassins de luxe et des bottes personnalisables, brodées, perlées et fabriquées à la main. Grâce à cette collection, appelée «Les bottes de l’espoir», les artisanes gagnent aujourd’hui entre 15$ et 20$ l’heure, précise-t-elle.

Jusqu’à présent, cette initiative a permis d’aider plus de 400 femmes à travers le Québec, y compris à travers des ateliers offerts aux itinérantes autochtones fréquentant l’organisme Chez Doris. Par ailleurs, Atikuss Canada compte aussi un écomusée mettant en valeur les techniques séculaires des Autochtones, une galerie d’art, un hôtel et commercialise différents articles provenant des onze Premières Nations, comme des mukluks, des mocassins, des sacs à main, des mitaines ou des bijoux.

Un leadership collaboratif

Au quotidien, Josée Shushei Leblanc valorise les compétences de chaque membre de son équipe pour progresser. «Quand nous travaillons sur le développement de nouveaux produits, tous les employés participent, autant les femmes qui font le ménage que les artisanes ou les gens qui s’occupent de la coupe de fourrures. Cette diversité est importante, car chacun apporte son regard, nous permettant ainsi de concevoir des produits qui correspondent à nos valeurs et qui plaisent au plus grand nombre. »

Pour la femme d’affaires, le leadership repose d’ailleurs sur la capacité à amener ses troupes le plus loin possible et à les accompagner pour qu’elles puissent développer leur plein potentiel, souligne-t-elle. «Dans notre entreprise, la formation continue est une priorité. Plusieurs personnes sont parties de zéro et ont maintenant un métier spécialisé. Nous encourageons également le partage des connaissances entre les membres de l'équipe. Même lorsque quelqu'un décide de partir, nous savons qu'il contribuera à la communauté en apportant les compétences qu'il a acquises chez nous.»

Une vision porteuse

Le leadership de Josée Shushei Leblanc repose aussi sur sa capacité à rassembler les gens autour de sa vision. «La meilleure façon de réussir en affaires, et la seule, c’est de savoir s’entourer des bonnes personnes. Il faut être à l’écoute et s’inspirer de l'expérience des autres pour ne pas répéter les mêmes erreurs.» Dès les balbutiements de son entreprise, elle a d’ailleurs sollicité l’aide de mentors, qui l’ont beaucoup aidée à faire progresser ses idées.

Aujourd’hui, son équipe compte 14 employés. « Ce sont des personnes qui partagent notre vision, qui sont animées par le désir d'aider leur prochain et de contribuer au partage des richesses, mais de manière responsable », explique la femme d’affaires. Car, s’il est important d’assurer la rentabilité de l’entreprise pour payer les salaires et les dépenses, ce l’est tout autant d’aider les autres, insiste-t-elle.

Un modèle d’affaires qui porte des valeurs rassembleuses et qui a d’ailleurs été plusieurs fois récompensé, notamment par l’Association touristique autochtone du Canada ou encore par le Réseau des Femmes d’affaires du Québec, qui lui a remis le prix Petite entreprise lors du gala du Prix Femmes d'affaires du Québec 2023. Josée Shushei Leblanc figure aussi au palmarès des 25 leaders d’impact au Québec de l’organisme Evol.

Une crédibilité à bâtir

Quand elle s’est lancée en affaires, Josée Shushei Leblanc a mis à profit toutes ses expériences précédentes, alors qu’elle a déjà dirigé un grand groupe de transformation de crabe des neiges, en plus d’avoir été directrice générale d’un centre d’amitié autochtone et d’avoir œuvré au sein du Régime des bénéfices autochtones. Malgré cette feuille de route, la femme d’affaires a dû faire ses preuves et convaincre à la fois les autochtones et les allochtones du bien-fondé de son entreprise, tout comme les investisseurs potentiels. En effet, obtenir du financement est complexe pour les Autochtones, puisque certains de leurs biens sont insaisissables.

De plus, se lancer en affaires quand on est une femme, Innue de surcroît, comporte plusieurs défis. «Il a fallu que je me batte, que je leur prouve que j’étais capable. En lançant une entreprise autochtone au sein d'une communauté autochtone, il n'y avait pas de place pour l'erreur, car une réputation peut être facilement ternie ». Josée Shushei Leblanc a donc dû mettre les bouchées doubles pour démontrer le sérieux, la solidité et les retombées sociales de son projet.

D’ailleurs, elle conseille aux jeunes femmes qui sont tentées par l’entrepreneuriat de maintenir des relations transparentes et sans ambiguïté avec leurs bailleurs de fonds et leurs partenaires d’affaires. «Tout doit être clair, fondé et vérifiable. En d’autres termes, il ne faut pas laisser place à l’interprétation », ajoute-t-elle. Bien que cela nécessite des efforts supplémentaires pour gagner en crédibilité, cela permet d'établir son entreprise sur des bases solides, ce qui représente un avantage.

Dans une prochaine étape, Josée Shushei Leblanc aspire à porter l'entreprise à un niveau où elle pourra offrir des salaires et des avantages sociaux comparables à ceux offerts aux employés des conseils de bande. «Le travail des artisanes est essentiel, puisqu’elles permettent de conserver notre richesse culturelle et de la partager. Mon objectif, c’est donc de leur offrir une meilleure rémunération. Plus largement, c’est important que mes employés se dépassent, aillent plus loin, améliorent leur qualité de vie.» Un objectif en parfait accord avec sa mission.